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Culture - Théâtre/Rencontre

« Sommes-nous vraiment maîtres de nos destins ? » Quand Lina Khoury s’interroge…

Après une éclipse de cinq ans, la metteuse en scène qui avait chamboulé les codes conservateurs du théâtre libanais revient avec « Physia w assal » (« De la physique et du miel »), une adaptation libanaise de « Constellations » de Nick Payne, interprétée par Rita Hayeck et Alain Saadé, au théâtre al-Madina*.

« Sommes-nous vraiment maîtres de nos destins ? » Quand Lina Khoury s’interroge…

Lina Khoury, auteure, metteuse en scène et productrice de pièces de théâtre. DR

On la rencontre au théâtre al-Madina un après-midi de répétitions. Silhouette et visage minces, regard intelligent et longue chevelure bouclée, Lina Khoury n’a presque pas changé depuis cette fameuse année 2006, où, fraîchement rentrée des États-Unis, elle faisait une entrée fracassante dans la cour des auteurs-metteurs en scène libanais avec Hakeh niswène (Propos de femmes). Une première pièce, inspirée des Monologues du vagin d’Ève Ensler, qui avait largement contribué à faire sauter les tabous d’une scène théâtrale beyrouthine encore imprégnée de puritanisme. Un succès total qui avait tenu l’affiche deux ans durant sans discontinuer.

En donnant la parole aux femmes libanaises, en recueillant leurs confidences les plus secrètes et en transposant sur les planches leurs témoignages sur l’oppression sociétale, les violences conjugales, les abus subis dans l’enfance, mais aussi leurs frustrations sexuelles, Lina Khoury devenait ainsi, du haut de ses trente ans, le porte-étendard d’un féminisme contestataire. Et la figure de proue d’une nouvelle génération de Libanais qui n’ont pas peur de dire tout haut ce que leurs compatriotes pensent, font ou encore subissent tout bas.

Évidemment, on lui accolera une réputation de sulfureuse. D’autant que plusieurs des pièces qu’elle créera par la suite (sur les planches des théâtres de la ville, comme sur celles de la Lebanese American University, où elle enseigne l’art dramatique) seront également axées sur la thématique des rapports hommes-femmes racontés sans langue de bois ni faux-semblants.  A l’instar de Sar lezem nehki (Il est temps de parler) en 2009, dans laquelle elle exposait la dissemblance de leurs regards, problèmes, rêves, aspirations et désirs...

« J’ai été cataloguée comme la féministe qui ne parle que de sexualité », ironise Lina Khoury qui, tout en avouant ressentir un certain agacement, rappelle qu’elle a « aussi » à son actif des créations au registre nettement plus sociopolitique, comme Majnoun yehki avec Ziad Rahbani en 2013 ou encore une adaptation du très controversé Limatha de Issam Mahfouz en 2016… Mais aussi un Haki rjèle (Propos d’hommes), le corollaire masculin de Haki niswène, « des témoignages d’hommes, eux aussi victimes de l’oppression sociétale », qui a été présenté au Madina en février 2018.

Audacieuse en quête de vérité

En revanche, la dramaturge et metteuse en scène ne réfute pas l’étiquette d’audacieuse. Une audace en lien avec sa recherche frénétique de vérité, explique cette quadragénaire qui cultive un rejet total de toute forme d’hypocrisie, que ce soit dans les rapports humains, familiaux, sociétaux ou évidemment de couple… Et qui, depuis l’enfance, s'est toujours questionné, dit-elle, sur la pertinence des directives et des règles qu’on tentait de lui inculquer. « Pourquoi devait-on agir d’une telle manière en public ? Pourquoi était-ce honteux d’aborder tel sujet ? Pourquoi tel comportement est prohibé au Liban, alors qu’il ne l’était pas en Italie ? (NDLR : où elle est née de père libanais et de mère syrienne). Pourquoi ce qui était considéré comme naturel ailleurs pouvait paraître choquant ici ? Cette façon de réfléchir, de remettre en cause toutes les assertions, m’a amenée à envisager, très jeune, la vérité comme une balle placée sous un faisceau lumineux. Et dont seul le côté éclairé apparaît aux yeux de celui qui la regarde », confie celle qui, des décennies plus tard, a conservé cette même soif de vérité, cette même quête de sincérité et d’adéquation entre l’être et le paraître qui la porte à décortiquer les idées et les comportements de tous… À commencer par les siens propres.

