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À La Une - Liban

Scènes de guérilla urbaine entre manifestants et forces de l'ordre, samedi soir à Beyrouth

La journée avait commencé avec des cortèges pacifiques convergeant vers le centre-ville.

Des affrontements ont opposé, samedi soir, dans le centre-ville de Beyrouth, manifestants et forces de l'ordre. AFP / Anwar AMRO

Alors que cette nouvelle journée de contestation avait débuté dans le calme, la situation a totalement dérapé, samedi en fin d'après-midi, dans le centre-ville de Beyrouth où des heurts violents, qui ont fait près de 400 blessés selon les bilans agrégés de la Croix-Rouge et de la Défense civile, ont opposé manifestants et forces de l'ordre. En soirée, le centre-ville tenait du théâtre de guérilla urbaine, et baignait dans un épais nuage de gaz lacrymogènes tirés par les FSI qui avaient également largement recours aux canons à eau. Ce n'est que vers 21h30, soit après plus de cinq heures d'affrontements, qu'un calme précaire est revenu.

Ces dérapages sont de plus en plus fréquents alors que la contestation populaire est entrée dans son quatrième mois, que la population ploie sous le poids d'une crise économique grave et de restrictions bancaires draconiennes, que le pouvoir politique, rejeté par la rue, reste sourd à ses revendications et n'en finit plus avec ses tractations et manoeuvres pour former un nouveau gouvernement.

"Il est faux de dire que des infiltrés sont à l’origine des dérapages. Il n’y a que des manifestants ici, des Libanais qui n’ont plus rien à perdre. Nous sommes tous ensemble. Personnellement, je ne suis pas pour la violence, mais je soutiens les manifestants, tous les manifestants", déclarait en soirée un contestataire à la journaliste du Commerce du Levant sur place, Nada Maucourant Atallah. "Cela fait plus de 90 jours que nous sommes dans le rue, nous n’avons plus rien à perdre", martelait-il, tandis que hurlaient, tout autour, les sirènes des ambulances et que retentissait le fracas des tirs de grenades lacrymogènes.

C'est en fin d'après-midi, alors que des cortèges de manifestants avaient convergé depuis Barbir, Sassine et Bourj Hammoud vers le centre de Beyrouth, que certains contestataires s'en sont pris aux forces de l'ordre déployées à l'une des entrées du Parlement, rue Weygand. A partir de 16 heures, de jeunes hommes au visage masqué ont commencé à lancer toutes sortes de projectiles, notamment des pierres, des engins pyrotechniques et du mobilier urbain, en direction des policiers postés derrière des rangées de barrières métalliques et de barbelés dans la rue Weygand. Les forces de l'ordre ont répliqué à coup de grenades lacrymogènes et de lances à eau.

"Les brigadiers antiémeute sont la cible d'attaques violentes et directes (...) Nous demandons aux manifestants pacifiques de s'éloigner des troubles pour leur sécurité", ont alors écrit les Forces de sécurité intérieure sur leur compte Twitter.

Autour de 17h15, la tension est également montée d'un cran du côté de la place Riad el-Solh, où étaient aussi massés des manifestants. Selon notre journaliste sur place, Suzanne Baaklini, certains manifestants ont jeté des pétards en direction des forces de l'ordre, qui ont répliqué avec des tirs de gaz lacrymogènes.


Cloches et appel à la prière
Signe de la violence des affrontements, le bilan est lourd. Peu avant 22h samedi, la Croix-Rouge a indiqué avoir traité plus de 140 blessés sur place, et transporté plus de 80 autres vers des hôpitaux, selon un bilan actualisé. Dimanche matin, les bilans compilés de la Croix-Rouge et de la défense civile poussaient ce bilan à au moins 377 blessés. En sus des grenades lacrymogènes, les forces de l'ordre ont eu recours à des balles en caoutchouc.



Des heures durant, les forces de sécurité ont tenté de repousser les manifestants, à grand renfort de gaz lacrymogènes. D'abord vers la place des Martyrs, puis vers 19h30, derrière le siège des Kataëb. Vers 20h30, c'est l'armée qui a dégagé, violemment, les manifestants qui s'étaient retranchés sur le Ring. L'armée s'est ensuite postée à différents accès au centre-ville. Les FSI ont, de leur côté, annoncé avoir procédé à des dizaines d'arrestations. Une vidéo circulait hier soir qui montrerait des manifestants frappés à leur arrivée à la caserne Hélou. Le chef des FSI, le général Osman, a indiqué à la LBC qu'une enquête allait être ouverte.

