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Lifestyle - Carnet de bord

XXIV - Impressions libanaises

Photo A.R.

Je m’attendais au pire. Un pays qui sombre et s’effondre. Un peuple exténué, étranglé, au bout du rouleau. En colère et en révolte. Mais c’était sans compter les Libanais.

Durant mon passage à Beyrouth pour quelques jours, j’ai finalement retrouvé une certaine normalité, et cette joie de vivre typiquement locale. The happiest depressed people in the world, a-t-on coutume de dire. Les Libanais dansent sur un volcan, aussi. Encore une fois, ils font preuve de résilience. Ils s’adaptent. Font avec. Et sans. Ils gardent le sourire. Et leur humour. Personne ne sait de quoi demain sera fait. Mais tous redoutent le pire. « Les gens sont fatigués, me confie-t-on. Ils ont fini par s’habituer à la situation. »

Par la fenêtre de la voiture, j’aperçois un jeune faire les poubelles. Sur la tête, il porte un bonnet noir avec le mot Rich brodé en lettres blanches.

Ce 14 février, le soleil est de retour, après la tempête du début de semaine. Ma fille a retrouvé ses amies, comme si elle les avait quittées la veille. Face à la mer, des amoureux dégustent fattouche, hommos et autres mezzés. À l’intérieur du restaurant, les employés décorent la salle pour la Saint-Valentin avec des ballons rouges gonflés à l’hélium. À quelques mètres de là, sur la route de la Corniche, passent des dizaines de scooters, klaxonnant à tout va. Les drapeaux bleu ciel du courant du Futur que les hommes tiennent à bout de bras claquent dans le vent. Rafic Hariri a été assassiné il y a 15 ans. Un peu plus tard, je reçois une notification sur mon téléphone : « Tensions entre partisans du Futur et contestataires au centre-ville de Beyrouth. »

Le lendemain matin, direction le sud. Le long de l’autoroute, on ne vante plus rien, les panneaux d’affichage sont nus. Des restes d’affiches publicitaires se décollent parfois, témoins d’un temps révolu. Sur la place Élia, à Saïda, nous passons devant une dizaine de tentes vides, désertées. Vestiges d’une révolution. À Tyr aussi, la place Alam est vide. Des militaires gardent trois tentes inoccupées. « C’est en fin d’après-midi que les manifestants se réunissent sur la place », m’explique-t-on. Ce soir-là, une journaliste a d’ailleurs été invitée à animer une discussion dans l’une des tentes.

« L’année 2019 a été celle de l’effondrement pour une économie libanaise habituée jusqu’ici à “défier les lois de la gravité” », a écrit L’Orient-Le Jour. La vie continue. Le sociologue George Marshall s’est penché sur les leviers psychologiques qui nous font agir, ou pas, face à l’urgence climatique notamment. Pour expliquer ce déni du réchauffement climatique et de ses effets, il définit le « syndrome de l’autruche » : pour que l’homme agisse, la menace doit être « concrète, immédiate et irréfutable ». Si elle est « distante, invisible, contestée », elle échappera à nos mécanismes d’alerte.

Sur la plage de sable, l’activité bat son plein. Des familles se sont installées avec narguilés, sodas et bzourate. Un peu plus loin, huit hommes se renvoient la balle avec énergie, la sueur perlant sur leurs torses nus. Deux cavaliers font des allers-retours sur le bord de mer, lançant parfois leur monture au galop. « Peux-tu me prendre en photo avec le cheval ? me demande une jeune fille, c’est pour envoyer à ma sœur en Australie. » Derrière elle, des enfants savourent leurs glaces. Trois jeunes enchaînent saltos et autres acrobaties sur les rochers. Sur la route, derrière, passent des voitures, musique orientale à plein volume. Le soleil se couche sur la Méditerranée. Une femme en abaya noire, voile fleuri sur la tête, me lance en s’éloignant, quand je lui explique que j’ai quitté le pays il y a six mois : « Il n’y a plus de Liban. C’est fini. »



*Ce carnet de bord d’un départ est le récit, partagé une fois par semaine, des aventures, des émotions et de la nostalgie d’une Française qui a passé 10 ans au Liban, avant de repartir pour la France avec son époux libanais et ses enfants.


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D’une grève à l’autre

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