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Lifestyle - Carnet de bord

XI - Épuisement émotionnel

Photo A.R.

« La passagère Anne R. est invitée à se présenter de toute urgence porte 15 pour embarquement immédiat. La passagère Anne R… » Dans la salle d’embarquement de l’aéroport de Beyrouth, je sursaute, ramasse mes affaires à la hâte et cours vers la porte 15. « Ça fait 10 minutes qu’on vous appelle », me lance l’hôtesse excédée. « C’est la dernière passagère. L’avion peut décoller », dit-elle ensuite à sa collègue alors que je monte dans l’avion.

Il est 2h45 du matin et pour la première fois de ma vie, je me suis endormie en attendant un avion. Cela en dit long sur mon état d’épuisement et l’intensité de ces cinq jours passés au Liban. « On est tous à fleur de peau », m’avait-on d’ailleurs prévenue à mon arrivée. Embarqués dans des montagnes russes d’émotions. De l’euphorie à la dépression. De la dépression à l’excitation. De l’excitation à la rage. De la rage au désespoir. Et de nouveau l’euphorie.

Pendant ces quelques jours, j’ai entendu tout et son contraire. « Saad Hariri ne va pas démissionner. Il va démissionner. On va à Tripoli demain. Restons à Beyrouth. C’est là qu’il va se passer quelque chose. Il y a des morts à Saïda. Non, des blessés. Tu ne suis pas les nouvelles. Qui finance les scènes et la sono place des Martyrs, hein ? Les Américains sont derrière tout ça. Le Salon du livre francophone est reporté. Il nous faut choisir des représentants. La révolution doit rester spontanée et sans leader. Ne va pas à Tyr. Les routes sont bloquées. Viens à Tyr. On a besoin de monde. Après les intimidations d’Amal et du Hezbollah, nous ne sommes plus qu’une vingtaine place Tahrir. Tout est normal en ville. »

Sur la plage de Tyr, une équipe de foot court pieds nus. À quelques dizaines de mètres du rivage, un bateau pour touristes en balade, Thawra de Rayess Bek à plein volume. Quatre ou cinq jeunes dansent sur le bateau qui tangue. « Le peuple veut la chute du régime », reprend un enfant de presque cinq ans sur la plage. Le soleil se couche.

Pendant ces quelques jours, j’ai pu entendre aussi : « Regarde cette étoile qui brille dans le croissant de lune. Il faut désarmer le Hezbollah avant tout. Restons concentrés sur les demandes socio-économiques et la lutte contre la corruption pour ne pas s’aliéner toute une partie de la population. Arrêtons de bloquer les routes. Cela ne nuit qu’aux citoyens et pas aux dirigeants. Les barrages me rappellent la guerre. Le Ring est de nouveau fermé. Rentre à Beyrouth avant le discours de Nasrallah. Que se passe-t-il ? Pourquoi ne parle-t-il pas ? Coups de feu à Zarif. Nasrallah parle. Viens à Hamra. Je ne peux pas, j’ai révolution. »

Quand j’ai quitté le Liban, les écoles rouvraient, ainsi que les universités. Les banques aussi. Et puis les routes. Dans une tentative de retour à la normale. La révolte s’essouffle, c’est fini, pensais-je dans l’avion qui m’emmenait loin de Beyrouth.

À Paris, j’ai dormi presque douze heures d’affilée. Le lendemain, dimanche, le peuple libanais descendait de nouveau dans la rue, du Nord au Sud, de Beyrouth à la Békaa, maintenant la pression sur une classe politique silencieuse à ses demandes. Les routes étaient de nouveau fermées. Et moi, de nouveau scotchée à mon écran, à suivre la situation, à plus de 3 000 kilomètres de distance.

*Ce carnet de bord d’un départ est le récit, partagé une fois par semaine, des aventures, des émotions et de la nostalgie d’une Française qui a passé 10 ans au Liban, avant de repartir pour la France avec son époux libanais et ses enfants.



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