Dans le cadre de ces affrontements, plusieurs tentes de la contestation ont également été brûlées, rue des Lazaristes. Certains manifestants ont accusé les FSI et la police du Parlement de les avoir brûlées, ce que les deux forces de sécurité ont démenti.

En début de soirée, comme une réponse à la violence des affrontements, les cloches de la cathédrale Saint-Georges ont sonné et l'appel à la prière de la mosquée Mohammad al-Amine a retenti pour tenter d'apaiser les tensions. Quelques minutes plus tard, des affrontements opposaient manifestants et forces de l'ordre devant la mosquée... Face aux assauts des FSI, des manifestants auraient d'ailleurs trouvé refuge dans l'enceinte de la mosquée. "L'entrée de manifestants à l'intérieur de la mosquée est d'ordre humanitaire et religieux", a réagi samedi soir Dar el-Fatwa, la plus haute instance religieuse sunnite libanaise.

Autre cible de la colère des manifestants, plusieurs agences bancaires ont été attaquées.

Dans ce contexte, le courant du Futur du Premier ministre sortant a démenti avoir transporté des individus du Liban-Nord vers Beyrouth pour participer aux affrontements.


"Tous des voleurs"
"Le pays est sur le point de s'effondrer. Les gens sont épuisés, ils ont perdu espoir. C'est pour ça qu'ils cassent. Ils cassent les banques parce qu'on ne leur donnent plus leur argent", déclarait, en fin de soirée, Qassem, un Beyrouthin de 16 ans qui participe au mouvement de contestation depuis le 17 octobre dernier.

La contestation est entrée dans son quatrième mois par une semaine baptisée "Semaine de la colère", qui s'est traduite par une reprise des manifestations et des coupures de routes.  "Nous manifestons parce que ce (les responsables politiques, ndlr) sont tous des voleurs", s'exclamait, samedi en fin d'après-midi Sawsane, place Riad el-Solh. Les attaques contre les forces de l'ordre ne font pas l'unanimité parmi les manifestants. "Les violences ne sont pas dans l'intérêt des révolutionnaires, mais dans celui de la classe politique, pour décrédibiliser la révolte", lançait ainsi une contestataire. D'autres manifestants estimaient que la surdité des politiques à leurs revendications ne leur laissaient que le choix de l'escalade.

A leur arrivée au centre-ville de la capitale, les protestataires ont scandé des slogans contre la répression policière, qui s'est régulièrement manifestée ces derniers jours, notamment dans le quartier de Hamra où certains manifestants s'en sont pris aux banques, et le gouvernement en gestation.

"Nous manifestons depuis trois mois, et la violence à laquelle nous assistons n'est pas nouvelle", affirmait samedi après-midi une manifestante venue de Bourj Hammoud avec sa nièce. "Nous voulons un pouvoir indépendant et nous sommes contre le cabinet qu'ils tentent de former. C'est ce qui a poussé les gens à descendre dans les rues. Ceci ne passera pas, et les gens ne resteront pas silencieux. Les gens n'auront pas peur, quoi que les politiques fassent", ajoutait-elle.

Le 19 décembre, à l'issue de consultations parlementaires, le président Michel Aoun avait désigné Hassane Diab, appuyé par les partis du 8-Mars, au poste de Premier ministre. Malgré son insistance à former un cabinet de technocrates indépendants, comme cela est réclamé par la contestation, M. Diab est rejeté par les protestataires qui estiment qu'il fait partie de la même classe politique corrompue dont ils réclament le départ. Après une dose d'optimisme qui, selon plusieurs observateurs, donnait la formation du gouvernement pour imminente, de nouveaux obstacles sont venus entraver la mise en place du cabinet.


(Lire aussi : Menottés, battus, insultés... Trois manifestants racontent leur calvaire à la caserne Hélou)



"Se partager le gâteau"
La journée avait pourtant commencé dans le calme. Sur la place Sassine, à Achrafié, quartier à majorité chrétienne de la capitale, la foule avait répondu présent dès 14h. 

Nour et Farah El Kouch, deux soeurs de 26 et 27 ans, l'une éducatrice, l'autre comptable, manifestent depuis déjà trois mois, en espérant enfin obtenir ce qu'elles veulent : un avenir digne de ce nom au Liban. "Dans ce gouvernement (en gestation, ndlr), l'on retrouve les mêmes profils qu'avant, seuls les noms ont changé", déplorait l'une d'elle auprès de nos journalistes sur place, Maëlane Loaëc et Quentin Peschard.

