Petit problème mathématique : comment faire rentrer un grand appartement beyrouthin dans un petit appartement parisien, déjà meublé de surcroît ? La réponse ne peut qu’être radicale : tout laisser, ou presque, au Liban. Ne prendre que l’essentiel, les papiers, les bijoux, les photos, les vêtements. Abandonner les plantes, les livres, les DVD de chez Tony, les coquillages et les dessins d’enfants. Entreposer dans un lieu sûr l’accordéon et le bouzouk, les Playmobil et la raquette de tennis. Et puis se dire qu’on reviendra, un jour, chercher tout ça. Dans un an ou cinq.
En attendant, il s’agit de faire de la place pour une nouvelle vie. Partir léger. En profiter pour se délester de tout ce qui nous encombre, pour écrire sur cette page blanche. S’apercevoir, au passage, qu’on a été davantage fourmi que cigale. Ici, un ticket d’entrée à la réserve des cèdres du Barouk, là des galets ramassés à Byblos. Et même une amende pour dépassement d’horaire de stationnement, heureusement payée depuis belle lurette.
Partir léger est un travail monstre. 10 ans de vie à trier, à emballer. L’affaire a au moins le mérite de nous éviter de cogiter et se poser trop de questions sur le passé, le présent et l’avenir.
Sur chaque carton, on a apposé un numéro. Ce numéro, on l’a retranscrit minutieusement sur un bloc-notes, avec la description de son contenu. On en est déjà à 17. À côté des cartons, il y a trois sacs poubelles, format XXL. Un pour les papiers, un pour le plastique, un pour l’électronique. Ils finiront chez arcenciel pour recyclage. Il ne faudrait pas s’infliger, en plus, mauvaise conscience à l’idée que toutes ces choses qu’on abandonne fassent grandir les montagnes de déchets.
Et vous qui avez quitté votre pays, qu’avez-vous pris avec vous ? Une raqwé et des épices, m’avait avoué une famille de réfugiés syriens. Du zaatar et de l’arak m’avait dit un autre. Nous, si on a encore de la place dans la valise, on prendra du debs el-remmane, de la mélasse de grenade. Et puis s’il n’y a vraiment plus de place, on se souvient qu’il paraît que maintenant, on trouve tout en France.
En attendant, on n’a jamais autant mangé de manouchés, kebbé, feuilles de vigne, shawarma, cocktails de fruits, halewet el-jebn et mafrouké… Histoire d’emmagasiner dans nos corps tous les merveilleux goûts du Liban.
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commentaires (8)
Il parait que le "debs el remmane" est aussi typique pour les arméniens. Apparement on fabrique déjà 6000 ans du vin de pomme grenade en Arménie. Peut-être que le mot libanais "remmane" est lié à "Arménie" ?
Stes David
21 h 33, le 05 septembre 2019