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Liban - Eclairage

Saad Hariri : récit d’un parcours heurté

Durant toutes ces années, il est arrivé plusieurs fois au Premier ministre libanais, tel le phénix, de resurgir au sommet au moment précis où on le croyait à terre.

Le Premier ministre libanais Saad Hariri, le 11 septembre 2018, devant le siège du TSL à La Haye. Bas Czerwinski/Pool via REUTERS

L’homme qui s’apprête, à 48 ans, à diriger son troisième gouvernement depuis 2009 est une figure déjà très familière du maelstrom politique libanais, dans lequel il fut brutalement propulsé il y a près de 14 ans. Depuis, évoluant sur un terrain archiminé, il suit un parcours chaotique, alternant les fortunes les plus diverses. Durant toutes ces années, il lui est arrivé plusieurs fois, tel le phénix, de resurgir au sommet au moment précis où on le croyait à terre.

À l’origine, Saad Hariri est l’un de ces nombreux « héritiers malgré lui » que l’on rencontre au Liban, un pays où l’assassinat politique a été pratiqué à si grande échelle que c’en était devenu le principal vecteur de rajeunissement des élites politiques. Rien ne préparait, en effet, le deuxième fils de Rafic Hariri à revêtir aussi inopinément les habits politiques de son géant de père après le séisme du 14 février 2005. L’envergure qu’avait acquise l’ancien Premier ministre était telle que le poids écrasant de la comparaison avait de quoi dissuader les plus expérimentés. Et pourtant, à l’appel de la famille, Saad accepte de reprendre le flambeau. La tâche est loin d’être facile, d’autant plus que le jeune homme, formé aux affaires, avait encore tout à apprendre des subtilités de la politique libanaise.

À l’heure où le pays s’engouffrait dans une longue et profonde crise, lui devait entamer son apprentissage. Ce passage obligé, il aurait pu l’aborder sereinement s’il s’était trouvé dans une position différente. Mais pour le nouveau chef du courant du Futur, la formation politique de loin la plus puissante à l’époque en termes de poids parlementaire, cela ne pouvait se faire que dans l’urgence.


(Découvrez, ici, la composition du nouveau gouvernement Hariri)


Des années plus tard, de nombreux Libanais de tous bords penseront que Saad Hariri est resté novice en politique et que son envergure est loin d’égaler celle de son père. C’est oublier qu’il a fallu plus d’une décennie et bien des déconvenues à Rafic Hariri pour atteindre la maturité politique et la stature locale, régionale et internationale qu’il avait au moment de sa mort.

Devant la complexité de la crise que traverse le Liban depuis les événements de 2005, il est souvent arrivé à Saad, comme il l’admet d’ailleurs lui-même, de tâtonner, de commettre des erreurs. Or jusqu’ici, personne n’a été en mesure de préciser, de façon incontestable, quelles étaient ces erreurs : pour les uns, il a trop donné, trop cédé, trop reculé. Pour les autres, pas assez. Chacun, de son point de vue, a peut-être raison…


Le premier gouvernement

Le 27 juin 2009, dans la foulée des législatives ultrapolarisées qui ont vu la victoire de l’alliance du 14 Mars sur le Hezbollah et ses alliés, le président Michel Sleiman désigne Saad Hariri pour former le gouvernement. Près de cinq mois s’écouleront avant que le cabinet – d’ « union nationale », malgré les résultats du scrutin – soit mis sur pied. Il comprendra trente ministres, dont dix pour le camp du 8 Mars (y compris le CPL), soit un de moins que le tiers de blocage. Un compromis avait été trouvé avec la désignation d’un chiite censé être indépendant, Adnan Sayyed Hussein, parmi le groupe de ministres relevant du président de la République.

S’étant rallié, par nécessité, à la logique du consensualisme, imposée surtout par le Hezbollah pour pallier ce qu’il considère comme un déficit constitutionnel au détriment des chiites dans tout ce qui a trait au pouvoir exécutif, Saad Hariri apprendra, mois après mois, à naviguer entre les obstacles et les blocages. À l’époque, l’économie se porte plutôt bien, le Liban échappe à la crise mondiale : lentement, poussivement, mais sûrement, le cabinet avance… Son bilan n’est pourtant pas lourd, et à partir de septembre 2010, la situation se complique ; le gouvernement est paralysé par la crise des « faux témoins », un épisode entrant dans le cadre des tentatives du Hezbollah de faire échec aux travaux du Tribunal spécial pour le Liban (TSL). Les rapports à l’intérieur du cabinet se détériorent à l’heure où le Premier ministre donne des signes de faiblesse en tentant de renouer avec la Syrie de Bachar el-Assad (la révolte syrienne n’allait commencer que quelques mois plus tard), dans le cadre d’efforts visant à une entente régionale entre Damas et Riyad.


