C’est depuis Baabda que les députés sunnites gravitant dans l’orbite de l’axe syro-iranien ont douché les efforts déployés récemment par le président de la République Michel Aoun, en vue de permettre au Premier ministre désigné Saad Hariri de franchir l’obstacle sunnite né de l’insistance du Hezbollah à intégrer ses alliés sunnites à l’équipe ministérielle.
Dans le cadre de son initiative gouvernementale lancée lundi dernier, le chef de l’État s’est entretenu hier à Baabda avec les députés sunnites regroupés sous la houlette de la Rencontre consultative. Il s’agit de Abdel Rahim Mrad (Békaa-Ouest), Fayçal Karamé (Tripoli), Adnane Traboulsi (Beyrouth), Walid Succarié (Baalbeck-Hermel), Jihad el-Samad (Denniyé) et Kassem Hachem (Marjeyoun). Loin de leur proposer une initiative dans le plein sens du terme comme l’a confié M. Karamé, le chef de l’État a rappelé la gravité des dangers qui guettent le pays et la nécessité de former un cabinet dans les plus brefs délais afin de pouvoir y faire face. Selon une source proche de Baabda contactée par L’Orient-Le Jour, M. Aoun aurait également mis l’accent sur l’importance de faire des sacrifices dans l’intérêt du pays, dans ce qui sonne comme un appel lancé aux adversaires de Saad Hariri de lui faciliter la tâche.
Sauf que contrairement à ce qu’aurait pu espérer Michel Aoun, les parlementaires en question ne semblent aucunement disposés à faire des concessions. Vus sous cet angle, les propos tenus par Walid Succarié à l’issue de la rencontre avec le président Aoun revêtent une importance capitale. « Rien ne prête à croire que la question sunnite sera résolue. Et pour cause : le Premier ministre désigné campe toujours sur ses positions et refuse de reconnaître les résultats des législatives », a déclaré le député de Baalbeck-Hermel, assurant toutefois que la Rencontre appuie l’initiative Aoun. « Le Premier ministre tient à ce que le courant du Futur monopolise la représentation de la communauté sunnite, alors que le pluralisme est respecté avec toutes les autres », a encore dit M. Succarié avant d’ajouter : « Nous sommes six députés alliés et nous avons le droit de prendre part à un cabinet d’union nationale, à l’instar des autres protagonistes ». Soulignant que « le président de la République reconnaît le droit de ces parlementaires dans la mesure où ils représentent une proportion du peuple », Walid Succarié a rappelé que « la Rencontre consultative a fait plusieurs concessions, notamment en gardant au chef du gouvernement le choix de nommer son représentant au cabinet ». Mais face à son insistance injustifiée, « nous tenons à obtenir un portefeuille », a-t-il lancé, assurant que la balle est exclusivement dans le camp de Saad Hariri.
Il va sans dire qu’une telle prise de position de la part des sunnites pro-Damas est à même de porter un coup sévère au processus gouvernemental et de freiner l’initiative du chef de l’État. Une impression que les milieux proches de Baabda ne partagent aucunement. D’ailleurs, Michel Aoun s’est monté particulièrement optimiste hier. Devant ses visiteurs, le président a déclaré qu’il a commencé à œuvrer en faveur d’un déblocage de la crise ministérielle. « Les résultats devraient apparaître dans les deux prochains jours, en vue de ramener les choses à la normale », a-t-il encore dit.
À la faveur de cet optimisme, des proches de la présidence expliquent à L’OLJ que M. Aoun poursuivra ses contacts loin des feux de la rampe afin de pouvoir accélérer la genèse de l’équipe Hariri. « Ces concertations devraient englober les protagonistes concernés par l’obstacle actuel », ajoute-t-on de même source. On fait également savoir que le locataire de Baabda attend le retour de Saad Hariri afin d’évaluer le processus gouvernemental à la lumière des contacts de M. Aoun.
(Lire aussi : Quelles sont les ambitions du Hezbollah dans le prochain cabinet ?)
Hariri-Bassil
Quoi qu’il en soit, le Premier ministre désigné semble de plus en plus déterminé à faire face au forcing effectué par le Hezbollah pour intégrer les députés sunnites du 8 Mars à son cabinet. Dans une conversation à bâtons rompus avec les journalistes en marge du Forum libano-britannique des affaires et des investissements, tenu à Londres, M. Hariri n’a pas mâché ses mots : « Je suis prêt de même que les noms et la répartition des portefeuilles. Tout le monde connaît la source du blocage. Et le pays a besoin d’un gouvernement. Point à la ligne. » Le président de la République mène des contacts, et nous faisons notre devoir, et espérons des résultats positifs », a encore dit M. Hariri. Selon notre correspondante Hoda Chedid, ce dernier s’est entretenu hier à Londres avec le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil. Les deux hommes en ont saisi l’occasion pour passer en revue de « nouvelles idées » concernant la formation du gouvernement.
Expliquant la teneur des propos du chef du gouvernement, un proche de la Maison du Centre confie à L’OLJ que M. Hariri a profité de son dernier entretien avec le chef de l’État, tenu lundi à Baabda, pour réitérer son refus catégorique d’intégrer un député sunnite du 8 Mars à son cabinet. Et qu’il n’entend pas faire des concessions à ce sujet.
Quant au président de la Chambre Nabih Berry, il a réitéré hier, lors des audiences hebdomadaires du mercredi, son forcing pour la formation d’un gouvernement. « Nous avons besoin d’une équipe homogène qui s’acquitterait de ses responsabilités pour faire face aux défis qui guettent le pays », a-t-il lancé.
Plus tôt dans la journée, M. Berry s’était réuni avec Nagib Mikati, député de Tripoli. S’exprimant à l’issue de la rencontre, l’ex-Premier ministre a fait état d’un « optimisme prudent » qu’éprouve le chef du législatif à l’égard des tractations gouvernementales.
À une question portant sur un éventuel abandon de son accord avec Saad Hariri, et à la faveur duquel le Premier ministre lui accorderait un siège sunnite afin d’inclure les députés de la Rencontre consultative, M. Mikati a répondu en rappelant que cela relève de la compétence du chef du gouvernement. Il a toutefois tenu à nuancer ses propos : « Je ne renoncerai pas au droit de notre bloc à prendre part au cabinet. Et je me suis entendu avec M. Hariri sur ce point. »
(Lire aussi : Face aux efforts de Aoun, le Hezbollah campe sur ses positions)
Un cabinet de dix-huit ?
En attendant l’issue des contacts de M. Aoun, certains médias locaux ont évoqué hier la possibilité de former un gouvernement de 18 ministres. Une formule à laquelle Saad Hariri s’est dit favorable, à l’heure où selon l’agence locale al-Markaziya, le Hezbollah semble s’y opposer. Quoi qu’il en soit, le ministre sortant des Finances, Ali Hassan Khalil, conseiller politique de Nabih Berry, a déclaré : « Personne ne nous a proposé une mouture de 18. Et nous ne voulons pas faire marche arrière. »
Gebran Bassil, lui, a indiqué en marge du forum économique de Londres que son camp (Baabda-CPL) n’a aucun problème avec une formule de 18 ou de 24. « Nous ne sommes pas attachés au tiers de blocage. D’autant que c’est l’opposition et non le camp loyaliste qui en a besoin », a-t-il poursuivi. Et d’ajouter : « Nous tenons à la quote-part que nous méritons, à savoir onze ministres, l’addition du lot du CPL et du chef de l’État. »
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commentaires (16)
Quand on y songe c’est tout de même très intriguant : on demande d’intégrer dés ministres dans un gouvernement national libanais qui ont prêté allégeance à une puissance voisine mais étrangère ...on a beau tourner le concept dans tous les sens cela n’est en rien logique et cette situation ne se voit nulle part. On l’a vu avec les ministres communistes en France mais le Général de Gaulle les a virer une fois avoir fait un premier test catastrophique pour la nation alors que , à l’issue des élections, le Parti communiste était le deuxième parti de France. Les ministres communistes prenant les directives de Moscou directement....Comment voulez vous expliquer cela et comment voulez vous faire gober cela à la majorité des libanais et au monde qui nous entoure ?
L’azuréen
21 h 37, le 13 décembre 2018