"Deux types de personnes manifestent : celles qui ont encore l'espoir de changer le pays, et celles qui n'ont plus rien à perdre", estimait pour sa part Rima Abou Chacra, une habitante d'Achrafié, âgée de 56 ans. "Pour moi, c'est un peu des deux: je n'ai plus rien à perdre, et j'ai l'espoir de changer le pays pour mes enfants, pour leur offrir un avenir au Liban", confiait-elle. "Il y a un changement de mentalité chez les jeunes, ils veulent rester, avoir un avenir au Liban", assurait-elle.


Photo Maëlane Loaëc


(Lire aussi : "Nous restons hautement mobilisés", affirme le général Aoun)


A Barbir, quartier populaire à majorité musulmane situé dans l'Ouest de la capitale, des dizaines de manifestants hostiles au pouvoir politique s'étaient également rassemblés afin de se rendre à pied au centre-ville de Beyrouth. Criant leur colère, les manifestants répétaient qu'ils n'étaient pas convaincus par les efforts entrepris par Hassane Diab, pour former son gouvernement, alors que le pays est sans cabinet depuis le 29 octobre, date de la démission du Premier ministre sortant Saad Hariri.

Plus au nord, à l'entrée de la capitale, des dizaines de manifestants se sont rassemblés sous le pont de Dora, à 14h, avant de se rendre, eux aussi, devant le Parlement. La semaine dernière, une marche similaire avait eu lieu depuis Bourj Hammoud et avait rassemblé en fin de soirée des milliers de protestataires dans la capitale.

A Tyr, au Liban-Sud, où la contestation n'est pas en reste, un cortège regroupant des dizaines de manifestants a lui aussi sillonné les rues de la ville dans une ambiance calme.

Ces derniers jours, la contestation a repris en force sur tout le territoire et était ponctuée de violences en certains endroits. En matinée, samedi, les actions se sont concentrées sur la fermeture de certains routes en provinces et des sit-in devant les banques.

Mardi soir, de violents affrontements avaient éclaté entre un groupe de manifestants, dont certains ont attaqué des banques, et les forces de l'ordre déployées dans le quartier commerçant de Hamra, faisant plusieurs blessés dans les deux camps. Les FSI ont arrêté des dizaines de personnes lors de ces affrontements, parfois de manière brutale. Plusieurs détenus ont été relâchés depuis mercredi, mais un nombre indéterminé d'entre eux est encore sous les verrous, entre autres à la caserne Hélou, dans le quartier de Mar Elias, où des affrontements ont éclaté mercredi soir entre protestataires et policiers, faisant également des blessés, notamment parmi les journalistes. Après ces agressions, le chef des FSI a été contraint de présenter ses excuses aux médias.


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Alors que cette nouvelle journée de contestation avait débuté dans le calme, la situation a totalement dérapé, samedi en fin d'après-midi, dans le centre-ville de Beyrouth où des heurts violents, qui ont fait près de 400 blessés selon les bilans agrégés de la Croix-Rouge et de la Défense civile, ont opposé manifestants et forces de l'ordre. En soirée, le centre-ville tenait du...

commentaires (14)

QuI est derrière tout ca ? Deviner un peu

Eleni Caridopoulou

20 h 17, le 19 janvier 2020

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Commentaires (14)

  • QuI est derrière tout ca ? Deviner un peu

    Eleni Caridopoulou

    20 h 17, le 19 janvier 2020

  • Ce n'est pas tant le tandem Hezbollah-Amal que les partis Chrétiens rivaux le CPL de Bassil et les Marada de Frangieh ainsi que maintenant les communautés Druze et Grecque-Catholique, qui bloquent la formation du gouvernement pour des raisons politiciennes égoïstes tellement regrettables, sans aucun égard aux souffrances quotidiennes d'une population désespérée qui ne demande que justice et réforme des institutions minées par 30 ans de corruption et d'abus de pouvoir. Cette violence dans la rue, la classe politique qui détient le pouvoir l'aura voulu voire encouragée. L'armée libanaise devra en tirer toutes les conséquences en s'imposant par une prise du pouvoir provisoire qui pourra sauver le pays de la catastrophe économique et financière.

