Le nouveau bâtiment du ministère de la Santé, à Jnah. Dans le nouveau gouvernement de Saad Hariri, ce ministère a été attribué au Hezbollah.Photo tirée de la page Facebook du ministère
Au lendemain de l'annonce de la formation du gouvernement de Saad Hariri, le nouveau ministre de la Santé, Jamil Jabak, pourtant nommé par le Hezbollah, a expliqué vendredi qu'il n'appartenait pas au parti chiite, ce qui permet ainsi d'éviter, selon lui, les sanctions américaines contre la formation de Hassan Nasrallah, dont il est le médecin personnel.
"Je n'appartiens à aucun mouvement politique", a assuré M. Jabak dans un entretien accordé dans la journée à Radio Liban Libre. "Le ministère de la Santé est un ministère de services de premier plan qui agit en faveur de la santé du peuple libanais", a-t-il dit. "Sur le principe, le Hezbollah a choisi un ministre non partisan afin d'éviter toute conséquence ou problème qui pourrait survenir au cas où un ministre partisan était nommé, notamment dans le cadre des sanctions américaines", a ajouté le ministre.
Dans la soirée, le département d'Etat américain a exprimé "son inquiétude que le Hezbollah, une organisation désignée comme terroriste par les Etats-Unis, continue à occuper des postes ministériels et soit autorisé à nommer le ministre de la Santé publique", au lendemain de la tant attendue formation du nouveau gouvernement libanais. "Nous appelons le nouveau gouvernement à s'assurer que les ressources et services mis à disposition de ses ministères ne soutiennent pas le Hezbollah", a déclaré le porte-parole du département d'Etat, Robert Palladino.
Quelques heures avant l'annonce de la formation du gouvernement de Saad Hariri, le secrétaire adjoint américain au Trésor pour la Lutte contre le financement du terrorisme, Marshall Billingslea, en visite à Beyrouth, avait lancé une mise en garde aux autorités libanaises sur le dossier du financement du Hezbollah. "Si nous voyons que le Hezbollah tente d’exploiter, comme il en a l’intention, n’importe quel ministère qu’il aura obtenu, pour faire passer de l’argent ou toute autre activité en soutien à son agenda terroriste, nous aurons de graves problèmes avec cela", a-t-il déclaré lors d'un entretien avec des journalistes.
Dans le cadre du nouveau gouvernement, le Hezbollah a décroché le ministère de la Santé, avec Jamil Jabak, le ministère de la jeunesse et des Sports, avec Mohammed Fneich, et le ministère d’État pour les Affaires du parlement avec Mahmoud Qomati.
La question de l'attribution du ministère de la Santé au parti chiite a fait couler beaucoup d'encre lors du processus de formation du cabinet.
A la mi-janvier, le sous-secrétaire d’État américain pour les Affaires politiques, David Hale avait déclaré, lors d'une visite à Beyrouth : "Le choix du gouvernement est un choix appartenant exclusivement aux Libanais. Mais le type du cabinet choisi nous concerne tous. D’autant que ce qui nous intéresse est un Liban stable et prospère". Une façon pour M. Hale d’exprimer l’opposition américaine à un cabinet taillé à la mesure du Hezbollah. Dans le cadre de cette visite, des sources proches de Walid Joumblatt, grand ami de David Hale, avaient indiqué à L'Orient-Le Jour qu’aux yeux des Américains, l’attribution du ministère de la Santé à une personnalité gravitant dans l’orbite du parti chiite pourrait bien avoir des conséquences néfastes sur le Liban.
(Lire aussi : Formation du gouvernement libanais : les messages de félicitations affluent)
En décembre dernier, L'Orient-Le Jour avait interrogé plusieurs analystes sur les éventuelles conséquences, pour le Liban, d'une attribution du portefeuille de la Santé au Hezbollah, à l’heure où le parti chiite ploie sous le poids des dernières sanctions américaines.
