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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

L’art, la contemplation amoureuse et la psychanalyse (10) L’envie

Une légende libanaise raconte l'histoire de deux condamnés à mort. L'officier qui doit les exécuter demande au premier : « Quel est votre dernier souhait avant de mourir ? » Le premier condamné répond : « Je veux serrer pour la dernière fois ma mère dans mes bras et vous pouvez m'exécuter après. » L'officier demande au second ce qu'est son dernier souhait avant qu'on ne l'exécute, il répond : « Empêchez-le de serrer sa mère dans ses bras. »
Cette histoire horrible indique la force destructrice de l'envie.

Il ne s'agit pas de jalousie, le second condamné aurait pu dans ce cas demander lui aussi à avoir une dernière étreinte avec sa mère. Pour le second prisonnier, il s'agit de briser, de détruire, de casser l'étreinte du premier condamné qu'il imagine avoir avec sa mère. Que gagne-t-il, le second, à vouloir détruire ce que veut le premier ? La destruction en elle-même. Il veut détruire, rien d'autre. C'est pour cette raison que l'envie est considérée comme l'un des sept péchés capitaux. Dans ses Maximes, La Rochefoucauld va jusqu'à dire que « L'envie est plus irréconciliable que la haine ».

Dans le film Girl with a Pearl Earring (La jeune fille à la perle) que nous avons commenté dans nos deux derniers articles, la scène où la femme de Vermeer veut se jeter sur le tableau pour le détruire indique bien qu'elle est poussée par l'envie, et nullement par la jalousie. Quand elle voit le tableau, elle s'écrie : « C'est obscène. » Elle vient de réaliser la complétude qui existe entre son mari, le peintre, et son modèle. Cette complétude représente l'étreinte en tant que telle, quelles que soient les deux personnes qui sont en étreinte : deux amis, deux parents, deux amants ou la mère et l'enfant.

C'est cette étreinte de la mère et du nouveau-né qui va permettre à saint Augustin de comprendre ce qu'est l'envie. Comme nous l'avons vu la dernière fois, saint Augustin surprend un enfant pétrifié par la vue de sa mère donnant le sein au nouveau-né. Appelée par saint Augustin invidia, cela décrit l'envie de l'enfant qui veut détruire cette complétude qu'il lui est insupportable de voir. L'enfant qui regarde ne veut pas prendre la place du nouveau-né. Il n'est pas jaloux, la jalousie n'est d'ailleurs pas contenue dans l'ensemble des sept péchés capitaux. Cet exemple donné par saint Augustin confirme l'hypothèse que j'ai faite avec vous. Soit qu'il y a une scène primitive autre que celle que Freud a conçue. La scène primitive conçue par Freud met en place trois personnes : l'enfant qui regarde ou qui entend, le père et la mère. L'enfant fait face à une relation sexuelle entre les parents, dont il est exclu. Parce qu'il en est exclu, l'enfant veut absolument savoir.

La scène primitive est à l'origine de notre pulsion de savoir, la pulsion épistémophillique. Elle a une valeur constructive.
La scène de l'étreinte entre la mère et l'enfant, encore plus primitive que celle décrite par Freud, pousse l'enfant qui l'observe à une envie de destruction. « Empêchez-le d'étreindre sa mère dans ses bras », dit le second condamné à mort. Aucun autre intérêt que la destruction pure et simple du désir du premier condamné.

Si la jalousie peut pousser à vouloir savoir – comme l'enfant face à la « scène primitive » qui, exclu de cette scène, veut comprendre pourquoi –, l'envie ne pousse qu'à la destruction.
Si la légende des deux condamnés à mort se passe au Liban, ce n'est évidemment pas pour rien. Les Libanais sont passés maîtres dans le maniement de l'envie. Comment envier et comment susciter l'envie. Nous savons tous que les Libanais achetaient leurs plaques d'immatriculation avec une délectation sans pareille. Ces numéros si précieux, 2222, 454545, 626364 et tant d'autres, le conducteur lui-même ne peut évidemment pas les voir, les admirer ou les contempler comme on contemplerait une œuvre d'art. Parce qu'il conduit tout bêtement. Par contre, il ne peut que les montrer, les donner à voir aux autres conducteurs ou simples passants. Pour susciter leur envie.

 

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