    Tony BASSILA

    08 h 28, le 19 janvier 2020

  • Un semblant d'Etat est mieux que le néant. Si certains sont contents avec les actes de vandalisme et de destructions au centre-ville et à Hamra,ils se trompent car les réparations se feront obligatoirement de leurs poches bien que vides. Les services de sécurité et la justice doivent clairement déclarer les participants et les instigateurs de ces actes. S'il s'avère que les commanditaires sont des membres de la révolte du 17 octobre, on peut d'ores et déjà prévoir l'échec de ce mouvement,qui devrait rester pacifique. Au lieu de ces actes, il faudrait plutôt faire pression sur leurs députés, chacun dans sa localité, pour une démission collective qui emporterait tout le régime.

    Esber

    07 h 51, le 19 janvier 2020

  • Pour qu'une révolution demeure pacifique, il est nécessaire que les dirigeants cèdent aux demandes de leur mandant, le peuple. Contrairement à ce qui se dit, ça s’est vu ailleurs comme au Portugal lors de la révolution des œillets ! Pour cela il faut une armée solidaire du peuple. Une armée qui en a. Une armée qui ose ! Là, les pourris au pouvoir, lui opposent la police, ces « forces de l’ordre » bonnes à propager le chaos ! Qui sont ces hommes masqués ? Qui les envoie ? Ils permettent aux hommes de mains de M. Berry, gardiens de l’assemblée de casser, bastonner et bruler… Qui se souvient qu’il y eut un jour lointain au Liban une « ferhet 16 », dont nous étions fiers et que prenions pour de super héros.

    Rana Raouda TORIEL

    06 h 07, le 19 janvier 2020

  • La république du mandat présidentiel forte qu’il disait. La violence est signe de faiblesse monsieur le président, pas de force!

    Bachir Karim

    06 h 07, le 19 janvier 2020

  • Les "forces de l’ordre" de la rue Weygand ne sont en fait que des hommes de Berry (Amal, donc) sur lesquels on a collé un uniforme et qu’on a rebaptisés "police du parlement" pour amuser la galerie... ce sont des vicieux.

    Gros Gnon

    22 h 21, le 18 janvier 2020

  • ET LES ABRUTIS CORROMPUS, VOLEURS, INCOMPETENTS ET AU M,ENFOUTISME PROVERBIAL CONTINUENT LEURS MARCHANDAGES POUR SE PARTAGER LES MINISTERES SURTOUT CEUX JUTEUX. COMME SI DE RIEN N,ETAIT. ROME BRULE ET NERON ET SON ENTOURAGE ET SON SENAT JOUENT DE LA LYRE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    21 h 25, le 18 janvier 2020

  • Tant que le dauphin du Roi Ubu est toujours en action pour traficoter des combines afin de garder le monopole de la représentation chrétienne en méprisant tous les autres, les manifestations ne s'arrêteront jamais.

    Un Libanais

    19 h 54, le 18 janvier 2020

  • 17 janvier 1976 on avait détruit le centre vville actuel . L'Histoire se répète-t-elle ?

    Antoine Sabbagha

    19 h 46, le 18 janvier 2020

  • Amal et Hezbollah vous voulez que le Liban coule avec l’Iran et cela n’arrivera pas car les Chiites ont compris et beaucoup ne suivent plus que leur ventre qui gargouille Messieurs le compte à rebours a commencé !

    PROFIL BAS

    19 h 13, le 18 janvier 2020

  • Qui pensait qu'une vraie révolution continuerait à Etre pacifique ? Des rêveurs comme toujours !

    Chucri Abboud

    17 h 47, le 18 janvier 2020

  • Si les forces de l'ordre n'arrive pas a faire le distinguo entre un manifestant fa inique et un fauteur de trouble masque ou cagoule c'est qu'ils sont aussi bigleux que nos politiciens sont sourds. Ils demandent aux manifestants pacifiques de se retirer pour faire regner l'ordre. Oh! C'est quoi cette tactique héroïque???

    Sissi zayyat

    17 h 37, le 18 janvier 2020

  • Le pouvoir politique sous toutes ses facettes est criminel pour avoir tourné l'oreille sourde aux demandes du peuple, pour avoir continuer leurs manigances pour garder le pouvoir entre leurs mains ou au moins pour se faufiler de la justice due au PEUPLE! Où est donc la justice?

    Wlek Sanferlou

    17 h 17, le 18 janvier 2020

  • Ceux qui envoient ces désoeuvrés fauteurs de trouble essayent de discréditer les protestataires pacifiques, sur ordres de qui on sait ...

    Remy Martin

    17 h 00, le 18 janvier 2020

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