Le président de la République, Michel Aoun, a jeté hier un nouveau pavé dans la mare de la formation du gouvernement. À l’heure où un bras de fer oppose Baabda et la Maison du Centre d’un côté, au Hezbollah de l’autre, sur fond de l’insistance du parti chiite à intégrer un député sunnite prosyrien au cabinet, le chef de l’État est intervenu pour tenter d’accélérer le processus gouvernemental. À cette fin, il s’est entretenu hier avec le président de la Chambre Nabih Berry, mais aussi et surtout avec le Premier ministre désigné Saad Hariri. Il s’agit de la toute première rencontre entre les deux hommes depuis le 22 novembre. À l’occasion de la fête de l’Indépendance, les deux pôles de l’exécutif s’étaient réunis avec le président de la Chambre, Nabih Berry, au palais de Baabda.
Outre la redynamisation du processus gouvernemental, l’initiative du chef de l’État revêt de l’importance dans la mesure où elle intervient quelques jours après des propos attribués à Michel Aoun, dans lesquels il aurait fait savoir qu’il pourrait user de son droit – garanti par l’article 53 de la Constitution – d’adresser un message au Parlement, afin d’inciter les protagonistes concernés à aller de l’avant dans les tractations ministérielles. Une démarche que certains observateurs ont interprétée comme une tentative d’arracher à Saad Hariri le mandat parlementaire qui l’avait chargé de former l’équipe ministérielle, et de porter atteinte « aux prérogatives de la présidence du Conseil », comme l’ont dénoncé des ténors de la communauté sunnite, à l’instar des ex-Premiers ministres Tammam Salam et Fouad Siniora. D’autant qu’elle est intervenue à l’heure où les rapports entre Baabda et la Maison du Centre sont récemment passés par des moments de troubles. Et pour cause : Saad Hariri continue d’opposer un veto catégorique à une éventuelle formule gouvernementale de 32 ministres, proposée par le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, mandaté par le locataire de Baabda, pour trouver une issue à la crise gouvernementale.
Sauf que dans les milieux proches de Baabda, on est soucieux de mettre les points sur les i : c’est à la faveur de son sens des responsabilités qu’agit le chef de l’État, souligne un proche du dossier à L’Orient-Le Jour, faisant savoir que la nouvelle phase de contacts « pourrait englober certains protagonistes ayant certaines réserves quant à la mise sur pied du cabinet ». Une allusion à peine voilée au Hezbollah et ses alliés, en l’occurrence les députés sunnites prosyriens qui continuent d’insister pour prendre part au gouvernement. À en croire la LBCI, une délégation du parti chiite serait attendue cet après-midi au palais présidentiel.
De même source, on tient à préciser à L’OLJ que le message au Parlement n’est qu’une option parmi tant d’autres auxquelles le président Aoun pourrait avoir recours dans la mesure où la léthargie est désormais intolérable.
Les mêmes milieux confient que la discussion entre Michel Aoun et Nabih Berry a porté sur les principaux dossiers d’actualité, dont notamment les tractations ministérielles et les développements au Liban-Sud.
Quant à l’entretien Aoun-Hariri, il s’est déroulé dans une atmosphère positive, selon la LBCI. C’est d’ailleurs ce climat d’optimisme que le chef du gouvernement a tenté de distiller à l’issue de la réunion, notamment en ce qui concerne un possible progrès prochainement. « Nous avons discuté des solutions à même de régler la crise. Certaines d’entre elles pourraient bien être envisagées », a-t-il déclaré, avant d’accuser « certains protagonistes » de « ne pas vouloir former un gouvernement ». « Je connais les intentions du président Aoun qui œuvre dans le sens de la mise sur pied de la future équipe ministérielle », a-t-il ajouté, estimant que « le retrait du mandat n’est qu’un parasitage » à son encontre. Et M. Hariri de conclure : « Je voudrais donner une chance au président de la République pour qu’il puisse poursuivre ses contacts. Et je poursuivrai les miens à mon retour de voyage. Je rentrerai samedi ou dimanche. » M. Hariri faisait ainsi allusion à son déplacement à Londres où il devrait prendre part demain à un forum économique libano-britannique. Certains observateurs politiques s’attendent même à la tenue d’une rencontre entre MM. Hariri et Bassil en marge de cet événement.
