Une fois de plus, la vérité est sortie de la bouche de Nabih Berry. Le président de la Chambre a déclaré récemment que « l’élection présidentielle n’est pas encore mûre ». Il a lancé cette phrase à l’issue de sa rencontre avec les ambassadeurs des pays membres du quintette et il se référait probablement au fait qu’il n’a pas perçu chez ces derniers un grand empressement à aboutir à l’élection présidentielle. Ils se sont ainsi contentés de proposer « une médiation pour rapprocher les points de vue », rejetant indirectement la responsabilité de l’action sur les parties libanaises.
Mais que veulent justement les protagonistes libanais ? En mettant de côté les surenchères politiques et les déclarations tonitruantes des différentes parties qui ne cessent de se lancer des accusations réciproques sur le fait d’entraver le scrutin, une analyse rationnelle effectuée par des sources diplomatiques régionales montre qu’en réalité, aucune partie politique ne veut vraiment d’une élection présidentielle dans les circonstances actuelles.
Selon cette théorie, le Liban serait actuellement divisé en deux grands camps, une sorte de réédition de la dualité entre le 8 et le 14 Mars qui avait pesé sur la scène politique à partir de 2005, suite à l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri. Il y a donc aujourd’hui le camp du tandem chiite et ceux qui évoluent dans cette orbite et le camp des anti-Hezbollah, avec, entre les deux, des parties qui préfèrent rester à mi-distance, sans peser véritablement sur les décisions.
Depuis la fin du mois d’août 2022, c’est-à-dire peu avant la fin du mandat de Michel Aoun, le tandem chiite a annoncé qu’il appuyait la candidature de Sleiman Frangié pour la présidence de la République. Le scénario qui avait été divulgué à l’époque disait que lors d’une rencontre entre le chef du CPL, Gebran Bassil, et le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ce dernier aurait déclaré : « Nous ne voulons pas un président qui nous poignarderait dans le dos. Or nous n’avons confiance qu’en vous et dans le chef des Marada. Si vous ne voulez pas présenter votre candidature, nous allons appuyer celle de Frangié. » Dès lors, le fossé a commencé à s’approfondir entre les deux formations. Mais le Hezbollah a-t-il vraiment tout fait pour faire parvenir son candidat à la présidence ?
Selon l’analyse des sources diplomatiques précitées, le Hezbollah ne souhaiterait pas en réalité que Frangié soit élu dans les circonstances actuelles. Il ne le dit pas, mais il agit dans ce sens, convaincu que sans solution globale dans la région, le président, quel qu’il soit, ne pourra pas faire grand-chose. Déjà ses adversaires, les Forces libanaises en tête, lui reprochent le mandat qu’ils estiment catastrophique de Michel Aoun, élu grâce au Hezbollah. L’argument majeur avancé par les adversaires du parti chiite est que cette expérience n’a pas été concluante et qu’elle ne doit être rééditée à aucun prix. De son côté, le Hezbollah est conscient de la gravité de la situation régionale et il ne cesse de répéter que ce qui se passe à Gaza pourrait changer les équilibres régionaux, voire internationaux. Si, selon sa vision, le camp de la résistance n’est pas détruit et si le Hamas tient le coup, il fera partie des gagnants et il n’aura probablement pas besoin d’un président qui lui serait acquis pour se protéger. Si, par contre, « l’axe de la résistance » finit par perdre cette bataille décisive, même un président qui lui serait acquis ne pourrait pas faire grand-chose pour le protéger. Et si, en plus, il n’y a pas un déblocage financier de la part des Occidentaux et surtout des États du Golfe, le président de la République serait forcément la cible d’une campagne de dénigrement qui toucherait et discréditerait aussi ceux qui ont soutenu sa candidature.
L’approche est pratiquement la même dans le camp opposé. Dans le contexte actuel et en raison de la composition du Parlement issu des législatives de 2022, divisé en petits blocs et sans majorité claire, les opposants au Hezbollah savent qu’ils ne peuvent pas faire élire un des leurs. Même s’ils parviennent à lui assurer le nombre de voix requises, comment celui-ci pourrait-il remplir sa mission si les deux formations chiites lui sont hostiles et s’il n’y a pas une grande solution régionale qui ramènerait les fonds arabes au Liban ? Mettre en cause ce qu’on appelle « la démocratie consensuelle », qui exige la participation de toutes les composantes aux grandes décisions du pays, pourrait devenir un précédent qui se retournerait contre ces mêmes parties. Toujours selon l’analyse des sources précitée, les adversaires du Hezbollah seraient donc en train d’appuyer des candidatures, dans le seul souci de s’opposer au candidat du tandem chiite et de se réserver une place à la table des négociations et de montrer ainsi qu’ils restent incontournables dans toute solution à venir. En effet, certaines parties opposantes au Hezbollah craignent que les développements régionaux aboutissent finalement à un accord
américano-irano-arabe qui ne tiendrait pas compte de leurs aspirations. De plus, dans le contexte actuel, un président hostile au Hezbollah pourrait provoquer des troubles internes dont pour l’instant personne ne veut.
Quant aux petits blocs, ils ne sont pas en mesure d’imposer un candidat, mais ils sont sollicités pour réunir des voix pour l’un des candidats des deux grands camps. Seulement, ils préfèrent pour l’instant prêter l’oreille aux conseils étrangers et ils sont convaincus que sur le plan international et régional, l’heure de la présidentielle n’a pas encore sonné.
Au final, si cette lecture s’avère correcte, nul ne veut réellement d’une élection présidentielle sans perspective claire de solution. Le dossier serait simplement utilisé par toutes les parties pour faire monter les enchères et augmenter la popularité.
commentaires (6)
LES PARTIES LIBANAISES VEULENT UN PRESIDENT ET UN ETAT DANS TOUTE SA FORME. LES PARTIES VENDUES AUX MOLLAHS PERSES N,EN VEULENT CERTES PAS. ILS VEULENT UN PION SYRO-IRANIEN. FAUT MADAME COMPRENDRE LA DIFFERENCE SURTOUT QUAND ON TITRE NOTRE ARTICLE DE *DECRYPTAGE* OU *D,ECLAIRAGE*
LA LIBRE EXPRESSION
12 h 45, le 27 avril 2024