Un analyste politique proche du dossier et de Washington, et ayant requis l’anonymat, avait indiqué que le Hezbollah a "plus que jamais besoin du ministère de la Santé, après que les dernières sanctions américaines (entrées en vigueur en août puis en novembre derniers) ont durement frappé l’Iran et amoindri les rentrées financières du parti, d’autant plus que ce dernier a été placé en octobre dernier par les États-Unis sur la liste des groupes impliqués dans le crime organisé". "Le Hezbollah a besoin du ministère de la Santé car il doit être autosuffisant maintenant. Ce ministère dispose d’environ 338 millions de dollars par an, et possède donc le quatrième plus grand budget après les ministères de la Défense, de l’Intérieur et de l’Éducation", estimait l’expert. "Le parti chiite a besoin de satisfaire sa base populaire en lui assurant des aides médicales car il ne peut plus lui donner de l’argent. C’est également important pour soigner ses combattants blessés en Syrie", avait-il ajouté.L'expert avait, par ailleurs, souligné que les amendements apportés en septembre dernier à la loi intitulée Hezbollah International Financing Prevention Amendments Act (Hifpa, loi votée en 2015 par le Congrès sur les sanctions contre le Hezbollah) pourraient avoir un impact sur le fonctionnement du ministère de la Santé s'il venait à être attribué au Hebollah. "Les sanctions américaines ne visent plus seulement les personnes qui soutiennent le Hezbollah, mais elles peuvent également toucher les agences ou institutions rattachées à des gouvernements étrangers qui donnent des aides militaires ou financières au Hezbollah. Elles peuvent également viser les sociétés qui font des transactions en dollars américains ou qui vendent des équipements américains, ce qui veut dire que le ministère sera sanctionné si les Américains estiment qu’il est en train d’être utilisé pour offrir de l’aide au Hezbollah", soulignait l’expert, qui craignait même que les États-Unis en arrivent à interdire l’exportation de leurs médicaments vers le Liban. Sur ce dernier point, l'expert estimait que le Liban ne devrait pas, selon lui, importer de médicaments d'Iran, ces derniers n'étant "pas conformes aux normes internationales suivies au Liban par le syndicat des importateurs de médicaments et le syndicat des producteurs de médicaments".
Un scénario auquel n'adhérait pas le journaliste et analyste politique Kassem Kassir, proche du 8 Mars, qui avait minimisé l’impact des sanctions américaines sur le secteur de la santé et écarté la possibilité d’une pénurie de médicaments. "Il y a déjà des importations de médicaments iraniens, syriens et même turcs. Les sociétés libanaises pourraient elles-mêmes produire des médicaments, mais je ne pense pas qu’on va en arriver là. Si les États-Unis poussent le bouchon trop loin, ils pourraient produire l’effet inverse et jeter le Liban dans les bras du Hezbollah et de l’Iran, ce qu’ils veulent éviter", analysait-il. Pour M. Kassir, l’insistance du Hezbollah à accéder à un ministère dit de services s’expliquait par le fait que le parti veut renforcer sa présence sur la scène intérieure libanaise "pour faire face à la corruption et offrir des services à l’ensemble des Libanais". L’analyste estimait par ailleurs que le Hezbollah "cherche plus de crédibilité à travers son implication au sein de l’État et sur la scène locale" et qu’il "n’a pas intérêt maintenant à régner seul au Liban".Vendredi, M. Jabak a démenti les informations sur l'importation de médicaments iraniens. "Nous sommes engagés par les lois du ministère de la Santé sur l'importation de médicaments et nous n'élaborerons pas de nouvelles lois", a-t-il affirmé. "Nous allons poursuivre le travail entrepris par (son prédécesseur) Ghassan Hasbani concernant la baisse des prix des médicaments".
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commentaires (12)
Si on considère qu'un médecin est avant tout un médecin (c'est le cas partout dans le monde)alors Jamil Jabak sera un ministre de la santé de tous les libanais. C'est aussi simple que ça.
Sarkis Serge Tateossian
21 h 49, le 02 février 2019