(Lire aussi : Qui sont les femmes ministres du gouvernement Hariri?)


Au plus fort de la cassure, le 12 janvier 2011, au moment même où Saad Hariri est reçu à la Maison-Blanche par le président Barack Obama, onze ministres du gouvernement, les dix du 8 Mars (dont le CPL) plus Adnan Sayyed Hussein (qui quitte ainsi son statut neutre) annoncent à Beyrouth leur démission, contrevenant à un engagement de ne pas démissionner collectivement pris lors de l’arrangement de Doha, en 2008. Le gouvernement est, du coup, renversé. L’axe syro-iranien est pointé du doigt.


Les « chemises noires »

Des consultations parlementaires s’ensuivent au cours desquelles la majorité parlementaire continue de se prononcer en faveur de Saad Hariri. Des pressions sont alors exercées pour prolonger les consultations et tenter d’arracher le bloc joumblattiste au camp haririen. C’est la fameuse séquence des « chemises noires » au cours de laquelle des centaines de militants du Hezbollah descendront dans les rues pour créer un climat d’intimidation. Avec le succès que l’on sait : au final, le bloc de Walid Joumblatt se scinde en deux groupes, 7 députés (sur 11), dont le chef du PSP lui-même, se ralliant à l’option Nagib Mikati. Ce dernier, issu lui-même des rangs de l’ex-majorité, n’était certes pas un premier choix pour le Hezbollah, mais le parti de Dieu s’étant rallié à la logique du tout-sauf-Hariri, il se voit contraint de se rabattre sur cette option afin d’être en mesure de faire basculer la majorité. Pour Saad Hariri, ce sera le début d’une longue traversée du désert, au cours de laquelle il s’exilera à l’étranger en mettant en avant des raisons de sécurité.

Deux ans s’écoulent. Le Liban vit à l’heure de la guerre syrienne et en subit les contrecoups de plein fouet. Le gouvernement Mikati, qui peine à mettre en œuvre une politique de « distanciation » pendant que le Hezbollah s’implique de plus en plus ouvertement aux côtés du régime syrien, finit par exploser, vaincu par ses divisions, en mars 2013. L’expérience d’un cabinet 8 Mars-indépendants a vécu.

Mais en dépit du retour du 14 Mars, et notamment du courant du Futur, aux affaires, l’heure n’est pas encore au rétablissement de Saad Hariri. Ce sera un allié de ce dernier, Tammam Salam, qui sera désigné pour succéder à Nagib Mikati. Il aura à gérer encore davantage de contradictions et de problèmes sécuritaires que sous le cabinet précédent. Confronté essentiellement à la menace jihadiste venue de Syrie à l’est, mais aussi à l’énorme crise des déchets à partir de 2015, le gouvernement Salam souffrira gravement d’un déficit d’autorité, notamment avec la vacance présidentielle qui s’installe dès le printemps 2014.


Genèse d’un compromis

Le vide s’éternise. Fin 2015, conscient de la nécessité de donner un coup de pied dans la fourmilière afin de sortir de l’impasse, Saad Hariri, qui cherche également à revenir en force sur la scène politique, lance une initiative audacieuse : il proclame son soutien à la candidature de Sleiman Frangié à la présidence, créant ainsi l’embarras au sein du 8 (et du 14) Mars. Au final, il ne réussira pas à imposer ce dernier et se ralliera in extremis à celle du chef du CPL, Michel Aoun. C’est ce ralliement – après celui du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, des mois plus tôt – qui débloquera la situation. Fin octobre 2016, Michel Aoun est élu président. Quelques jours plus tard, il nomme Premier ministre l’homme dont il souhaitait, en 2011, qu’il ne soit muni, à son départ du Liban, que d’un « aller simple ».

L’accord conclu entre Aoun et Hariri a pour conséquence immédiate de mettre pratiquement fin à la polarisation politique entre camps du 8 et du 14 Mars. Le Premier ministre désigné, qui forme son second gouvernement assez rapidement (eu égard aux normes libanaises), en espère un recentrage politique de Aoun et du CPL, qui les éloignerait du Hezbollah.

