Le leader des FL a évoqué avec Akram Chehayeb la tension entre le Premier ministre et le chef du PSP. Photo Aldo Ayyoub
La polémique qui oppose depuis dimanche le chef du Parti socialiste progressiste (PSP), l’ancien député Walid Joumblatt, au Premier ministre Saad Hariri continue de s’envenimer.
Le leader druze avait dénoncé dimanche les empiètements du ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, sur les prérogatives du Premier ministre, comme si le premier s’était substitué au second pour former le cabinet, sans se heurter à aucune forme de résistance. Outre la manière de M. Bassil de se présenter comme ayant levé tous les obstacles à la formation du cabinet et de paraître comme tranchant à l’avance des points litigieux de la déclaration ministérielle – comme la question du retour des réfugiés syriens –, le PSP dénonce le mutisme de Saad Hariri. C’est une opposition de l’intérieur du cabinet que préconisent les milieux du PSP au nom du respect de Taëf et de la lutte contre les marchés « douteux » qui serviraient entre autres, selon les craintes du PSP, à détourner les prêts d’investissement d’une valeur de 11 milliards de dollars obtenus à la CEDRE.
C’est en tout cas sur le terrain des marchés internes que Walid Joumblatt et Saad Hariri ont surenchéri de part et d’autre hier.
Le Premier ministre a déclaré que « la personne qui (lui) fera face devra démissionner ». « Je continuerai (à travailler) même si je dois rentrer en confrontation avec qui que ce soit. J’ai pris la décision de travailler jour et nuit (…). Nous devons donner en héritage à nos enfants un nouveau pays. Si nous ne le faisons pas, rentrons chez nous », a-t-il ajouté, lors d’une cérémonie au Grand Sérail en présence de hauts fonctionnaires.
Le président Michel Aoun a lui aussi réagi à la polémique, se disant « surpris par ces critiques dirigées contre le gouvernement avant même qu’il n’entame son travail », selon des propos rapportés par le compte Twitter de la présidence. M. Aoun a indiqué que les efforts du nouveau cabinet se concentreront sur la situation économique et sur la lutte contre la corruption ainsi que sur le dossier des réfugiés syriens.
En début de soirée, Walid Joumblatt est revenu à la charge sur Twitter. « Non, Votre Majesté, l’État n’est pas votre propriété ou celle de vos collègues. L’État n’est pas un cahier des charges pour un contrat exclusivement réservé au secteur privé », a-t-il écrit.
Saad Hariri n’a pas tardé à lui répondre, affirmant que « l’État n’est certainement pas notre propriété, mais il ne s’agit pas non plus d’un terrain vague, ouvert à n’importe quel zaïm ou parti ». « Notre projet est clair et a pour objectif de sauver l’État des déficits », a-t-il affirmé.
(Lire aussi : Gouvernement : Bassil en première ligne !, le décryptage de Scarlett HADDAD)
Motifs de Joumblatt
Ces nouveaux échanges, auxquels s’est invité hier le chef de l’État, font dire à un cadre du PSP que « le Premier ministre est devenu d’une manière inédite réfractaire à toute critique », comme s’il agissait sous l’influence d’un « Premier ministre de l’ombre », en l’occurrence Gebran Bassil, représentant lui-même le chef de l’État. N’est-ce pas aller trop loin dans la critique du Premier ministre, d’autant que l’étau se resserre de plus en plus sur Walid Joumblatt : il subit d’une part les pressions du mandat Aoun (discours ultrachrétien hostile à la réconciliation de la Montagne de 2001), et de l’autre celles des figures pro-Assad, qui agissent de l’intérieur de la communauté druze pour mettre en cause son leadership. Le statu quo obtenu avec le Hezbollah ressemble en tous points à une épée de Damoclès.
Pourquoi dès lors attaquer de plein front Saad Hariri ? Selon le cadre du PSP, le Premier ministre aurait dépassé un seuil qui prouve qu’il s’est détaché de Walid Joumblatt – en attribuant par exemple le portefeuille des réfugiés syriens au ministre qui répond au député Talal Arslane, l’un des rivaux pro-Assad de Walid Joumblatt. Du reste, Walid Joumblatt n’a rien dit de plus que ceux qui, au sein du camp haririen, ont critiqué le compromis présidentiel, à leur tête l’ancien Premier ministre Fouad Siniora. « Nous tenons à notre relation avec le courant du Futur, avec lequel nous avons mené des batailles stratégiques (l’intifada de 2005, NDLR), mais nous demandons que Saad Hariri sorte de sa passivité à l’égard de Gebran Bassil », précise le cadre.
L’une des preuves de cette « passivité » serait à chercher dans ce que Walid Joumblatt a appelé « Paris II », à savoir la rencontre Hariri-Bassil à Paris, à deux jours de la formation du cabinet. Selon nos informations, trois réunions successives auraient eu lieu entre Gebran Bassil et Saad Hariri à Paris, en présence d’un homme d’affaires libanais, pour peaufiner la composition du nouveau gouvernement « à la mesure du CPL », selon les détracteurs de Saad Hariri. Ces réunions auraient en tout cas renouvelé le compromis présidentiel mis sur pied à Paris trois ans auparavant lors de rencontres bilatérales similaires. D’ailleurs, le président des Forces libanaises (FL) Samir Geagea, présent par hasard à Paris au même moment, aurait rencontré Saad Hariri à part, alors que les efforts en vue d’une réunion tripartite avec Gebran Bassil ont échoué, selon un observateur politique indépendant.
(Lire aussi : Déclaration ministérielle : le plus dur reste à faire)
Les FL à équidistance
Hier, le ministre de l’Éducation Akram Chehayeb s’est rendu à Meerab, où il s’est entretenu avec M. Geagea en présence de l’ancien député Antoine Zahra. En dépit de leurs réserves sur la teneur des échanges, les milieux FL précisent que leur parti se tient à équidistance de Walid Joumblatt et de Saad Hariri, qui restent des « alliés politiques » – sur la question de la souveraineté de l’État ou encore Taëf –, en dépit de « divergences sur certains dossiers », comme le dossier des réfugiés syriens, selon la lecture des FL.
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commentaires (8)
Le problème avec nos soi-disant responsables, c'est qu'ils ne savent toujours pas ce que cela signifie réellement d'être ministre ! Pour eux, faire partie d'un gouvernement = 1) le titre + le salaire + les nombreux avantages 2) rafler autant de bénéfices financiers possibles...qui disparaîtront dans leurs poches 3) surtout ne jamais indisposer leurs nombreux sponsors...libanais et non-libanais Le Liban pour eux, reste donc ce supermarché dans lequel chacun se sert selon ses besoins, quitte à se quereller avec "un autre" qui voudrait se servir dans le même rayon ! Irène Saïd
Irene Said
15 h 27, le 05 février 2019