Pour marquer les 100 jours de la révolte populaire déclenchée le 17 octobre et exprimer leur opposition au nouveau gouvernement formé par Hassane Diab mardi dernier, des milliers de manifestants anti-pouvoir ont organisé, samedi après-midi, une série de marches partant de différents points à Beyrouth et ses environs, pour converger vers le centre-ville de la capitale.
Ces marches se sont déroulées dans le calme, mais vers 18h, la tension est montée d'un cran, selon un scénario désormais classique. Avec une nuance : contrairement aux jours précédents, où les dérapages violents étaient essentiellement enregistrés dans la rue Weygand, devant l'un des accès au Parlement, samedi, c'est au niveau de la place Riad Solh, devant les hautes barrières de métal érigées pour bloquer l'accès au Grand Sérail, où s'est établi M. Diab, que les dérapages ont eu lieu. En début de soirée, des manifestants ont tenté de forcer le passage, bloqué par ces barrières, pour entrer dans le périmètre du Grand Sérail. Les forces de l'ordre ont rapidement répliqué en ayant recours aux lances à eau dans un premier temps, puis aux grenades lacrymogènes.
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Vers 18h30, les Forces de sécurité intérieure (FSI) ont publié un communiqué sur Twitter indiquant que les dérapages ont commencé, et appelant les manifestants pacifiques à quitter la place Riad Solh, afin de préserver leur sécurité.
Quelques minutes plus tard, et alors qu'un pan de la barrière métallique avait été arraché par les manifestants, les forces de l'ordre ont avancé vers les manifestants, les repoussant de la place.
""Pas de confiance"
Plus tôt dans la journée, c'est donc dans le calme que des milliers de contestataires avaient défilé à partir du quartier de Verdun, de la place Sassine à Achrafieh, de Dora, de la caserne Hélou à Mar Elias, et du palais de Justice à Beyrouth, sous le slogan "Pas de confiance (au gouvernement, ndr), nous ne paierons pas le prix". Ils sont passés devant les sièges de certains ministères, comme celui de l'Intérieur, des Affaires étrangères, ou encore celui des Finances, ainsi que devant la Banque du Liban et l'Association des banques du Liban, cibles privilégiées des manifestants depuis des mois.
Après plusieurs semaines de crise politique, le Liban s'est finalement doté mardi d'un nouveau gouvernement qui aura la lourde tâche de relancer une économie en chute libre et de convaincre les manifestants hostiles à la classe politique. Mais pour ces derniers, mobilisés depuis le 17 octobre, les nouveaux ministres sont des personnalités affiliées à cette même classe politique qu'ils accusent de corruption et d'incompétence. Depuis samedi dernier, des heurts entre manifestants et forces de l'ordre ont fait des dizaines de blessés, parfois très graves, dans les deux camps, lors de manifestations dans la capitale Beyrouth.
Samedi dernier, des marches pacifiques similaires avaient été organisées dans plusieurs villes en vue de converger vers le centre-ville de Beyrouth. Mais la situation avait dérapé en affrontements près du Parlement, faisait plus de 400 blessés. Le lendemain, une manifestation avait également dégénéré dans le même secteur, faisant de nouveaux blessés, donc un certain nombre ont été éborgnés. Les autorités ont fini par installer ces derniers jours des murs en béton devant toutes les entrées qui mènent vers le siège du Parlement, place de l’Étoile.
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"Thouwar Beyrouth"
"La police réprime les manifestants pacifiques et cela a des répercussions négatives. Ils (les responsables) cherchent à nous pousser vers la violence, car ils savent que cela provoquera une réponse négative et effraiera les manifestants qui ne viendront plus sur le terrain. Nous devons prendre garde contre cela. Nous insistons à rester sur le terrain car nous avons des demandes. Nous réclamons un Etat digne de ce nom, nous n'agissons pas contre l'Etat. Nous voulons un gouvernement avec un vrai programme", a affirmé, samedi après-midi, Mona Fawaz, du parti issu de la société civile Beyrouth Madinati à notre journaliste sur place Acil Tabbara. "Il faut remettre le Liban sur les rails du développement", plaidait-elle.
Un peu plus loin, un groupe de manifestants portaient des gilets fluorescents sur lesquels il était écrit :"Thouwar Beyrouth" (Les révolutionnaires de Beyrouth). "C'est nous qui avions bloqué les routes de Verdun au début de la révolution, puis nous nous sommes organisés et nous avons développé ce logo afin que les gens nous reconnaissent", explquait Mohammad Ali Obeidi, l'un des membres de ce groupe. "Beyrouth est une grande ville et abrite de nombreux groupes (de contestataires), c'est pour cela que nous cherchons à nous organiser", dit-il. Selon certains manifestants, les membres de "Thouwar Beyrouth" seraient d'anciens membres du courant du Futur de l'ancien Premier ministre Saad Hariri.
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Devant le ministère de l'Intérieur, à Sanayeh, les manifestants ont crié "Révolution ! Révolution !", alors que d'autres scandaient : "Tous, sans exception, et Hassane Diab est l'un d'entre eux", en allusion aux politiques taxés de corruption.
Un manifestant criant des slogans hostiles au pouvoir politique, devant le siège du ministère de l'Intérieur. Photo Acil Tabbara
Devant le palais de Justice à Beyrouth, un manifestant expliquait au micro de la chaîne LBCI être là "pour exprimer notre soutien aux juges honnêtes et inciter les autres à l'être".
Sur l'autoroute qui relie la Quarantaine au quartier de Saïfi, à l'entrée nord de Beyrouth, les Forces de sécurité intérieure ont dressé des barrages et fait circuler des patrouilles. Le secteur de Saïfi est devenu un lieu récurrent d'affrontements entre manifestants et forces antiémeute.
A Tripoli, au Liban-Nord, de nombreux manifestants sont également descendus dans la rue pour crier leur colère contre la classe dirigeante. D'autres se sont rendus à Beyrouth à bord de bus.
Une marche à Tripoli. Photo O.A.
Le gouvernement de Hassane Diab succède au cabinet Hariri, qui avait démissionné le 29 octobre sous la pression de la rue. A l'issue de la première réunion de son gouvernement, le nouveau Premier ministre a averti que le Liban faisait face à une "catastrophe" économique, soulignant les "défis immenses" qui attendent son équipe. Le gouvernement Diab doit encore obtenir la confiance du Parlement.
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commentaires (9)
LA CONTESTATION DOIT FORMER UN COMITE ET SE DOTER D,UN GOUVERNEMENT DE L,OMBRE POUR SUIVRE, CONTROLER ET INTERVENIR. CES PETITES MANIFESTATIONS DIVERSES NE MENANT PLUS A RIEN.
LA LIBRE EXPRESSION
10 h 25, le 26 janvier 2020