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... Et une Étoile de plus !

Toute révolution se nourrit de ses acquis mais aussi de ses déconvenues, se dote de symboles exaltants ou douloureux, se pare d’images fortes qui font parfois un triomphal tour du monde. De ces scènes captées sur fond de déploiements de drapeaux se détache celle ( la plus littéralement percutante) où l’on voit une jeune manifestante, visiblement adepte des arts martiaux asiatiques, décocher à un gorille armé un magistral coup de pied circulaire ; si bien ciblée était d’ailleurs la redoutable pirouette que l’escogriffe en gardera sans doute, dans son amour-propre comme dans son bas-ventre, un cuisant souvenir. Pour le peuple en révolte par contre, ce fut le pied, en même temps qu’une vigoureuse illustration de la position centrale qu’assume la femme libanaise dans la contestation populaire en cours.


Sur un registre plus tragique et plus poignant, c’est cependant au citoyen Ala’ Abou Fakhr, froidement abattu par un militaire indigne sous le regard atterré de son épouse et de ses enfants, que revient la place d’honneur dans l’imaginaire collectif des Libanais. Ce baptême du sang est venu sceller plus étroitement encore l’union sacrée des contestataires ; et dans un formidable élan d’émotion, le pays tout entier a salué la dignité, la noblesse dont a fait montre une famille druze plongée dans la douleur, déclinant dignement toute offre de secours matériel et néanmoins résolue à poursuivre la lutte.


C’est une incarnation, bien vivante cette fois, de la quête nationale de justice politique et sociale qu’est le nouveau bâtonnier de l’ordre des avocats élu dimanche aux cris de Révolution. Ancien secouriste de la Croix-Rouge, inlassable activiste pour l’entraide dans la paix, libre de toute attache politique, Melhem Khalaf est particulièrement bien armé pour aiguillonner un appareil judiciaire lent à la détente, notamment en matière de libertés publiques. Sa victoire face aux candidats des partis influents devrait donner le ton au reste du corps syndical.


Quant aux acquis déjà engrangés par la révolution, ils s’enrichissaient hier d’une nouvelle et fracassante victoire face à une machine étatique sourde aux revendications des foules : sourde, aveugle, et que l’on voit mener, à l’aide de ruses éculées, une bataille d’arrière-garde contre une rébellion qui n’a rien de conventionnel. Pour la deuxième fois, les manifestants réussissaient hier à torpiller une séance parlementaire consacrée à un scélérat mais futile, puéril, projet d’amnistie ménageant de larges zones d’exonération aux pillards de la République : ceux-là mêmes qui se voient conspués sans répit par la rue. Or non contente d’interdire tout quorum, l’irrésistible marche sur la place de l’Étoile aura fourni matière à deux tableaux des plus accablants pour la caste au pouvoir.


Baroud de déshonneur, en effet, que cette pétarade d’armes à feu à laquelle s’est livré, en parodie d’un mauvais western, le convoi d’un député et ministre acharné à se frayer un passage vers l’Assemblée à travers les rangs de manifestants ; faudra-t-il donc remercier cette Excellence d’avoir si bien rappelé contre quels intolérables abus miliciens s’insurge aussi le peuple ? Encore plus chargé de symboles était toutefois le spectacle d’un Parlement entouré de barrières métalliques et de rouleaux de fil barbelé, comme pour bien reconnaître, à l’adresse d’un peuple miraculeusement débarrassé de ses carcans sectaires et partisans, que les rôles sont inversés. Qu’à la veille de la fête de l’Indépendance, le rôle d’otage, de prisonnier, n’est plus exclusivement dévolu au pauvre peuple. Que les séquestrés, les vrais, à l’Étoile et au Sérail tout comme à Baabda, ce sont bien eux désormais.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Toute révolution se nourrit de ses acquis mais aussi de ses déconvenues, se dote de symboles exaltants ou douloureux, se pare d’images fortes qui font parfois un triomphal tour du monde. De ces scènes captées sur fond de déploiements de drapeaux se détache celle ( la plus littéralement percutante) où l’on voit une jeune manifestante, visiblement adepte des arts martiaux asiatiques,...