Le vacarme est assourdissant. Comme une pluie de grêle qui s’abat drue sur les toits des voitures. Il part du cœur de Beyrouth, en direction de la classe politique. Avec pour message : « Non, le Parlement ne se réunira pas aujourd’hui contre notre volonté pour voter la loi d’amnistie générale. Nous l’en empêcherons ! » Ce tintamarre, les manifestants du centre-ville de Beyrouth l’ont improvisé hier de manière ingénieuse, place des Martyrs devant l’immeuble an-Nahar et tout le long de la rue de l’émir Béchir, face à un imposant dispositif de sécurité. Frappant de toutes leurs forces et en cadence contre de la tôle, des casseroles, de la ferraille, ils se sont particulièrement acharnés sur le mur d’enceinte du Grand Théâtre des Mille et Une Nuits, histoire de se faire entendre du président du Parlement Nabih Berry, qui s’entêtait à réunir la Chambre pour faire voter à huis clos la loi tant controversée. Face à une rue survoltée, déterminée à boucler les accès à la place de l’Étoile où siège le Parlement pour empêcher les députés d’y accéder, M. Berry n’a eu d’autre choix que de jeter l’éponge, reportant sine die la séance législative faute de quorum.
Pour leur 34e journée consécutive de protestation contre la classe au pouvoir qu’ils accusent de corruption et qu’ils invitent à dégager, les manifestants de la capitale, rejoints par leurs compatriotes de Tripoli, Baalbeck ou Aley, ont accueilli cette nouvelle victoire par des cris de joie et des feux d’artifice. Une victoire de plus, après la démission du gouvernement présidé par Saad Hariri et l’élection à la tête de l’ordre des avocats de Beyrouth de l’indépendant Melhem Khalaf, figure phare du soulèvement populaire.
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Des manifestants bousculés, battus
La foule ne semble pourtant pas si dense, en ce mardi matin de réouverture des banques, après dix jours de fermeture sur fond de grave crise financière. Outre le fait que les écoles et les universités fonctionnent normalement, les contestataires sont dispersés sur une dizaine d’accès menant au Parlement. Mais face à l’entêtement du pouvoir et du président Aoun qui tarde à entamer les consultations parlementaires contraignantes préalables à la formation du gouvernement, la rue oppose désormais à la classe politique une colère affichée. Une exaspération qui pousse les protestataires non seulement à frapper sur la tôle pour se faire entendre, mais à brûler des bennes à ordures et harceler les forces de l’ordre placées en rempart entre la rue et le Parlement, quitte à manier l’insulte, à lancer dans leur direction des projectiles en tout genre, bouteilles d’eau, chaises, pierres... La tension est donc montée d’un cran hier au cœur de Beyrouth, après une tentative vaine de manifestants de forcer les barrages érigés par des forces de sécurité armées jusqu’aux dents, et malgré la volonté de certains de préserver le caractère pacifique de la contestation. Nombre de manifestants sont bousculés et battus sans ménagement. D’autres perdent connaissance. Fort heureusement, les secouristes de la Croix-Rouge veillent et multiplient les interventions. Des rumeurs d’arrestations parmi les rangs des manifestants circulent.
Selon qu’on se trouve devant l’immeuble de notre confrère an-Nahar, sous le Grand Théâtre ou place Riad el-Solh, l’expression de la colère diffère. À quelques mètres du quotidien arabophone, des femmes assises par terre, en rangée, tournent le dos aux membres de la brigade antiémeute. Elles arborent toutes des écriteaux qui dénoncent la loi d’amnistie. « Si vous tenez à l’amnistie, libérez-nous de vous », est-il écrit, ou « L’amnistie, pas générale ; la justice, seulement pour les innocents ». Roula et Carla, deux mères de famille d’Achrafieh, sont conscientes de leur incapacité à empêcher les députés d’arriver au Parlement. « Nous voulons juste leur faire comprendre que nous ne sommes pas d’accord », soulignent-elles.
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Le vacarme des coups sur la tôle
Noire de monde, la rue de l’émir Béchir bouillonne. Des protestataires de Aley croisent la jeunesse survoltée de Tripoli et la bourgeoisie d’Achrafieh. On moque les députés qui tentent de rejoindre le Parlement « en se cachant, comme des voleurs ». « Que Dieu vous pardonne, parce que le peuple ne vous pardonnera jamais », lance Nadine aux dirigeants. Joëlle se demande « comment les politiques peuvent être si sourds à la colère du peuple ». Tania, elle, révèle que le convoi d’un député du mouvement Amal a tiré des coups de feu en l’air, quelques centaines de mètres plus loin. Daniel, de son côté, dénonce « le complot ourdi par les gens du pouvoir pour mieux couvrir leurs crimes ». Assis par terre, le nez dans leurs téléphones portables, des étudiants promettent de ne pas lever la pression tant que les revendications de la rue ne sont pas prises en considération. « Nous restons là, pour exprimer la colère du peuple contre le pouvoir », soutiennent-ils.