De fait, une étroite collaboration gouvernementale s’instaure entre les deux pôles de l’exécutif et, au-delà, avec le courant orange désormais placé sous la houlette de Gebran Bassil. Une collaboration de laquelle Samir Geagea, allié traditionnel de Saad Hariri, prendra ombrage… Tout comme l’Arabie saoudite, quelque temps après. De leur côté, le président et ses proches donnent quelques gages politiques et diplomatiques à leur nouveau partenaire, tout en cherchant à maintenir un lien stratégique minimal avec le Hezbollah.

Le 4 novembre 2017, Saad Hariri se retrouve une fois de plus à terre. C’est l’épisode de la démission-surprise mise en scène à Riyad, dans une démarche des plus inédites. On dit le Premier ministre du Liban séquestré. On connaît la suite, l’opération d’ « exfiltration » conduite par Emmanuel Macron, le retour triomphal à Beyrouth, le gel de la démission, le resserrement de la politique de « distanciation » à l’égard des axes régionaux…


Le pragmatisme au pouvoir

Conforté dans sa démarche pragmatique et modérée qui avait tant déplu à l’homme fort du royaume saoudien, le prince Mohammad ben Salmane, Hariri repart de plus belle, tout en donnant quelques gages à MBS (comme le départ de son conseiller Nader Hariri, promoteur de la « realpolitik » haririenne). Malgré quelques couacs, son partenariat avec le président Aoun et le CPL de Gebran Bassil se révèle viable et même fructueux, parfois. Les deux formations politiques scellent une entente entre elles sur de nombreux dossiers, quitte à mécontenter les autres composantes gouvernementales… Et une bonne partie de l’opinion publique, que la persistance de la crise économique, l’échec des politiques mises en place sur les dossiers brûlants de l’électricité et des déchets ménagers, et le sentiment que rien de sérieux n’est fait pour en finir avec la corruption pousse quasiment à désespérer de l’avenir du pays.

Face à cette situation, le Premier ministre s’efforce de mobiliser la communauté internationale au chevet du pays. Les conférences internationales se succèdent, notamment CEDRE, à Paris en avril 2018, lors de laquelle plus de onze milliards de dollars sont promis au Liban, moyennant les réformes structurelles qu’aucun gouvernement n’a, jusqu’ici, réussi à mettre en œuvre.

C’est dans ce contexte que surviennent les élections législatives du 6 mai. Le changement de mode de scrutin fera perdre au courant du Futur pas moins d’une douzaine de sièges à la Chambre. Mais Saad Hariri conserve plus que jamais le leadership sunnite. De ce fait, et à la lumière de la dérive du système politique vers une espèce de fédéralisme communautaire, confortée par les circonstances de l’élection de Michel Aoun à la présidence (le triomphe du principe selon lequel les hauts postes de l’État doivent revenir aux personnalités les plus représentatives de leurs communautés respectives), Hariri reste un incontournable Premier ministre.

Il l’est également parce que la communauté internationale continue de voir en lui un interlocuteur sérieux, modéré et pragmatique. Il est ainsi perçu à la fois comme une garantie pour que le Liban ne bascule pas entièrement dans le giron de l’axe iranien et comme un homme d’État prudent et réaliste, fuyant tout aventurisme. Ses déclarations au sujet des suites à donner au verdict attendu du TSL et la nécessité de préserver à tout prix la stabilité du Liban en sont une démonstration. Tout comme son ouverture sur Moscou – son ostpolitik en quelque sorte – qui en fait l’interlocuteur privilégié de Vladimir Poutine au Liban alors même que ce dernier parraine le régime syrien et s’impose jour après jour comme un arbitre incontournable dans la région.

De fait, la force de Saad Hariri est bien là : à l’image de son père (plus ou moins, cela n’a plus d’importance), il reste, aujourd’hui, de tous les hommes politiques libanais, celui qui peut faire ouvrir le plus de portes devant lui : celle de M. Poutine autant que celle d’Emmanuel Macron et de Donald Trump. Même MBS semble avoir fini par y souscrire…



L’homme qui s’apprête, à 48 ans, à diriger son troisième gouvernement depuis 2009 est une figure déjà très familière du maelstrom politique libanais, dans lequel il fut brutalement propulsé il y a près de 14 ans. Depuis, évoluant sur un terrain archiminé, il suit un parcours chaotique, alternant les fortunes les plus diverses. Durant toutes ces années, il lui est arrivé...

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