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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

La folie, l’art et la psychanalyse (1)

Édouard Azouri, fondateur avec Henri Ayoub de l'Hôpital psychiatrique de la Croix, disait ne pas savoir si c'était la poésie qui l'avait amené à la folie, ou la folie à la poésie. C'était un temps où les psychiatres ne connaissaient pas seulement la psychiatrie.

De tout temps, bien avant le langage, les être humains ont eu besoin de tracer quelque chose, de laisser des traces de leur passage. Auditif ou visuel, cela correspond aux premières traces que laisse à jamais la mère sur son nourrisson. Bien avant le babil.

Le nourrisson qui contemple sa mère vit une extase tout à fait comparable à celle de sainte Thérèse. Lacan l'appelle la « Jouissance Autre ». L'homme retrouvera cette contemplation dans l'état amoureux. Mais il la retrouvera aussi devant une œuvre d'art. Si Freud avait compris ce que faisait Dora dans les musées, il n'aurait ni manqué sa cure ni pensé des années après qu'elle était homosexuelle. Dora contemplait la statue de la Madone pour y chercher le secret de la jouissance féminine combiné à celui de la maternité. Comment la Vierge Marie a-t-elle pu enfanter sans aucune relation sexuelle avec saint Joseph ? Et lorsqu'on posa à Freud la question sur le féminin, il préféra laisser cela au poète. Pourtant, Comment une femme pouvait être femme et mère à la fois est une question posée par toutes les hystériques, depuis la nuit des temps. Et bien avant la psychanalyse, les gynécologues et les généralistes du monde entier ont remarqué que lorsque l'hystérique tombait enceinte et accouchait, ses symptômes disparaissaient. Enfin, avant les gynécologues et les médecins des temps modernes, les Grecs anciens avaient bien saisi la nature de l'hystérie.

Avec leur mythe de l'Utérus baladeur, ils avaient compris que ce dont rêvait la femme hystérique était bien de « sperme ». Son utérus se baladait dans le corps et comprimait alternativement les différents organes, ce qui expliquait pourquoi elle avait mal tantôt ici, tantôt là. Et si son utérus se baladait, c'était à la recherche de sperme. Elle manquait donc de relations sexuelles, ce que confirmeront bien plus tard des médecins comme Charcot, Breuer et Chrobak, médecins qui eurent beaucoup d'influence sur Freud.
Mais si l'utérus se baladait dans le corps à la recherche de sperme, c'est aussi parce qu'il manquait de grossesse. Les Grecs anciens pensaient au sexe, de même que les prédécesseurs de Freud. Mais il était difficile de penser au désir de grossesse chez l'hystérique, car ce désir compensait chez elle le fantasme infanticide.

On pourrait considérer l'hystérique comme la première des artistes dans la mesure où le réel de son corps parle à sa place. Pas de mots pour dire sa souffrance, ces mots-là sont refoulés, elle dit sa souffrance dans le réel de son corps. Ainsi en est-il de l'art. Les artistes ne passent pas par les mots pour exprimer leur désir ou leur souffrance. C'est l'expression directe de leur inconscient dans une forme qui aura marqué l'artiste depuis son enfance. Musique, peinture, sculpture ou autres, l'art est un surgissement du savoir inconscient au dehors du sujet. Même l'écriture ne relève pas du sens seulement, mais aussi et surtout de ce qui se cache en deçà des mots.

La question se pose si l'œuvre d'art est un symptôme pour l'artiste. À l'inverse, on peut aussi se demander si l'œuvre d'art ne relève pas plutôt de la « Jouissance Autre » et non pas de la « Joui-sens », comme l'appelle Lacan. La « Joui-sens » relève de la névrose alors que la « Jouissance Autre » relève plutôt de la psychose. Ainsi Jean Oury, élève de Lacan et fondateur de la clinique de Laborde, n'hésitait pas à affirmer que « la création et la schizophrénie, c'est la même chose ». Entre la « Jouissance Autre » et la « Joui-sens », on retrouve le babil. L'artiste puise sa force dans le babil, qui est un langage secret entre la mère et l'enfant, langage qui ne veut rien dire, qui n'a pas de sens, un langage encore incestueux qui porte une grande part de « Jouissance Autre ». Le babil n'est pas encore tout à fait un langage, mais une tentative pour y accéder et faire plaisir à la mère. Plaisir à la mère dans le sens où le devoir de la mère est d'amener son enfant à se séparer d'elle pour rejoindre ses frères et sœurs, ses camarades de classe, le monde. De son côté, le nourrisson doit renoncer à la fusion avec la mère pour accéder à ce monde. Le père joue un grand rôle dans l'accès de son enfant au monde extérieur.
L'art serait une tentative du même ordre, une sorte de métaphore paternelle.

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