Depuis le début de l’épisode des sunnites antihaririens dont la demande de se faire représenter au sein du gouvernement est soutenue par le Hezbollah, les yeux sont rivés sur le parti chiite accusé de manipuler cette carte pour mieux protéger ses arrières et les intérêts de son sponsor iranien dans un contexte international qui lui est défavorable.
L’insistance de ce parti à défendre bec et ongles la requête de ses alliés sunnites en dépit du rejet catégorique du Premier ministre désigné, Saad Hariri, a soulevé de nombreuses interrogations sur les objectifs réels du Hezbollah à travers cette manœuvre et ses ambitions au sein du prochain gouvernement. Que cherche donc à faire valoir le parti chiite et à quel type de gouvernement aspire-t-il ?
Car, par-delà les enjeux complexes que posent notamment les nouvelles sanctions américaines qui le visent ainsi que Téhéran, le Hezbollah chercherait à délimiter son nouveau territoire politique à la lumière de nouveaux rapports de force qu’il tente d’imposer sur la scène interne.
Après avoir longtemps rechigné à se faire représenter au sein de l’exécutif, notamment à l’époque où le régime syrien avait une mainmise sur les rouages de la politique interne libanaise, protégeant de facto les intérêts stratégiques de la « résistance », le Hezbollah a progressivement modifié sa tactique après le départ des troupes syriennes, en 2005, puis du fait des résultats de la guerre de 2006 et, tout dernièrement, après les derniers développements dans le conflit syrien. Il préfère désormais investir l’exécutif pour avoir sa part dans le jeu clientéliste interne et mieux servir sa base populaire, étant donné que la manne financière iranienne est appelée à se réduire comme peau de chagrin.
Depuis les législatives de mai plus précisément, le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, a clairement affirmé que son parti n’avait pas l’intention de gaspiller la moindre quote-part qui lui revenait de droit.Pour certains, le parti chiite est actuellement en position « défensive » du fait de l’étau qui se resserre autour de lui et chercherait, coûte que coûte, à trouver refuge dans un gouvernement où les équilibres pencheraient en sa faveur, de sorte à s’assurer une légitimité et la sauvegarde de ses acquis.
Pour d’autres, le Hezbollah n’a cure des sanctions américaines qui ne feraient que l’égratigner à peine, le parti n’ayant jamais été aussi puissant et confiant. Il serait par conséquent dans une position plutôt offensive, cherchant à imposer l’équation qu’il souhaite, un avis que l’on entend plutôt dans des milieux qui lui sont favorables.
Selon les tenants de cette thèse, en se ralliant à la cause des sunnites pro-8 Mars, le Hezbollah cherche tout simplement à redorer son blason en encourageant la mixité intercommunautaire sur le plan politique, exprimant ainsi une volonté de démontrer qu’il entretient des liens de solidarité et des alliances non seulement avec les chrétiens, représentés par le CPL mais également les sunnites, voire même les druzes. « C’est une question d’image symbolique qu’il voudrait projeter à l’extérieur, celle d’un parti qui n’est pas aussi monochrome qu’on l’affirme », estime en substance Ahmad Moussalli, politologue.
(Lire aussi : Face aux efforts de Aoun, le Hezbollah campe sur ses positions)
« Taper du poing sur la table »
M. Moussalli considère qu’il serait donc complètement erroné de croire que c’est un surplus de pouvoir que le parti chiite cherche à acquérir au sein du gouvernement, un ministre en plus ou en moins ne devant peser que très peu dans la balance du Hezbollah. « Le parti n’a qu’à taper du poing sur la table pour obtenir ce qu’il veut », affirme le politologue, qui tient à souligner que « le tiers de blocage n’a plus aucun sens ».
Tout en étant conscient que le Premier ministre ne fléchira pas devant la requête des sunnites antihaririens, le Hezbollah n’en démord pas pour autant. La formule qu’il tend à faire prévaloir est la suivante : soit un gouvernement selon ses desiderata, soit pas de gouvernement du tout, « une équation qui serait un moindre mal que de renoncer à la bataille dans laquelle il vient de s’engager pour démontrer les nouveaux rapports de force en présence », commente Hilal Khachan, professeur de sciences politiques à l’AUB. M. Khachan estime qu’à la lumière des pressions internationales qui le défavorisent, le parti chiite veut un gouvernement au sein duquel il aura les coudées franches. À défaut, il n’en voudra pas du tout. « Comment comprendre sinon qu’il refuse le compromis à ce jour ? » s’interroge le professeur.
C’est ce qui fera dire à une source du camp souverainiste, citée par l’agence al-Markaziya, que ce que le Hezbollah n’a pas réussi à obtenir par la voie d’une réforme constitutionnelle, il l’obtiendra par « la force du fait accompli ». La source faisait allusion à la formule des trois tiers (le tiers chrétien, le tiers sunnite et le tiers chiite) qui se substituerait à la règle de la parité islamo-chrétienne sur laquelle est fondé le système politique libanais.
En bloquant ainsi la formation du gouvernement, le parti chiite tenterait implicitement de mettre fin à l’exclusivité des prérogatives accordées par la Constitution au chef de l’État et au Premier ministre, les seuls à contresigner le décret de formation du cabinet, imposant ainsi un nouvel équilibre des forces.
(Lire aussi : Ce que le Hezbollah attend encore de Aoun)
En outre, en voulant briguer le ministère de la Santé – un portefeuille de services par excellence qui servirait à satisfaire sa base électorale – « le parti pourra ainsi compenser un tant soit peu la raréfaction des aides extérieures depuis la décision américaine d’assécher ses ressources », estime encore M. Khachan.
Une position que tient à nuancer Ahmad Moussalli qui soutient que le « Hezbollah a des réserves financières susceptibles de couvrir ses dépenses pour les dix années à venir ». Et de rappeler le rôle que jouent toutes les associations et institutions hospitalières para-étatiques qui relèvent du Hezbollah, sans nier pour autant que le portefeuille de la Santé profitera dans une certaine mesure aux proches du parti.
Toutefois, dit-il, l’objectif à long terme reste, sans aucun doute, le prestige que pourra tirer le parti chiite qui fait miroiter d’ores et déjà une réduction drastique du prix du médicament qu’il compte mettre en œuvre dès qu’il intégrera le ministère de la Santé. Une mesure extrêmement populaire qui contribuerait, selon plusieurs observateurs, à rétablir son image de « parti réformateur » au sein de la société libanaise dans son ensemble.
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commentaires (10)
Donnez leur la Presdence ce que les ayatollahs veulent . La Perse ( Iran ) voudront aussi la Grece mais ils sont chrétiens Rum Orthodoxe mais alors que peut on faire?
Eleni Caridopoulou
12 h 40, le 29 décembre 2018