Nous y sommes. Paris, et une nouvelle vie qui commence.Sur les quais de la Seine, c’est une autre eau qui me revient à l’esprit. Celle de la Méditerranée, tellement loin de nous aujourd’hui. À Beyrouth, dans la folie des cartons, alors que mon cerveau tournait à plein régime, encombré par les préparatifs de départ, obnubilé par toutes ces listes à rallonge, il m’avait fallu souffler. Voir la mer une dernière fois. M’y baigner surtout.
Alors j’avais pris la voiture et les enfants, direction Tyr, pour une nuit et un jour. Traverser la moitié du pays pour se poser sur le sable brûlant de sa grande plage et refroidir à grande eau salée mon cerveau en surchauffe. Mais avec une eau à près de 30 degrés, l’effet escompté n’a pas été immédiat !
C’était la veille du 15 août, les enfants et moi n’étions pas seuls à quitter le béton de Beyrouth. Des milliers de voitures s’agglutinaient à la sortie de la ville. Clim à fond, vitres fermées pour essayer d’empêcher les effluves de déchets en putréfaction de s’infiltrer dans l’habitacle. L’œil faisant des allers-retours incessants de la route au rétro pour éviter les minivans qui foncent et slaloment entre les voitures. « Catch me if you can ! » narguent-ils.
Sur l’autoroute du Sud, passé Saïda, j’ai enfin atteint ma vitesse de croisière. Les yeux rivés sur les phares de la voiture qui me précédait. Les constructions étaient de plus en plus espacées, j’entrais au pays des bananeraies, quand soudain est apparue, dans la lumière des phares, un énorme sanglier écrasé au milieu de l’autoroute. Je l’ai évité, tout en croyant à une hallucination. Je verrai le corps de l’animal gisant sur le bas-côté le lendemain. Sur la banquette arrière, les enfants étaient endormis. Puis, j’ai entendu un cliquetis intrigant résonner dans le silence, suivi d’un claquement sec. La crevaison !
J’ai continué à rouler sur quelques centaines de mètres. Le temps d’arriver au barrage de l’armée, là où l’autoroute redevient une simple petite route. Et me voici, remontant à pied la file de voitures, dans ma robe bleue, vers un soldat de faction. « Mon pneu a crevé », lui dis-je.
En un instant, toute la gentillesse, toute la serviabilité des Libanais m’est tombée dessus comme une douce pluie. En un instant, cinq jeunes Libanais étaient autour de ma voiture, l’un en arrêtant une autre pour réquisitionner un cric, l’autre distrayant les enfants, un autre, encore, sortant la roue de secours du coffre. Avant que je m’en aperçoive, la roue était changée et moi, heureuse, reconnaissante de pouvoir reprendre la route vers la grande bleue.
Là, sur les quais de Seine, si loin de la Méditerranée, je me demande si je vais retrouver ce sens de l’entraide en France...
Les épisodes précédents
Comment faire rentrer un grand appartement beyrouthin dans un petit appartement parisien ?
Lire aussi, le carnet de bord de Christian Kamel, sur son retour au Liban
À contresens, nous rentrons au Liban !
commentaires (7)
Bayrout, Imm al dunya !!
Robert Moumdjian
05 h 09, le 20 septembre 2019