« Tu vas à la manifestation samedi ? » m’a-t-on demandé il y a quelques jours. « La manifestation… Quelle manifestation ? » ai-je répondu, perplexe. Depuis plus d’un mois, les seules manifestations auxquelles je vais sont celles du dimanche, en soutien au peuple libanais en révolte, place du Trocadéro ou place Joffre, devant le Mur pour la paix.
« Tu sais, la manifestation contre les violences faites aux femmes ! » C’est vrai, comment ai-je pu passer à côté ? C’est le sujet de ce mois de novembre en France. Les murs de la ville se sont couverts de messages dénonçant les féminicides : « Elle le quitte, il la tue », « Salomé, 100e féminicide en 2019 »... Sur les trottoirs parisiens sont apparus un matin des pochoirs : « Ras le viol ! » « Le 23/11, la rue est à #NousToutes ». « Le monde est aussi à #NousToutes ». Avec des dizaines de milliers de participants à Paris samedi 23 novembre, le collectif #NousToutes a salué « la plus grande marche de l’histoire de France contre les violences » sexistes et sexuelles. Deux jours plus tard, le gouvernement français annonçait, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, les conclusions du Grenelle des violences conjugales, fruit de trois mois de consultations avec les associations concernées.
Le regard rivé sur le Liban, tout ça m’est passé un peu à côté. La cause des femmes me tient pourtant à cœur depuis toujours. Je me souviens de mon désarroi face aux femmes libanaises interdites de transmettre leur nationalité à leurs mari et enfants. « Mon frère est-il plus important que moi, simplement parce qu’il est né homme ? » se demandait Randa Awada, mariée à un Pakistanais vivant depuis plus de 45 ans au Liban. « Ça fait 24 ans que j’attends que mon fils soit libanais », disait Nadira Nahas, dont les fils, nés d’un père américain, ne pourraient accomplir leur rêve d’exercer la médecine ou de devenir pilote de ligne au Liban, parce qu’étrangers. Je me souviens aussi de la colère après la mort de Roula Yaacoub, de Manal Assi ou de Malak M. et de tant d’autres, tuées sous les coups de leur mari. Et puis je me rappelle le combat de Nadine Jouni pour la garde de Karam, son fils de 9 ans.
Alors, je me réjouis de voir les femmes en première ligne, sur les photos et vidéos qui me parviennent de la place Riad el-Solh ou des Martyrs, du ring ou des abords du Parlement. Celles qui font barrage de leur corps. Celles qui nourrissent les manifestants. Celles qui, mégaphone devant la bouche, crient les slogans et guident le peuple. Celles qui, au plus près de l’action, font leur travail de reporter et témoignent, en direct, de ce qui se passe sur le terrain.
Par contre, je n’ai vu aucune femme intimider quiconque, aucune s’attaquer aux manifestants bloquant le ring, aucune femme, non plus, détruire et brûler les tentes de la place Alam à Tyr ou des Martyrs à Beyrouth.
« La femme est l’avenir de l’homme », disait Aragon.
Ce carnet de bord d’un départ est le récit, partagé une fois par semaine, des aventures, des émotions et de la nostalgie d’une Française qui a passé 10 ans au Liban, avant de repartir pour la France avec son époux libanais et ses enfants.
Les épisodes précédents
« Koullouna lil watan », de la place des Martyrs à la place du Trocadéro
Beyrouth, Paris : d’une pollution à l’autre
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