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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

La 100e rubrique

Je ne pouvais pas laisser passer cette 100e rubrique de « La psychanalyse, ni ange ni démon », l'occasion est trop belle, pour ne pas revenir sur ses origines. Lorsqu'en mars 2015 L'Orient-Le Jour me propose de publier une rubrique hebdomadaire sur la psychanalyse, le projet me paraît fou, impossible, irréalisable... Mais l'enjeu en valait la peine.

Dans les années 60/70, personne n'aurait pensé à un projet pareil. La psychanalyse était dans tous les esprits, tous les discours, toutes les couches sociales et tous les âges. Le discours analytique rayonnait, non seulement grâce au séminaire de Lacan, mais également à ceux de Barthes, de Foucault, d'Althusser, de Lévi-Strauss, de Deleuze, de Derrida, ainsi qu'aux travaux de Chomsky, d'Illich, de Szasz, de Cooper, de Laing et tant d'autres. L'art, le théâtre et le cinéma en particulier étaient également de la fête, l'inconscient s'y exprimait comme sur un divan. Duras, Kubrick, Bergman, Pasolini, Visconti, Antonioni, Godard, Truffaut entre autres. La musique pop participait pleinement au mouvement avec les Beatles en particulier...

On le voit, il suffit de nommer ceux et celles qui ont nourri ces années de leur créativité pour avoir le vertige. Paris était alors le phare de la pensée universelle et les psychanalystes n'étaient pas encore les nouveaux riches de la pensée. En tout cas, ils ne pouvaient l'être tellement ces maîtres nous réveillaient en permanence de notre torpeur et de notre somnolence. J'ai eu la chance d'être à Montpellier puis à Paris dans ces années-là. Samir Kassir trouvait un malin plaisir à me reprocher d'avoir eu 20 ans en mai 68. En effet, je ne serais pas qui je suis aujourd'hui si j'avais eu alors 10 ans de moins. Et c'est la dette que j'ai à l'égard de ces années qui m'ont amené à ouvrir au public mon séminaire psychanalytique bimensuel et enfin accepter ce défi offert par L'Orient-Le Jour.

Mais, en même temps, il y avait en France une inflation du discours analytique qui était devenu un discours totalitaire. Ainsi, dans les années 60/70, neuf résidents en psychiatrie étaient en formation analytique (aujourd'hui il n'y en a pas ou très peu). La théorie analytique servait à tout interpréter, y compris les événements politiques comme mai 68. Du coup, la psychanalyse se rangeait du côté d'une bourgeoisie bien-pensante, et les psychanalystes contribuaient à transformer la psychanalyse en une pensée unique, une pensée qui ne se nourrissait plus des autres sciences. Pratique et théorie en étaient affectées. Ce qui a amené Lacan à se rebeller contre ces mêmes psychanalystes qu'il a formés : « Il faut défendre la psychanalyse contre les psychanalystes. »

On le voit, les psychanalystes ont contribué à la régression de la psychanalyse face aux autres psychothérapies et à son exclusion par les DSM IV et DSM V (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), bibles de la psychiatrie américaine et mondiale où le mot même de « psychanalyse » a disparu, pour être remplacé par le terme de psychodynamique qui ne veut plus rien dire. Malgré sa compétence clinique et nosographique, le DSM a participé à une chosification de la clinique psychiatrique, donc du patient, et à contribuer, sans nécessairement le vouloir, à la marchandisation de la santé qui atteignait son pic au milieu des années 80, les années Reagan.

Dans cette première tribune, NAND (ni ange ni démon) n° 0, parue le jeudi 2 avril 2015, j'avançais alors : « Dans un monde postmoderne où le fait même de penser est menacé, où tout ou presque est déshumanisé, où l'exploitation de l'homme par l'homme est à son comble, où la mondialisation abolit toutes les différences, la liberté de penser que permet la psychanalyse n'est pas un luxe mais une nécessité pour la survie de l'humain. Voilà pourquoi elle est combattue avec une telle virulence. Mais, dans le même mouvement, la pensée humaine, de nature cartésienne "Je pense donc je suis", peut, en elle-même, fonctionner comme une censure. Une censure du sujet à l'égard de lui-même qui est exploitée par cette postmodernité pour le rendre encore plus opaque à lui-même.

Ce qui a amené Lacan à subvertir le cogito cartésien : « Je pense là où je ne suis pas » ou je suis là où je ne pense pas. Vous imaginez bien le monde où nous vivons, un monde de chiffres, d'évaluation et de normativité, accepter une telle affirmation ? Ou celle de Freud : « Le moi n'est pas le maître en sa demeure » ?

Voilà pourquoi la psychanalyse est combattue depuis toujours et aujourd'hui de façon si virulente. La proposition que m'a faite L'Orient-Le Jour en mars 2015 ne pouvait être refusée. Elle se situe dans la logique d'une transmission qui m'est très chère, celle ouverte au public et nullement réservée aux initiés, lesquels, toujours, finissent par parler entre eux une langue de bois.

 

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Dans les années 60/70, personne...

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