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Économie - Une femme, un métier ...

Yvette, 64 ans, couturière : « C’est ici que je suis née. C’est ici qu’on m’enterrera »

Comme beaucoup d’activités artisanales, les petits ateliers de couture sont voués à disparaître.

Yvette a le regard de ceux et celles qui ont déjà vécu 3 vies. Dans son atelier qu'elle partage depuis 4 décennies, bientôt, avec un parent couturier, Yvette vit au rythme de sa machine à coudre... Et elle ne file pas beaucoup depuis quelques années, déplore-t-elle sans amertume, mais avec le ton de celle qui a accepté que « depuis quelque temps, les choses ont changé ». Elle se souvient encore, avec un regard complice lancé à son acolyte, des années où elle travaillait à reprendre les ourlets des « dames de la haute société, jusqu'à 2 heures du matin ! »


Yvette sait que, comme beaucoup de pratiques artisanales, son métier est voué à disparaître. La majeure partie de son travail réside désormais à raccourcir des pantalons des client(e)s de quelques boutiques de prêt-à-porter pour lesquelles elle travaille de manière régulière. Elle hésite à dévoiler ses revenus, sans doute parce que « ce n'est pas très élégant de parler d'argent ». Elle consent toutefois à avouer qu'après avoir payé les charges et les matières premières, il lui reste une somme qui varie entre 800 et 1 000 dollars. Son fils unique parti travailler en Irak en 2011 lui envoie à peu près 350 dollars par mois. La somme entière lui suffit à régler les factures quotidiennes et le loyer. « Je ne suis pas dépensière », indique-t-elle, en expliquant que depuis la mort subite de son mari en 1999, elle s'est résignée à se serrer la ceinture.


Yvette n'a pas d'activités en dehors des parties de cartes auxquelles elle s'adonne 3 fois par semaine dans un « club de quartier où la cotisation annuelle n'est pas très élevée ». Elle refuse de se soumettre à la dictature des téléphones portables. « Mon fils s'évertue à m'en offrir, mais je ne serai jamais de celles qui s'y feront ». « J'ai une ligne fixe à la maison et mes proches savent quelles sont les heures où ils peuvent me joindre » ajoute-t-elle.


Rejoindre son fils à l'étranger ? « C'est ici que je suis née. C'est ici qu'on m'enterrera », martèle-t-elle. Et si la situation sécuritaire se dégrade ? « Rien se sera aussi terrible que ce que nous avons vécu dans les années 70 et 80. Je ne partirai jamais... De toute manière, il faudra bien mourir de quelque chose... »
Yvette reprend un pantalon en satin noir, comme pour signifier qu'elle en a déjà trop dit. Elle me lance toutefois : « Dites à vos copines que notre atelier ouvre les samedis jusqu'à 13 heures. » Message reçu. La machine à coudre d'Yvette n'a pas encore dit son dernier mot.

 

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