Trois heures du matin. L’alarme sonne dans la nuit noire. Je réveille les enfants, plongés dans un sommeil profond. Très vite, les voilà qui ouvrent les yeux, tout excités. C’est le grand jour. Ils sont déjà habillés, prêts à partir. Direction l’aéroport et le Liban. Premier retour pour eux depuis leur départ du pays il y a près de six mois. Une éternité à l’échelle d’un enfant.
Les valises qui roulent sur l’asphalte résonnent dans le Paris endormi. Le vent souffle et éparpille les déchets des poubelles. Dans la salle d’embarquement, les derniers passagers se dirigent vers la porte en silence. Reste un homme, endormi sur son siège, un drapeau libanais noué autour du cou et un badge à l’effigie du pays du Cèdre épinglé sur le manteau. « Monsieur, monsieur, réveillez-vous ! L’avion va décoller ! » le bouscule gentiment l’hôtesse.
« Nous allons utiliser 11 000 litres de kérosène pour faire le trajet Paris-Beyrouth. Cela représente 1,9 litre pour 100 km par passager, soit l’équivalent de la consommation d’une petite voiture par personne qui fait le trajet par la route », nous annonce le capitaine de l’avion, pas avare d’informations. Au-dessus des nuages, le Soleil se lève et le vent nous pousse.
Lors de l’atterrissage, un grand silence règne dans l’avion. Comme si tous les passagers retenaient leur souffle. Les yeux sont rivés sur le pays qui se dessine et se rapproche petit à petit. Les couleurs d’Ouzaï, la verrue de l’Eden Bay, la plage de Ramlet el-Baïda, la Grotte aux pigeons et la ville qui s’étend vers la montagne. Dans quel état allons-nous retrouver le pays ?
Le silence se poursuit au niveau du contrôle des passeports. Derrière les comptoirs, les visages des fonctionnaires sont fermés. Notre agent, dont les muscles saillants tendent le tissu de la chemise blanche, nous glisse quand même un mot de bienvenue en nous laissant passer après nous avoir tamponné les passeports.
Les enfants courent vers leurs grands-parents et se jettent dans leurs bras.
Dans Beyrouth embouteillée, je guette les signes ou les traces de la révolution par la fenêtre. Soudain, elle envahit l’habitacle de la voiture, sans prévenir. À travers la voix douce et grave de Georges Moustaki, qui chante Sans la nommer :
« C’est elle que l’on matraque,
Que l’on poursuit, que l’on traque.
C’est elle qui se soulève,
Qui souffre et se met en grève.
C’est elle qu’on emprisonne,
Qu’on trahit, qu’on abandonne,
Qui nous donne envie de vivre,
Qui donne envie de la suivre
Jusqu’au bout, jusqu’au bout. »
*Ce carnet de bord d’un départ est le récit, partagé une fois par semaine, des aventures, des émotions et de la nostalgie d’une Française qui a passé 10 ans au Liban, avant de repartir pour la France avec son époux libanais et ses enfants.
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