Le vacarme des coups sur la tôle couvre les voix. Les manifestants frappent aussi fort qu’ils le peuvent avec leurs poings, des pierres, des bâtons ou même des barres de fer. Geneviève, une habitante du Metn, interpelle une classe politique insensible aux souffrances du peuple. « Je frappe pour être enfin entendue, dit-elle, et continuerai de frapper jusqu’à la dernière goutte de mon sang. » Un militant demande des renforts pour bloquer les entrées de Bab Idriss, de l’Escwa et de Zokak el-Blatt. Il n’en peut plus de l’arrogance des dirigeants. « Cela fait quand même plus d’un mois que nous manifestons au quotidien. Et ils osent nous défier avec cette loi d’amnistie qui va effacer leurs crimes et leurs violations écologiques », gronde-t-il. Au cœur de la foule, l’activiste Wassef Haraké emmène un groupe de jeunes en vue d’effectuer une percée. Ils seront refoulés par les forces de l’ordre. De son côté, Meguerdich, diplômé en sciences politiques et bénévole auprès d’enfants syriens au sein d’une ONG, se demande qui va bien pouvoir tenir les voyous, au cas où les autorités amnistient tous les prisonniers. Il ne peut s’empêcher de haranguer quelques membres des forces de l’ordre : « Votre place est avec nous, pas auprès de cette classe corrompue qui n’a jamais respecté les droits de l’homme. »
(Lire aussi : Second but des manifestants dans les filets de Nabih Berry)
Une foule en liesse, mais vigilante
Place Riad el-Solh, côté rue des Banques ou du Sérail, une foule surexcitée nargue les forces de l’ordre. Elle entonne les slogans de la révolution, interpelle les dirigeants à qui elle demande des comptes. « Le Parlement est constitué de voleurs. » « Écrase, peuple, écrase. » Des projectiles volent. On s’affronte. Les choses finissent par rentrer dans l’ordre. Malak Alaywé Herz, icône de la révolution, est présente. Elle espère qu’il n’y aura pas plus de débordements. Mais ne peut s’empêcher de mettre les autorités en garde. « S’ils adoptent la loi d’amnistie, ça va barder », promet-elle.
C’est à ce moment que la foule apprend le report de la séance parlementaire. Il est 11 heures environ. Elle hurle sa victoire, la troisième en quelques jours. Mais refuse de baisser la garde, craignant un coup monté du président du Parlement. « Nous ne bougerons pas d’ici avant 15 heures », assure Ramah, qui vient de la Montagne. Ici et là, les manifestants célèbrent, se congratulent, tirent des feux d’artifice. Et reprennent de plus belle leurs attaques contre ce pouvoir et ses représentants qu’ils veulent plus que tout dégommer. Ils entonnent le traditionnel héla ho, en se félicitant cette fois d’avoir « fermé le Parlement, ya hélo ! ». « Chaque fois qu’ils augmentent l’oppression sécuritaire, nous augmenterons la violence révolutionnaire », préviennent-ils encore. Cette violence, la syndicaliste indépendante Siham Antoun affirme la craindre. « La colère de la rue est bien plus grande que la capacité des groupes organisateurs à la contenir », constate-t-elle. Mais rien n’arrête les révolutionnaires. Ils rendent hommage à Ala’ Abou Fakhr, partisan du PSP qui a rejoint les rangs de la révolution et qui a été assassiné le 12 novembre par balle alors qu’il manifestait à Choueifate avec sa femme et son fils. « Ton sang n’a pas coulé en vain », dit un militant à l’adresse du défunt dont le portrait géant surplombe les places. Comme pour faire écho à ses propos, les manifestants s’acharnent de plus belle sur la tôle.
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commentaires (5)
Il faut relire l’histoire - En 2005 une partie des Libanais après la mort de Rafic Hariri à réussi à faire le plus difficile c est chasser l’occupant Syrien alors vous SVP prenez en bonne lecture et réagissez pendant qu’il est encore temps car je crois qu’aujourd’hui ceux qui sont descendus dans la rue sont de loin plus nombreux et n’ont plus rien à perdre !
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21 h 08, le 20 novembre 2019