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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

La folie, l’art et la psychanalyse (3)

« De l'art, la psychanalyse n'apprend à proprement parler rien ; de la psychanalyse, l'art n'a rien à apprendre. » Cette affirmation de Paul Laurent Assoun laisse dans la bouche un goût étrange. Car nous savons que le savoir de l'inconscient, soit ce que la cure psychanalytique découvre et par là « guérit », ce savoir de l'inconscient est le même qui produit l'œuvre d'art.

Freud cale devant une interprétation possible de la création artistique : « D'où vient à l'artiste la capacité de créer, cela n'est pas une question relevant de la psychanalyse. » Ou bien « Force nous est d'avouer que l'essence de la réalisation artistique nous est psychanalytiquement inaccessible ». On pourrait considérer cette position de Freud comme relevant de l'esthétique : sur le beau, la psychanalyse n'a rien à dire. Mais aussi position également liée à une dénégation : l'art et la psychanalyse ont le même objet, le savoir inconscient, mais je n'en veux rien savoir. Ayant découvert l'inconscient, Freud est « jaloux » de sa découverte. Cette position le conduira à nier tout ce qui avant lui aurait pu découvrir ce même inconscient. Il prétend avoir découvert la notion de bisexualité, amenant, en 1902, Wilhelm Fliess, celui qui fut de fait son analyste, à l'accuser de plagiat. Cette « jalousie » quant à sa découverte de l'inconscient pèse encore sur le mouvement analytique, faisant de Freud un père auto-engendré et des analystes ses créatures identiques.

Henri Ellenberger (1905-1993) démontrera, dans son magistral ouvrage Histoire de la découverte de l'inconscient, qu'il y a une théorisation de la notion d'inconscient, d'un côté, et son utilisation thérapeutique, de l'autre, et ce depuis bien longtemps. Comme le rappelle Élisabeth Roudinesco, la théorisation de l'inconscient remonte aux intuitions des philosophes de l'Antiquité, aux grands mystiques, à Arthur Schopenhauer, Friedrich Nietzsche, etc. Quant à l'utilisation thérapeutique de l'inconscient, Ellenberger démontre qu'elle remonte à l'art du sorcier et du chaman puis à la confession chrétienne...

Nous voyons bien que la jalousie de Freud quant à sa découverte de l'inconscient ne pouvait que se reproduire avec l'art. De même avec Nietzsche dont on ne sait pas vraiment s'il a lu son œuvre ou pas. Par ailleurs, la notion de symptôme est elle-même subvertie, rendant encore plus énigmatique le rapprochement entre la psychanalyse et l'art. Si, grâce à la psychanalyse, le symptôme est élevé au rang d'une production de l'inconscient et n'est plus une « maladie » comme en psychiatrie, l'œuvre d'art échapperait-elle au statut de symptôme ? Comme on l'a vu la dernière fois, l'œuvre d'art est plus proche de la folie que de la névrose.

L'œuvre d'art est plus proche de la folie (psychose) que de la névrose
On le sait, Freud n'aimait pas les psychotiques. On peut en déduire qu'il n'aimait pas les artistes. Il n'aimait pas les psychotiques parce qu'ils devinaient, avant lui, les pensées qu'il pouvait avoir. Pensées théoriques essentiellement. Il craignait une sorte de « vol d'idées », comme il l'avait vécu avec Fliess à propos du concept de bisexualité. Ainsi, lorsqu'il adresse Otto Gross (1877-1920), psychiatre autrichien psychotique, à Carl Gustav Jung pour une cure analytique, se réservant lui-même pour la cure de désintoxication, il finit par reconnaître que c'était parce qu'il ne supportait pas de l'avoir en analyse. La raison, Freud finira par l'avouer dans une lettre à Jung : « Je crains l'abolition des limites de propriété dans la réserve d'idées productives. »
Cet aveu de Freud indique bien d'où venait sa phobie des psychotiques : il ne supportait pas qu'ils puissent découvrir avant lui le savoir inconscient. Il en est de même pour les artistes, dont il reconnaissait l'antériorité dans la découverte de l'inconscient. Mais cela ne l'empêchait pas d'être esthète et d'apprécier certaines œuvres d'art dont il allait puiser beaucoup d'inspiration : le Moïse de Michel-Ange, La Gradiva de Jensen, Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci. Son identification avec Léonard est notoire de même que sa jalousie à son égard.
Nous continuerons à examiner cette perspective dans le prochain article.

 

 

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Freud...

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