« Des papiers, toujours des papiers ! Y en a marre des papiers ! » Je me retourne sur la petite grand-mère d’origine asiatique qui vient de briser le silence. Cela fait bien une demi-heure que la file d’attente pour accéder à la Caisse d’allocations familiales (CAF) de Paris ne bouge pas. Le soleil de cette fin d’été joue à cache-cache derrière les nuages et la queue n’en finit pas de s’allonger, disparaissant bientôt au coin de la rue. « Que ceux qui veulent prendre rendez-vous ou déposer un document s’avancent », clame le vigile de sécurité à la cantonade à intervalles réguliers. « Vous devez vraiment éviter de venir entre midi et 14h, c’est l’heure où les agents partent déjeuner », poursuit-il à la vue des airs contrits de ceux qui n’en peuvent plus d’attendre.
L’administration française… Il fallait bien s’y replonger, et ce dès mon arrivée à Paris. Mairie, écoles, centre des impôts, caisse d’assurance maladie, banque, caisse des écoles, Facil’familles, le gaz, l’électricité, le téléphone, internet… Très vite, me voilà submergée par un tas de formulaires à remplir, attestations sur l’honneur à écrire, assurances à souscrire, codes à retenir. Or, un peu comme l’ancien et éphémère secrétaire d’État français Thomas Thévenoud condamné pour fraude fiscale, je suis atteinte de « phobie administrative ». De ce point de vue-là, le Liban me convenait parfaitement, avec sa culture de l’oral et sa nonchalance administrative... Aucun dossier à constituer pour louer un appartement. Pas de déclaration d’impôts à faire, puisque ceux-ci sont prélevés à la source. Quant aux factures d’électricité et d’eau déposées par le collecteur, nous les payions chez le dekkenji en bas de l’immeuble. D’ailleurs, après 10 années passées dans le pays, je n’ai rapporté avec moi que très peu de papiers. Mes fiches de paie, et c’est à peu près tout.
Je me souviens quand même des rares passages à la Sécurité sociale, à Jnah. Épiques. Passer d’un bureau à l’autre, de Tony à Latifé. Sourire aux blagues qui fusaient à la lecture de mon nom à rallonge. Récupérer des signatures sur des bouts de feuille pliés, faire tamponner le tout par un directeur trônant derrière son bureau. Et puis croiser la foule qui se presse dans les escaliers, voir au passage la peinture qui s’écaille sur les murs, sentir l’odeur du maïs grillé ou du café qui fume, à l’entrée, sur un chariot de fortune. Toute une ambiance. Un pèlerinage cocasse à accomplir tous les deux ans.
C’est enfin mon tour à la CAF de Paris. « Alors, pour ouvrir votre dossier, vous devez remplir la déclaration de situation que voici et nous fournir un RIB, les pièces d’identité de chacun, les actes de naissance des enfants… et les fiches de paie de 2017. » Je savais que j’aurais besoin de ces fiches de paie !
*Ce carnet de bord d’un départ est le récit, partagé une fois par semaine, des aventures, des émotions et de la nostalgie d’une Française qui a passé 10 ans au Liban, avant de repartir pour la France avec son époux libanais et ses enfants.
Les épisodes précédents
Première rentrée parisienne pour mes petits Beyrouthins
Ce sens de l’entraide si libanais
Comment faire rentrer un grand appartement beyrouthin dans un petit appartement parisien ?
Lire aussi, le carnet de bord de Christian Kamel, sur son retour au Liban
Libanité, entraide et hospitalité !
Le sentiment d’un retour aux sources
À contresens, nous rentrons au Liban !
commentaires (5)
L'insouciance administrative, fiscale, etc. a un prix, que le citoyen paye très cher; insécurité, manque de services, risque de guerre, absence de perspective à long terme, etc. Oui ce billet est à priori amusant et bien écrit, mais la somnolence de la raison a produit des monstres!
Shou fi
10 h 45, le 29 septembre 2019