Si l’annulation hier, sous la pression de la rue, de la séance législative consacrée au vote de plusieurs lois de lutte contre la corruption ainsi que de la loi d’amnistie générale a permis au mouvement de contestation de marquer une nouvelle victoire, les parties en faveur de cette loi se sont retrouvées bredouilles. Il s’agit principalement de plus de 42 000 repris de justice, en grande majorité des chiites de Baalbeck-Hermel, mais aussi de près d’un millier d’islamistes de Tripoli qui croupissent depuis des années dans les prisons. Or des familles de ces islamistes avaient, à la veille de la séance législative, déclaré dans des interventions à des chaînes de télévision qu’elles s’opposaient à cette loi parce qu’elle englobait une diversité de crimes et préféreraient, par conséquent, que la justice prenne son cours normal.
Tel n’est pas le cas des repris de justice de Baalbeck-Hermel, qui ne cachent pas leur colère. « Nous faisons partie du mouvement de protestation, mais nous réclamons en plus la loi d’amnistie », déclare à L’Orient-Le Jour Doummar Mokdad, membre du Comité en faveur de la loi d’amnistie générale. « Nous réclamons cette loi depuis 2009, rappelle-t-il. Il y a trop de personnes jetées injustement dans les prisons, et elles s’y trouvent dans des conditions inhumaines. Nombre de ces prisonniers sont détenus depuis des années sans jugement. S’il s’avère qu’ils sont innocents, qui va leur restituer ces années perdues ? »
M. Mokdad explique que le comité misait beaucoup sur cette séance législative, parce qu’une telle loi « est susceptible de donner une seconde chance aux prisonniers et aux repris de justice de revenir dans le giron de l’État ». « D’ailleurs, c’est cette classe politique, la corruption qui sévit dans le pays ainsi que l’absence de développement équilibré qui ont poussé les habitants de Baalbeck-Hermel à suivre ce chemin. »
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Mesures d’escalade
Doummar Mokdad rappelle que le Comité en faveur de la loi d’amnistie générale réclame le vote de cette loi depuis 2009. « Nous avons une longueur d’avance dans ce cadre sur le mouvement de contestation », insiste-t-il, soulignant que le comité a dressé une tente à la rue de l’émir Béchir reliant la place des Martyrs à celle de Riad el-Solh. « Le report de la séance législative présage d’une nouvelle étape sombre, déplore-t-il. À mon avis, ce n’est pas la rue qui a réussi à faire sauter la séance, mais ce sont les hommes politiques eux-mêmes qui se sont entendus pour le faire. L’amnistie générale est malheureusement instrumentalisée par les hommes politiques. »
« Nous ne réclamons pas l’amnistie pour les corrompus et les criminels, encore moins pour ceux qui ont poussé nos enfants à suivre ce chemin, martèle M. Mokdad. Nous réclamons une loi d’amnistie juste. Celle-ci constitue d’ailleurs un pas vers le développement de Baalbeck-Hermel qui connaît un fort taux de chômage. »
Même son de cloche chez Abou Abdo, porte-parole du Comité en faveur de la loi d’amnistie. Il estime ainsi qu’une telle loi « donnera une seconde chance à ces repris de justice qui désirent se repentir ». « La séance législative d’aujourd’hui (hier) a constitué un grand coup de théâtre, dénonce-t-il. Si les députés comptaient vraiment y participer, ils auraient pu accéder au Parlement comme l’a fait le président de la Chambre Nabih Berry. Tout ce qu’ils ont fait, c’est d’accorder à la rue que je soutiens une carte gagnante. »
Abou Abdo estime ainsi que cette loi « ne servira pas les partis » qui règnent à Baalbeck-Hermel, en référence au Hezbollah et au mouvement Amal, « parce qu’une telle loi renforcera la sécurité dans la région, mais surtout le rôle de l’État ». « De ce fait, les partis n’auront plus un rôle à jouer », note-t-il. Pour lui, les repris de la justice n’attendent que de bénéficier d’une seconde chance, et « ceux d’entre eux qui ont fait fortune grâce au trafic de drogue pourront créer des usines, et par conséquent des opportunités de travail à des milliers de jeunes qui n’auront plus à s’enrôler dans les rangs des partis et à faire la guerre pour eux pour pouvoir subvenir aux besoins de leurs familles ».
Le Comité en faveur de la loi d’amnistie affirme qu’il prendra des mesures d’escalade qui seront annoncées en temps voulu.
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Chez le mufti Deriane
Quelques heures après le report de la séance législative, des protestataires ont bloqué en soirée l’autoroute Hadi Nasrallah, dans la banlieue sud de Beyrouth.
Par ailleurs, le mufti de la République, Abdelatif Deriane, a promis qu’il allait suivre le dossier des détenus islamistes en vue du vote d’une loi d’amnistie générale.
« J’ai été le premier à réclamer une loi d’amnistie générale pour tous les détenus sans exception dans l’ensemble du pays », a-t-il ainsi déclaré, hier, devant une délégation de proches de détenus islamistes qui a décrit au dignitaire la situation des prisonniers et leurs difficultés à s’entretenir avec leurs proches. « J’ai entrepris les contacts nécessaires avec les autorités compétentes au gouvernement et au Parlement et j’ai exprimé la nécessité de rendre justice, de réparer les injustices et d’accélérer les procès », a-t-il indiqué.
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commentaires (3)
Comment ils sont restés en prison sans jugement ? Est ce qu'ils ont pris de leçons de leur voisin syriens?
Eleni Caridopoulou
18 h 18, le 20 novembre 2019