(Lire aussi : Hariri entre les élans de solidarité et les attaques frontales)
Les prérogatives du Premier ministre
En attendant, le courant du Futur ne cache plus son amertume face au blocage ministériel. Un proche de M. Hariri souligne ainsi à L’OLJ que c’est le Hezbollah qui bloque la formation du gouvernement et met la présidence de la République en confrontation directe avec tous ceux qui défendent et respectent la Constitution. Selon ce proche de M. Hariri, les démarches dont il est actuellement question, notamment l’éventuel message au Parlement, sont à même de « porter atteinte à l’image du sexennat Aoun. Mais Saad Hariri n’envisage aucunement de jeter l’éponge.
Le mufti de la République, le cheikh Abdellatif Deriane, lui, continue d’exprimer ses inquiétudes quant à un éventuel empiétement sur les prérogatives du Premier ministre.
Devant ses visiteurs, le cheikh Deriane a déclaré sans détour : « Les prérogatives du Premier ministre désigné sont l’un des piliers de l’accord de Taëf. Personne ne peut les outrepasser en instaurant de nouvelles coutumes qui vont à l’encontre des textes constitutionnels en vigueur. Il est dangereux de porter atteinte aux pouvoirs du chef du gouvernement désigné, qui œuvre bec et ongles pour former le cabinet qui est devenu un besoin national. »
(Lire aussi : Un retrait de la désignation du Premier ministre est-il possible ?)
Samy Gemayel à la Maison du Centre
La journée d’hier a par ailleurs témoigné de la toute première réunion entre Saad Hariri et le leader du parti Kataëb Samy Gemayel (en sa qualité de fer de lance de l’opposition), depuis leur rencontre au palais de Baabda en mai dernier en marge d’un iftar alors donné par le président de la République.
Étaient présents à la Maison du Centre Élias Hankache, député Kataëb du Metn, ainsi que le ministre sortant de la Culture Ghattas Khoury, conseiller politique de Saad Hariri, et Alain Hakim, ancien ministre de l’Économie (Kataëb). L’occasion pour M. Gemayel de réitérer son appel aux deux pôles de l’exécutif de former ce qu’il appelle « un gouvernement d’experts » qui serait chargé de plancher sur les crises socio-économiques. « C’est la seule façon de sortir de l’impasse actuelle », a souligné le chef des Kataëb, faisant valoir que si sa formation ne prendra pas part au prochain gouvernement, elle est prête à collaborer avec M. Hariri pour la mise en application des réformes exigées par la communauté internationale dans le cadre de la conférence dite CEDRE, tenue à Paris le 6 avril dernier. Plus tôt dans la journée, M. Hariri s’était entretenu avec une délégation du Parti socialiste progressiste conduite par Teymour Joumblatt, député du Chouf (PSP). Celle-ci s’était également rendue à Aïn el-Tiné pour une rencontre avec Nabih Berry.
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commentaires (7)
La démocratie a aussi ses revers ... (le revers de la médaille si vous préférez) Outre-passer la constitution pourquoi pas, dans la vie rien n'est définitivement acquis ! Mais attention à la boîte de pandore, une fois ouverte ... rien ne l'arrêtera ! On commence par pourquoi pas des experts au gouvernement ? Ensuite, pourquoi on n'applique pas la loi de la majorité démocratique, (un homme, une voix) Et tout ça peut aller très loin ... Si l'on considère que la constitution est le garant de l'équilibre de la république, alors préservons-là.
Sarkis Serge Tateossian
15 h 55, le 11 décembre 2018