Je participais à une rencontre récemment où il était question de stratégie bancaire, comment contourner ce contrôle de capital qui ne veut pas dire son nom. Il était question de fresh money, ce fameux virement qu’on reçoit de l’extérieur et auquel en principe nous avons accès avec peu de restrictions. D’autres ont parlé de ces chèques bancaires qui sont aujourd’hui achetés à des taux d’escompte de plus en plus important, en échange d’argent liquide. Et que dire de cette nouvelle mode, qui consiste à envoyer nos cartes bancaires avec qui voyage à l’étranger, leur demandant de retirer autant que possible, en fonction de la limite de crédit le permettant… Toutes sortes d’acrobaties pour avoir accès à des liquidités. Nous en sommes dépendants, accros même. Cette question d’argent est ainsi divisée en deux catégories : du vrai argent en espèces sonnantes et trébuchantes et du dead money, cette montagne de chiffres numériques et virtuelle qui apparaît encore sur les écrans d’ordinateurs de nos banquiers. J’ai cette impression que nous avançons tranquillement à travers toutes les étapes d’un deuil, dans notre cas celui d’un système économique qui a fait son temps. Le choc et le déni ont été violents, certains préférant croire en une tempête passagère, à un retour rapide des beaux jours par suite d’une quelconque intervention divine. La colère a rapidement pris le dessus, la plupart des déposants et autres contribuables réalisant enfin l’ampleur des dégâts. Nous avons tenté de négocier tant bien que mal, avec pour résultat un marchandage lamentable pour avoir accès aux miettes de ce qui nous appartient… Et nous voilà aujourd’hui, nageant entre dépression, douleur et acceptation. On dit que c’est la phase du deuil qui est la plus compliquée à vivre : il ne faut pas que la dépression s’étire, sinon elle risque de devenir insurmontable. On doit passer rapidement à l’acceptation – sortir de notre isolement, reprendre nos activités, tendre la main aux autres pour se soutenir. Malgré ce sombre constat, je crois que le pire est déjà derrière nous, même si cela peut paraître paradoxal.
Bien entendu, les désagréments sont loin d’être terminés. Nous allons sûrement devoir payer le prix à travers une dévaluation de la monnaie. Mais une fois les mesures nécessaires prises, nous serons même soulagés de ne pas avoir perdu encore plus !
Nous étions attablés dimanche dernier au Télégraphe, le restaurant du magnifique Château Belle-Vue dans la région de Bhamdoun. Ce sublime endroit est lui-même symbole d’une renaissance inespérée, fruit du travail acharné des propriétaires des lieux. Ils ont réussi ce qui devait sembler impossible à leur arrivée : redonner vie à un lieu détruit, abandonné, où il ne restait aucune pierre en place. Ils ont dû surmonter les traumatismes de cette époque aujourd’hui révolue en puisant au cœur de leur passion, leur amour du terroir et de la patrie. À voir la beauté de l’endroit, son charme qui rappelle les heures de gloire du pays, mais qui est résolument tourné vers le futur, ils ont certainement réussi leur pari et gagné la partie. Une belle source d’inspiration, comme tant d’autres initiatives privées à travers le pays, desquelles nous devrons nous inspirer lorsque viendra le temps de reconstruire notre Liban, une pierre à la fois.
*Ce carnet de bord est le récit, partagé une fois par semaine, du retour de Christian Kamel, son épouse et leur fils au Liban. Alors qu’ils sont si nombreux à vouloir quitter le pays du Cèdre, un émigré fait le chemin inverse. Parce que ce pays, qu’il a quitté enfant, est aussi le sien.
Les épisodes précédents
En attendant des jours meilleurs
Beyrouth, la ville aux ailes brisées
Parenthèse de chaleur dans l’hiver canadien
Ces émotions qui nous unissent
La révolution (pas si) tranquille libanaise
Baptême de feu au cœur de la révolution
Libanité, entraide et hospitalité !
Le sentiment d’un retour aux sources
À contresens, nous rentrons au Liban !
commentaires (1)
Toujours aussi impressionnée par la maturité de CK, son état d'esprit positif et son ton cash.
Marionet
01 h 39, le 28 février 2020