Rechercher
Rechercher

Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

La folie, l’art et la psychanalyse (6)

L'artiste se fait un nom grâce à son œuvre alors que, comme le dit Lacan, le névrosé est « l'homme sans nom ». D'un certain point de vue, surtout dans l'actualité de la clinique psychiatrique d'aujourd'hui, le nom de la névrose devient l'identité du sujet. Il en est ainsi du patient toxicomane qui se présente à ma consultation en disant : « Bonjour, je suis toxicomane », ou de la mère d'un jeune enfant qui nomme ses quatre enfants par leur prénom et présente le dernier par son symptôme : « J'ai quatre enfants : Samir, Fadi, Samer et le dernier ADD (Attention Deficit Disorder). » Pourtant très intelligente, cette mère avait remarqué que le psychiatre qui devait soigner son enfant ne le faisait pas. En fait, il le punissait en augmentant les doses du médicament parce que l'enfant ne répondait pas à sa prescription par une amélioration. Je lui réponds : « Et quel est son second prénom? » Le rire qui éclata fut sa réponse.

Depuis le milieu des années 80 où tout devint marchandise, surtout la santé physique et la santé mentale, l'identité du sujet a disparu. Il devint symptôme. Ainsi, lorsqu'un chef de service demande à son infirmière « d'aller voir la vésicule biliaire dans la 12 », il réduit le malade à son symptôme et au numéro de la chambre où il est hospitalisé. Le nom a disparu de même que l'histoire du sujet. Cela a existé de tout temps où deux médecines se sont distinguées : celle de la maladie et celle du malade et de sa maladie.

S'appuyant là-dessus, la psychiatrie américaine a transformé le comportement humain en un nombre sans cesse croissant de troubles. De 106 troubles dans le DSM III, on passe à 300 troubles dans le DSM IV (l'actuel DSM V n'en contient pas plus). Dans cette augmentation du nombre de troubles, l'industrie pharmaceutique et les sociétés d'assurances ont joué un rôle important. Identifier les gens par leurs symptômes devient le risque ultime de la déshumanisation ambiante. On en voit une illustration dans le film de David Fincher Fight Club. Les groupes de malades deviennent l'identité des gens. Les deux acteurs principaux fréquentent tous genres de groupe : le groupe des malades du cancer de la prostate, les malades du cancer du foie, le groupe des cardiaques, etc. Les participants finissent par perdre leur identité de sujet pour porter celle des groupes de malades.

Quant à l'artiste, selon Paul Laurent Assoun, l'identité et le nom sont ceux de son œuvre. Mais, en quelque sorte, c'est confondre nom et renommée. Si l'artiste est tant assoiffé de renommée, il est possible que ce soit parce que son nom est en faillite. Et le nom du père ne peut pas servir à cela. Par exemple, au Liban, être le fils d'untel peut assurer une certaine aisance et permettre d'obtenir des passe-droits, surtout à l'aéroport par exemple. Mais porter seulement le nom de son père n'assure en rien une solidité, au contraire. En paraphrasant Nietzsche on pourrait dire : « On ne rend jamais son dû à un père quand on en reste toujours et seulement le fils. » En effet, nous ne pouvons pas nous contenter d'être le fils de... nous avons, pour rendre notre dette à notre père, à assumer d'être père à notre tour. Y compris le père de son œuvre d'art, quoique ce soit un paradoxe.

Comme on l'a vu dans les articles précédents, autant l'œuvre de l'artiste que le symptôme du névrosé sont un appel au père, un appel au nom, un appel au « signifiant du nom du père ». Cela pour refouler les désirs œdipiens et accéder au social et à la culture. La différence entre la névrose et l'art réside dans le fait que l'art réussit une opération de sublimation, de transcendance par rapport à son monde pulsionnel. Si la névrose, comme la psychose, est une œuvre d'art ratée, l'artiste réussit sa sublimation en amenant les contemplateurs de son œuvre à revivre en eux la force de la pulsion qui a servi à sa création. On peut ainsi pleurer devant un tableau, une musique ou un film de cinéma. Curieusement, les nazis pouvaient assister à un concert, pleurer et, le lendemain, sans aucun sentiment de compassion, exécuter de sang-froid des milliers de personnes. Le mal serait l'absence de compassion. Le bien et le mal seraient-ils à l'origine ?

 

 

Dans la même rubrique

La folie, l'art et la psychanalyse (5)

La folie, l’art et la psychanalyse (4)

La folie, l’art et la psychanalyse (3)

La folie, l'art et la psychanalyse (2)

La folie, l’art et la psychanalyse (1)

L'artiste se fait un nom grâce à son œuvre alors que, comme le dit Lacan, le névrosé est « l'homme sans nom ». D'un certain point de vue, surtout dans l'actualité de la clinique psychiatrique d'aujourd'hui, le nom de la névrose devient l'identité du sujet. Il en est ainsi du patient toxicomane qui se présente à ma consultation en disant : « Bonjour, je suis toxicomane », ou de...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut