Un juge d'instruction parisien a écarté récemment deux plaintes déposées à Paris en 2018 et 2021 accusant notamment les dirigeants saoudiens et émiratis de crimes de guerre et de financement du terrorisme dans le conflit au Yémen. Le 13 mars, le doyen des juges d'instruction du pôle crimes contre l'humanité du tribunal de Paris a rendu une ordonnance de non-informer concernant une plainte déposée fin 2021 par huit Yéménis et le « Legal center for rights and development » (LCRD), ONG yéménite considérée comme proche des rebelles houthis et basée à Sanaa.
Le Yémen est en proie depuis 2014 à un conflit opposant les rebelles houthis, proches de l'Iran, au gouvernement, soutenu par une coalition militaire dirigée par l'Arabie saoudite, dont sont membres les Emirats arabes unis (EAU).
La plainte dénonçait d'abord un financement du terrorisme, matérialisé d'après le document par une « alliance de facto » de la coalition avec Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) et concrétisée par « des soutiens financier et matériel ainsi que via une coopération opérationnelle ». Créée en 2009, Aqpa est considérée par les Etats-Unis comme la branche la plus dangereuse du réseau jihadiste, qui a profité du chaos entraîné par la guerre et mené des attaques tant contre les Houthis que contre les forces gouvernementales.
Au nom de huit victimes de torture ou de bombardements de la coalition, la plainte accusait également le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, le président des Emirats arabes unis cheikh Mohammed ben Zayed Al-Nahyane et les chefs d'état-major de l'époque des deux armées de crimes de guerre, de torture, disparitions forcées et association de malfaiteurs terroriste.
« Incompétence »
La plainte s'appuyait sur des documents, des témoignages, des rapports des Nations unies et des articles de presse. Les plaintes avec constitution de partie civile permettent normalement la désignation quasi-automatique d'un juge d'instruction, mais c'est moins assuré en matière de crimes contre l'humanité.
Le doyen du pôle consacré à ces crimes a rejeté la plainte pour motifs procéduraux, liés à des statuts inadéquats du LCRD, mais a aussi estimé que son pays était incompétent à poursuivre ces faits, car les personnes en cause ne sont pas Françaises ou n'ont pas leur résidence habituelle dans l'Hexagone. Le juge a ainsi écarté des accusations considérées comme trop vagues visant la responsabilité du jihadiste français Peter Cherif, proche des assassins des journalistes de l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo en 2015 et « membre actif, sinon éminent » d'Aqpa au Yémen entre 2011 et 2018. La plainte s'aventurait par ailleurs sur le terrain de la compétence universelle de la France, qui permet de juger toute personne se trouvant en France pour les crimes les plus graves même si ni auteurs ni victimes ne sont français.
Les plaignants ciblaient ainsi une succursale française de la First Abu Dhabi Bank, banque accusée d'avoir permis de l'argent à l'organisation terroriste. Mais le juge a également balayé ce moyen, estimant que le critère de la résidence habituelle en France ne s'applique qu'au personnes physiques et non à une personne morale telle qu'une banque.
La cour d'appel de Paris devra examiner le recours formé le 22 mars contre cette ordonnance, comme il devra se prononcer sur l'appel formé contre une autre décision du même juge d'instruction, le 28 décembre, déclarant irrecevable une première plainte déposée en 2018 par le LCRD, déjà, et visant « MBS » seul. Le juge a estimé que le LCRD n'avait à l'époque pas les statuts adéquats pour ester en justice alors que l'association accusait l'armée du prince héritier saoudien d'avoir « sciemment attaqué des cibles civiles » au Yémen.
Sollicitées lundi, les autorités des deux pays n'étaient pas joignables dans l'immédiat.
« Plus de six ans pour le premier dossier, plus de trois pour le second sans que la justice ne prenne de juste décision concernant la recevabilité. Manques de moyens certainement, trop de charge politique peut-être ? », s'est interrogé Me Joseph Breham, avocat des plaignants sollicité par l'AFP.
La guerre au Yémen a fait des centaines de milliers de morts, dont la majorité est due aux conséquences indirectes du conflit, telles que le manque d'eau potable, la faim et les maladies, selon l'ONU. Les violences ont considérablement baissé depuis une trêve conclue en avril 2022.
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