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Lifestyle - Carnet de bord

XII – Expliquer la révolution

Photo A.R.

« Oh là là ! C’est terrible la situation au Liban en ce moment... » « Tous ces soulèvements, c’est grave. » « Le pays est très instable, n’est-ce pas ? » « Heureusement que vous êtes partis ! » « Vous avez vraiment quitté le Liban à temps ! »

C’est immanquable et invariable. Chaque ami que je croise ces jours-ci dans les rues de Paris me fait part de ses inquiétudes vis-à-vis de la situation au Liban. « J’ai suivi un peu ce qui se passe là-bas », m’avoue-t-on, avec le ton et le regard qu’on prendrait pour commenter une guerre ou une catastrophe naturelle. Sont-ils tous traumatisés par les gilets jaunes ? À l’instar de mon fils qui joue à « gilets jaunes contre policiers » dans la cour de récréation de l’école.

Alors, à tous ces gens qui me demandent des nouvelles du Liban comme s’il était soudain atteint d’une maladie incurable, pris de fièvre et de tremblements, je m’évertue à expliquer, enthousiaste, toute la beauté de la révolution. Les femmes dans la rue, une casserole ou une raqwé dans une main, une cuillère en bois dans l’autre, pour faire entendre leur voix. Et puis les étudiants et les élèves, marchant ensemble pour leur avenir. Les militants en route pour Bisri et son barrage controversé. Un petit déjeuner-pique-nique à Zaitounay Bay. Une nuit de camping devant EDL, symbole de la corruption et de l’incurie des gouvernants. Les milliers de téléphones brandis vers le ciel, flashes allumés, place des Martyrs. Un peuple uni, enfin, du Nord au Sud, de la Békaa au littoral, toutes religions confondues, pour la première fois depuis 30 ans contre une classe politique corrompue. Kellon yaané kellon. Un mouvement qui ne s’essouffle pas depuis déjà plus de trois semaines ! Et l’espoir ressuscité. Enfin.

J’essaie d’expliquer tout cela. Face à moi, les gens restent bouche bée. Comment expliquer un pays si compliqué à ceux qui le connaissent si peu.

« Ah mais c’est comme chez moi, au Brésil, m’a-t-on rétorqué une fois. Notre président est conspué par tous à l’extérieur alors que les Brésiliens en sont très contents. » « Ah bon ? » « De toute façon, rien de mieux qu’une bonne dictature militaire ! Je n’ai connu que ça au Brésil. On ne pouvait pas critiquer le gouvernement, mais à part ça tout marchait bien ! » Je m’éclipse avant d’en entendre davantage.

Me revient à l’esprit la vision de ces drapeaux de l’armée libanaise brandis dans la masse des drapeaux vert, blanc, rouge durant les manifestations.

Dans le flot des images d’une « révolution » festive et bon enfant, affleure parfois une inquiétude, une angoisse. « Ça pourrait dégénérer », me dit-on. « Le Liban existera-t-il encore dans 10 jours ? » Sur les groupes Facebook de Libanais à Paris, sont lancés des appels incitant la diaspora à soutenir financièrement les proches, familles et amis, au Liban. Que peut-on faire de plus ?

*Ce carnet de bord d’un départ est le récit, partagé une fois par semaine, des aventures, des émotions et de la nostalgie d’une Française qui a passé 10 ans au Liban, avant de repartir pour la France avec son époux libanais et ses enfants.


Les épisodes précédents

Épuisement émotionnel

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Beyrouth, Paris : d’une pollution à l’autre

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« Oh là là ! C’est terrible la situation au Liban en ce moment... » « Tous ces soulèvements, c’est grave. » « Le pays est très instable, n’est-ce pas ? » « Heureusement que vous êtes partis ! » « Vous avez vraiment quitté le Liban à temps ! » C’est immanquable et invariable. Chaque ami que je croise ces jours-ci dans les...

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