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C’est, d’ailleurs, la remise en question de la justesse de son attitude face aux crises et tragédies qui se sont succédé ces dernières années au Liban qui sera à l’origine de Physia w assal (De la physique et du miel ), la nouvelle pièce qu’elle présente à partir de ce vendredi 26 avril sur les planches du Madina. Et qui signe son grand retour dans le milieu théâtral après cinq ans d'éclipse en partie volontaire.


L'affiche de la pièce. DR

Comment faire du théâtre quand d’autres fouillent les poubelles ?

« J’étais tellement déprimée à cause de tout ce qui s’était passé, depuis les crises bancaire et financière et la débâcle de la révolution de 2019, jusqu’à l’explosion au port, sans parler aujourd’hui de l’horreur à Gaza, que je me suis cloîtrée chez moi. Je ne pouvais plus faire quoi que ce soit et encore moins envisager de créer une pièce de théâtre alors que je voyais des compatriotes fouiller les poubelles à la recherche de quoi se nourrir », révèle Lina Khoury . « Sauf qu’au bout d’un moment, je me suis rendu compte que j’étais la seule à réagir de la sorte. Et, rétrospectivement, j’ai réalisé que mon attitude et ma vision trop idéalistes et simplistes des choses m’avaient menée vers de mauvais choix en me coupant d’un environnement où tout le monde reprenait ses activités comme si de rien n’était. Il fallait que je sorte de cette prostration. Et pour cela, j’avais besoin de m’atteler à un projet qui, d’une certaine manière, soit en adéquation avec ce que nous vivions. Sans pour autant aborder à chaud la situation dans laquelle nous sommes plongés, car je fais partie de ceux pour qui un certain recul par rapport aux événements est nécessaire pour réaliser une œuvre théâtrale ou cinématographique cohérente », indique-t-elle.

Une pièce aux idées philosophiques terriblement sexy

C’est durant ce temps d’introspection sur l’impact qu’auront eu ses comportements et ses idées sur son parcours de vie que Lina Khoury se souvient de Constellations, cette pièce de Nick Payne découverte cinq ans plus tôt. Une œuvre qui questionne avec une merveilleuse intelligence la place du libre-arbitre et de la prédestination dans nos vies. Et cela à travers une histoire d’amour retraçant les multiples combinaisons possibles du même couple par le biais d’une série de scènes répétées, avec à chaque fois de subtiles variations dans les répliques ou l’intonation.

Rita Hayeck et Alain Saadé, le charismatique duo de comédiens de « Physia w assal ». DR

Elle décide aussitôt d’en faire une adaptation libanaise qu’elle intitule Physia w assal, « parce que les amoureux sont, l’une physicienne et l’autre apiculteur », et en propose aussitôt les rôles à Rita Hayeck et Alain Saadé. « Je n’avais encore jamais travaillé avec eux. Mais pour moi, leur choix était une évidence. C’est un duo à la présence magique sur scène. Les deux sont tellement charismatiques, tellement en harmonie que je ne pouvais rêver meilleur couple de comédiens pour porter cette pièce difficile à jouer, mais terriblement sexy à regarder pour la portée philosophique des idées qu’elle véhicule. Et je dis bien idées », conclut malicieusement l’audacieuse...

*« Physia w assal », de Lina Khoury à théâtre al-Madina (Hamra), à partir du vendredi 26 avril.


On la rencontre au théâtre al-Madina un après-midi de répétitions. Silhouette et visage minces, regard intelligent et longue chevelure bouclée, Lina Khoury n’a presque pas changé depuis cette fameuse année 2006, où, fraîchement rentrée des États-Unis, elle faisait une entrée fracassante dans la cour des auteurs-metteurs en scène libanais avec Hakeh niswène (Propos de...

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