La coordinatrice spéciale des Nations unies pour le Liban, Pernille Dahler Kardel, reçue par Saad Hariri hier. Photo Dalati et Nohra
Mouvement d’humeur ? Impatience ? Une petite phrase du président de la République a semé la confusion dans les esprits, hier, sur ce qui pourrait bien surgir encore en matière de formation d’un nouveau gouvernement. Une petite phrase qui laisse croire que les rapports entre le chef de l’État et le Premier ministre se dégradent.
« Les médias et réseaux sociaux ont relayé des propos attribués au chef de l’État, Michel Aoun, au sujet de la formation du gouvernement. Ces propos sont imprécis, et une partie d’entre eux ont été sortis de leur contexte et interprétés de manière contraire aux positions exprimées par le président Aoun à plusieurs occasions, notamment en ce qui concerne le recours au Parlement au sujet de la formation du gouvernement », affirme la présidence de la République dans un communiqué.
Le quotidien al-Joumhouriya avait, en particulier, indiqué, citant des visiteurs du chef de l’État, qu’il jugeait que la situation était devenue « insupportable », reprochant au Premier ministre désigné d’avoir rejeté la proposition d’un gouvernement de 32 ministres, qui lui semblait la plus à même de régler la crise gouvernementale. « Si les choses continuent de la sorte, aurait affirmé M. Aoun, j’ai l’intention de me rendre au Parlement et de lui adresser un message qui paverait la voie à de nouvelles consultations. »
Le communiqué de la présidence explique que « le chef de l’État estime que le droit de désigner un Premier ministre a été accordé aux députés par la Constitution via les consultations parlementaires contraignantes (article 53, alinéa 2). En conséquence, si l’impossibilité de former un gouvernement persiste, il est normal que le chef de l’État mette cette question entre les mains du Parlement afin qu’il agisse en conséquence ».
L’article 53 stipule notamment que le président de la République « adresse, en cas de nécessité, des messages à la Chambre des députés ». Mais aucun texte précis ne réglemente comment la Chambre peut et doit réagir à ce message en l’absence d’un gouvernement. Le ministre sortant de la Justice, Salim Jreissati, a cependant estimé hier dans une déclaration que le Parlement est « en mesure de prendre les bonnes décisions », mais il n’a pas élaboré à ce sujet. Par ailleurs, la Constitution ne le dit pas, mais l’on suppose que le message présidentiel peut être délivré en personne ou par le biais d’un document écrit.
En soirée, les anciens chefs du gouvernement Tammam Salam et Fouad Siniora ont réagi aux propos en provenance de Baabda. M. Salam a dénoncé sur Facebook une « hérésie constitutionnelle consistant à donner aux députés le pouvoir de revenir sur la désignation du Premier ministre », et M. Siniora a mis en garde, sur son site officiel, contre l’aggravation de la crise en cas de recours au Parlement.
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Aoun agacé par les voyages de Hariri ?
Au demeurant, on a démenti, dans les cercles de la présidence, que le chef de l’État soit agacé par les voyages successifs que le Premier ministre désigné effectue et qui, aux yeux de certains, retardent la formation du gouvernement et sont la preuve de son indifférence en la matière.
En face, on a fait savoir que M. Hariri a annulé le voyage à Paris prévu dimanche en raison des manifestations des gilets jaunes prévues lundi. Par contre, on confirmait que Saad Hariri se rendrait mardi à Londres pour assister à un congrès économique.
Les milieux proches du Premier ministre désigné ont réitéré hier les deux « non » de Saad Hariri aux projets de gouvernement opposés au sien propre : « Non » à l’intégration au gouvernement d’un ministre sunnite proche du Hezbollah et du régime syrien, qui affaiblirait le Premier ministre ; « non » à un gouvernement élargi de 32 ministres, un projet de règlement établi par le ministre sortant Gebran Bassil et approuvé par Nabih Berry, mais qui, selon, Saad Hariri, est « inacceptable » car il « crée un précédent et ne correspond pas à la manière habituelle de former les gouvernements ».
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Et le bureau de presse de M. Hariri de rappeler que ce dernier a réussi à former un gouvernement rassembleur, que sa mouture a été avalisée par le chef de l’État, mais qu’elle a été bloquée à la dernière minute par le Hezbollah qui s’est fait l’avocat des six députés sunnites hostiles à M. Hariri et a refusé de rejoindre le gouvernement si ce bloc improvisé après les consultations parlementaires n’est pas représenté.
Le bureau de presse a rejeté la responsabilité du blocage sur le Hezbollah, mais sans le nommer, accusant ceux qui affirment le contraire de jeter à l’opinion « de la poudre aux yeux ».
Dans la foulée, le communiqué a défendu l’agenda de voyages du Premier ministre désigné, affirmant que ses voyages ne sont pas d’agrément, mais sont en rapport avec les investissements promis au Liban et que le retard dans la formation du gouvernement risque de compromettre.
Enfin, cette source a fait savoir que « personne ne conteste le droit du président de la République d’adresser une lettre au Parlement », mais qu’en échange, « personne ne devrait porter atteinte aux prérogatives du Premier ministre désigné en lui imposant de nouveaux usages en contradiction avec la Constitution et le pacte national ».
La source rappelle enfin une évidence, à savoir que c’est « la coopération entre le président de la République et le Premier ministre qui a permis de revaloriser les institutions étatiques » et que la formation du gouvernement devrait être conçue de manière à préserver cette entente.Signalons pour finir que le président Aoun s’est entretenu de la crise avec le ministre sortant de l’Information, Melhem Riachi (Forces libanaises).
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" Même sans espoir, la lutte est encore un espoir. " Romain Rolland
FAKHOURI
16 h 41, le 09 décembre 2018