Les Libanais sont semble-t-il passés maîtres dans la politique du bord du gouffre. C’est du moins l’impression qui se dégage une fois de plus aujourd’hui des informations et supputations selon lesquelles le président Michel Aoun pourrait adresser à l’Assemblée nationale un message dans lequel il s’en remettrait aux députés pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouve le Premier ministre désigné au plan de la formation du gouvernement. En clair, cela reviendrait implicitement à laisser aux parlementaires le choix de décider si oui ou non ils devraient retirer le mandat qu’ils ont accordé à Saad Hariri lors des consultations entreprises en mai dernier pour la désignation d’un chef du gouvernement.
Il serait toutefois étonnant, pour ne pas dire stupéfiant, que le président Aoun puisse s’engager sérieusement dans une telle voie. Sa fonction présidentielle requiert en effet qu’il soit le garant de la Constitution et de la paix civile. Or il n’ignore sans doute pas que la Loi fondamentale ne fixe aucun délai au Premier ministre désigné pour la mise sur pied de son équipe ministérielle. Le président Aoun est, à n’en point douter, le premier à le savoir puisqu’en 2009 la formation du gouvernement avait été bloquée pendant de très longs mois dans le seul but d’imposer l’octroi d’un portefeuille ministériel à Gebran Bassil.
Quant à l’éventualité d’un possible retrait par les députés du mandat octroyé à Saad Hariri, elle est non seulement anticonstitutionnelle, mais elle constitue surtout une atteinte à la paix civile, comme l’ont démontré les réactions fiévreuses enregistrées dans les milieux sunnites qui sont rapidement montés au créneau pour mettre en garde contre toute atteinte aux prérogatives et au rôle du Premier ministre désigné.
C’est précisément au sujet de ce dernier point qu’il convient aujourd’hui, plus que jamais, de tirer la sonnette d’alarme. Et pour cause : bon gré mal gré, l’accord de Taëf obtenu aux forceps en 1989, sous un parrainage arabe et international, a défini un fragile équilibre au niveau de la répartition des pouvoirs entre les principales composantes communautaires dont est constitué le tissu social libanais. Depuis le mandat d’Élias Hraoui, la pratique a dévoilé au grand jour les failles non négligeables qui entachent le document de Taëf. Mais dans le contexte présent vouloir remettre en question, légalement ou même de facto, un seul élément de l’équilibre politique convenu à Taëf reviendrait à jouer avec le feu.
Ceux qui se font le porte-étendard d’un nécessaire changement du système politique ou ceux qui cherchent à imposer via le comportement du président un fait accompli susceptible de transcender les textes constitutionnels ne font qu’ouvrir très dangereusement la boîte de Pandore.
Il ne faudrait pas être Machiavel pour voir et comprendre que tout dialogue à caractère existentiel qui se ferait à l’ombre d’un parti doté, lui seul, d’un imposant arsenal militaire – pour ne citer que ce facteur – serait vicié et faussé à la base. Sans compter qu’il est totalement irrationnel et inconcevable de vouloir remettre sur le tapis certains fondements du système politique en vigueur à un moment où l’ensemble de la région est le théâtre de profonds bouleversements démographiques, sociologiques, géopolitiques et peut-être même culturels. Des bouleversements qui pourraient clairement se répercuter d’une façon ou d’une autre sur le rapport de forces au plan local, de sorte que ce qui pourrait être convenu aujourd’hui risque d’être remis en question demain.
Certes, tout changement institutionnel est souvent le fruit d’une profonde crise ou secousse interne. Les exemples à cet égard sont légion, notamment dans la conjoncture internationale présente. Mais dans un cas d’école comme le Liban, il serait hasardeux d’initier une quelconque réforme constitutionnelle alors que l’environnement régional immédiat est en pleine mutation. Et, surtout, une réforme à caractère institutionnel ne peut faire l’objet d’une réflexion saine et rationnelle que dans un climat de paix civile, dans une atmosphère sereine, loin du déchaînement des passions. Dans le cas contraire, un changement imposé par la coercition ne serait indubitablement qu’une nouvelle source de discorde et de conflit interne sans fin.
commentaires (11)
fallait il tout aussi bien donner a l'armee "l'autorisation" de proceder au liban du sud DEJA NON? et la je parle depuis 1990 pas maintenant .. MA QUESTION PQ L'ARMEE LIBANAISE N'ETAIT ELLE PAS PRESENTE AU LIBAN DU SUD?
Bery tus
21 h 32, le 11 décembre 2018