Après l’échec de l’accord autour de la désignation de Mohammad Safadi, la situation s’envenime et la crise politique s’aggrave. C’est ce constat alarmant que livre le courant du Futur au lendemain de sa toute dernière querelle avec son partenaire au sein du compromis présidentiel, le Courant patriotique libre.
La querelle entre les deux partis constitue un nouveau camouflet au compromis présidentiel, conclu en 2016 entre haririens et aounistes. Elle l’a même « anéanti », pour reprendre les termes de Moustapha Allouche, membre du bureau politique du Futur, contacté par L’Orient-Le Jour.
Pour rappel, cette entente avait ouvert la voie à l’accession à la présidence du général Michel Aoun. Un accord à la faveur duquel le leader du courant du Futur Saad Hariri devait conserver le poste de Premier ministre tout au long du mandat Aoun, en contrepartie de son appui à ce dernier lors de la présidentielle.
Mais contrairement à ce qu’auraient pu espérer les deux partis, cette entente est tombée à l’eau alors que le président Aoun est à mi-mandat, après avoir subi plusieurs secousses, la dernière en date étant la querelle consécutive à l’échec de l’option Safadi.
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Mauvais timing
C’est donc surtout par son timing que cette crise est grave: elle intervient à l’heure où les deux piliers de l’accord s’écharpent autour de la forme de la future équipe ministérielle. Depuis qu’il a jeté l’éponge sous la pression du mouvement contestataire qui secoue le pays depuis le 17 octobre dernier, Saad Hariri presse pour que soit mise sur pied une nouvelle équipe ministérielle entièrement composée de spécialistes indépendants.
En face, le CPL, avec le soutien de son allié traditionnel, le Hezbollah, insiste pour que le prochain gouvernement soit techno-politique, c’est-à-dire mêlant spécialistes et politiques. Une façon de calmer les appréhensions du parti chiite qui craint d’être écarté du pouvoir, à l’heure où il est plus que jamais dans le collimateur de l’administration Trump. Un tableau sur lequel se greffe la mésentente suscitée par l’accord autour du nom de Mohammad Safadi, le CPL accusant M. Hariri d’avoir voué cette entente à l’échec pour pouvoir être reconduit à son poste.
Pour le moment, une chose semble sûre pour les haririens: le compromis présidentiel n’existe plus. Mais Moustapha Allouche précise que, contrairement à ce qu’on serait tenté de croire, cela ne résulte pas uniquement de l’affaire Safadi. « L’entente avec le CPL a été anéantie depuis la démission de Saad Hariri (le 29 octobre dernier) », souligne-t-il, estimant que « cela signifie que la crise politique qui bat aujourd’hui son plein, risque de s’envenimer ». D’ailleurs, le CPL n’avait pas hésité à accuser M. Hariri de l’avoir « trahi » en annonçant sa démission sans l’en avoir informé à l’avance.
Même son de cloche chez un responsable du Futur qui a requis l’anonymat. « Le compromis est tombé à l’eau. Mais nous nous soucions peu d’un accord politique à l’heure où c’est l’intérêt du pays qui est en jeu ». Et le responsable du Futur de mettre en garde contre « une aggravation de la crise politique », « si le CPL continue à adopter une politique visant à marquer des points au détriment du pays ».En face, et en dépit d’un virulent échange sur Twitter entre Hikmat Dib, député CPL de Baabda et Moustapha Allouche, le tandem Baabda-CPL s’efforce d’assurer que les rapports avec Saad Hariri ne sont pas si mauvais, en dépit du désaccord autour de l’option Mohammad Safadi.
Interrogé par l’OLJ, un responsable aouniste estime que « nous ne pouvons pas considérer que le compromis est fini avant que se termine le processus de formation du gouvernement ». Selon ce responsable, la démission de Hariri a constitué « une sérieuse secousse », surtout qu’il n’en avait pas informé le CPL au préalable, mais les contacts ne sont pas rompus entre les deux parties.
Le gouvernement
C’est surtout au niveau des tractations gouvernementales que les conséquences d’une fin du compromis présidentiel se feraient sentir. Selon le responsable du Futur, « il est grand temps de commencer à répondre aux demandes des manifestants en formant un cabinet exclusivement composé de spécialistes. Et c’est à partir de ce point que pourrait être lancé le processus de redynamisation du compromis présidentiel ».
« Le CPL ne peut pas continuer à faire la sourde oreille aux demandes du mouvement de contestation, et à commettre de flagrantes infractions à la Constitution », ajoute-t-il, dans ce qui sonne comme une critique des contacts menés loin des feux de la rampe, dans le but de faciliter la tâche au futur Premier ministre, avant même sa désignation. Saad Hariri, quant à lui, est intraitable: il faut que le futur cabinet soit celui de spécialistes indépendants. Une position qu’il a réaffirmée hier devant les membres des bureaux politique et exécutif du Futur réunis.
Selon des visiteurs de Baabda cités par notre correspondante Hoda Chédid, on serait désormais en quête d’une personnalité sunnite autre que Saad Hariri, qui accepterait de diriger une équipe techno-politique telle que réclamée par Michel Aoun et Hassan Nasrallah.
De source politique, on estime que ce dernier ne se prononcera pas de sitôt au sujet du cabinet, préférant attendre l’issue du large mouvement de contestation qui a éclaté en Iran. Car toute accélération du processus gouvernemental au Liban à l’heure actuelle serait interprétée comme une défaite de l’axe de la Moumanaa parrainé par la République islamique.
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C'est à l'honneur de Saad Hariri et de la communauté sunnite de refuser le diktat du Hezbollah, milice supplétive des Pasdaran et de son laquais Gebran Bassil et ses mercenaires. Ou un gouvernement de spécialistes indépendants ou rien. Un gouvernement mixte techno-politique "made in" Michel Aoun, de son beau-fils Gebran Bassil avec la complicité de la milice du nouvel empire perse, ne satisfait pas les manifestants pour un changement radical du système corrompu.
14 h 17, le 19 novembre 2019