Malgré ses bientôt 97 printemps, Yvonne Gemayel a gardé quelque chose de cette jeune fille innocente qui découvrait, à 18 ans, l'Afrique et la vie en se mariant avec un homme qui avait le double de son âge. La jeune fille sortait du pensionnat et n'avait aucune expérience de la vie. À cheikh Michel Gemayel qui voulait épouser Yvonne, la supérieure du couvent, mère Herma Joseph, lui demande d'attendre un peu, le temps de lui permettre de préparer la jeune fille à ce qui l'attendait. Mais installé en Afrique, celui-ci ne voulait pas reporter son mariage. Il a toutefois promis de ne jamais la brusquer et de répondre à toutes ses attentes. De fait, pendant leurs longues années de vie commune, cheikh Michel (décédé en 1988) n'a rien refusé à sa chère Yvonne qu'il a emmenée avec lui à Abidjan dans un long voyage par mer, les avions étant encore très rares à l'époque.
Yvonne revient au pays en 1947 et accouche d'une fille baptisée Nawal. Elle mène une vie tranquille aux côtés de son mari qui devient chef de la municipalité de Bickfaya et le restera pendant près de 30 ans.
Les événements de 1958 la choquent et la poussent à vouloir aider les jeunes qui protègent le village. Craignant de perdre le pays vers lequel elle est revenue avec tant d'espoirs, elle prend même la tête d'une manifestation de femmes et d'enfants à Bickfaya contre Youssef Saouda. À partir de là, son destin est scellé. Cette petite femme bourgeoise et élégante, qui s'implique dans une manifestation contre ceux que l'on considérait à l'époque comme des « communistes », frappe les esprits. On lui demande de s'investir encore plus. Elle adhère au parti Kataëb qui tenait alors tête aux « gauchistes ». Elle commence par y être active dans la section féminine aux côtés de Laure Moghaïzel, avant d'intégrer la commission nationale de la femme libanaise, toujours aux côtés de cette dernière.
Elle travaille même un temps avec Mgr Grégoire Haddad, mais c'est la guerre de 1975 qui va réellement consacrer son implication aux côtés des combattants qui défendaient les régions chrétiennes contre les Palestiniens. Avec l'abbé Charbel Kassis et Mona Cardahi, elle s'occupe des déplacés, notamment ceux de Damour. Frappée, surtout, par les privations infligées aux enfants, Yvonne Gemayel découvre aussi que les enfants ayant un retard mental n'ont aucune structure pour les prendre en charge, la survie étant la priorité en période de guerre. C'est pour cette raison qu'elle décide de fonder Acsauvel (Association civile pour la sauvegarde de l'enfant).
Avec Mona Cardahi, toujours, et Nabila Farès, elle se met à solliciter de l'aide. Les Kataëb, d'abord, leur donnent un local, puis l'ambassade de France apporte son soutien. Mais il faut aussi construire une école pour ces enfants et, avec Mona Cardahi, Yvonne entreprend un voyage en Europe afin de collecter des fonds.
Avec pudeur, elle raconte que toutes deux n'avaient que leur foi et leur ardeur. Il fallait aussi y ajouter ce charme immense qu'elle conserve encore aujourd'hui et qui transforme les souvenirs qu'elle égrène en histoires passionnantes. On l'imagine ainsi frêle et pourtant si forte, s'exprimant devant les membres de Word Vision International en Allemagne... Les aides pleuvent. Les banques sont généreuses, mais aussi de nombreuses compagnies libanaises, ainsi que cheikh Amine Gemayel. Les moines maronites leur donnent un terrain à Tamiche pour une durée de cent ans. Acsauvel s'y installe et construit une école pour les enfants à léger retard mental en leur fournissant instruction et formations techniques. Leurs travaux sont ensuite vendus dans des expositions. Aujourd'hui, Yvonne a levé un peu le pied, mais son enthousiasme est intact. Elle ne se voit pas en pionnière, mais en femme qui a beaucoup reçu et qui souhaite beaucoup donner.
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