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Lifestyle - Carnet de bord

XXV - « Notre raison est en France, mais notre cœur est au Liban »

Photo A.R.

Clac. Bip. Bip. D’un coup, les plombs sautent, l’écran de l’ordi s’éteint, l’immeuble de verre plonge dans le noir. « Naatait el-kahraba ! » À peine quelques secondes plus tard, les lumières se rallument. Je ne prête presque pas attention à l’affaire. Habituée, peut-être. Sans doute. Pourtant, la chose n’est pas courante en France. D’ailleurs, je reçois rapidement un e-mail envoyé à l’ensemble du personnel : « Une coupure d’électricité impactant plusieurs villes, dont la nôtre, est en cours. La société Enedis indique un retour à la normale à 18h30. En attendant le rétablissement du service, nos équipements techniques fonctionnent sur les groupes électrogènes. »

Par la fenêtre, les RER passent et se succèdent, convoyant leurs lots de passagers anonymes. Dans les carcasses de métal, les regards ne se croisent pas, s’évitent consciencieusement, rivés sur les téléphones. J’en fais désormais l’expérience aux heures de pointe. « Garde avec toi cette joie de vivre libanaise », m’avait intimé un ami, à l’annonce de notre départ, il y a déjà six mois.

Après quelques jours passés au Liban, nous voilà de retour en France, des images du pays du Cèdre plein la tête. Quelque peu rassurés. Rien n’y a disparu. Les lieux sont toujours là. Les gens aussi. Les parents, la famille, les amis, les collègues, les voisins, l’épicier d’en bas, le gardien de l’école. Mais peut-être plus pour longtemps. Ceux qui le peuvent partent. Les annonces de départ pleuvent. Direction le Canada. La France. N’importe où. Pourvu que ce soit loin. Ainsi grossissent les rangs toujours plus massifs de la diaspora.

Car la diaspora est le trésor du Liban actuel, un des socles sur lequel il a construit son système financier. La diaspora libanaise, l’une des plus importantes du monde par son ancienneté et son ampleur, et les liens étroits qu’elle conserve avec le pays d’origine. « Quelqu’un disait que les Libanais sont comme les cèdres ; ils doivent étendre leurs branches. S’ils restent tous au Liban, ils se gênent les uns les autres », écrivait sur Twitter Mazen Boustany. Ce à quoi répondait Christian Adib : « J’ai aussi entendu dire : le Libanais est comme le moineau. On le retrouve partout dans le monde. »

L’image est belle. C’est poétique. La diaspora était surtout bien utile pour envoyer de l’argent au pays et alimenter le système financier grâce à ses dollars frais. Et si le « miracle libanais » s’est grippé, c’est notamment parce que les remises des expatriés ont baissé depuis 2016. « Le Liban est dans l’impasse », affirmait début février Hassane Diab, appelant ces derniers à l’aide.

« Alors, c’était comment le Liban ? » nous demande-t-on à notre retour dans la capitale française. « J’ai fait trois bonhommes de neige », raconte mon fils, encore tout émerveillé par la neige de la montagne, pendant que nous, ayant perdu l’innocence de l’enfance depuis longtemps, nous retrouvons à parler « contrôle des capitaux » et « restructuration de la dette » avec des parents d’élèves, la voisine du dessus, ou la collègue du bureau. Le miracle a viré mirage. Et l’avenir s’annonce sombre.

Nous sommes partis, mais nous gardons les yeux rivés sur ce petit pays. « Notre raison est en France, mais notre cœur est au Liban », répétait mon mari à qui voulait l’entendre.

Ce carnet de bord d’un départ est le récit, partagé une fois par semaine, des aventures, des émotions et de la nostalgie d’une Française qui a passé 10 ans au Liban, avant de repartir pour la France avec son époux libanais et ses enfants.


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