Le Conseil des ministres a consacré neuf réunions à l’examen de l’avant-projet de budget. Photo ANI
Le Conseil des ministres a achevé hier au Grand Sérail sa neuvième réunion depuis le 30 avril consacrée à l’examen de l’avant-projet de budget pour 2019. La séance a finalement permis au gouvernement d’approuver une mesure des plus appréhendées : la hausse temporaire du taux d’imposition des intérêts bancaires – souvent désigné improprement par le terme de « taxe » –, qui passerait ainsi de 7 % à 10 % (article 30). Selon le ministre de l’Information, Jamal Jarrah, qui a présenté les principales avancées de l’exécutif lors d’une conférence de presse, cette hausse serait effective durant trois ans. Passé ce délai, le taux repassera à 7 %, avec la perspective d’être ramené à son niveau d’avant 2017, soit 5 %, si les conditions économiques le permettent, a-t-il assuré.
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« Manque de sérieux »
Le Conseil des ministres s’était penché sur cette mesure sensible une première fois lors de sa réunion du 3 mai, avant de finalement décider de reporter sa décision. Si son entrée en vigueur n’est pas acquise, le projet de budget pouvant encore être amendé en commission ainsi qu’au Parlement, son intégration au projet de budget a été largement critiquée, notamment dans les milieux bancaires.
« Le fait que le gouvernement se retranche sur cette mesure alors que tout le monde attend qu’il lance des réformes de fond démontre son manque de sérieux. Il faut maintenant espérer que le Parlement soit plus responsable », a lâché le directeur du département de recherche de la Byblos Bank, Nassib Ghobril, contacté par L’Orient-Le Jour. Même son de cloche du côté d’un expert financier anonyme : « Nous nous attendions à ce que le gouvernement adopte des mesures qui relancent l’économie et relâchent la pression sur les taux d’intérêt. Là, on risque d’avoir l’effet contraire. » Le taux de référence (Beirut Reference Rate) sur la livre libanaise a atteint 13,06 % en avril (contre 10,70 % un an plus tôt) tandis que celui sur le dollar s’élève à 9,52 % (contre 7,23 %).
Hasard du calendrier, le PDG de Bank of Beirut, Sélim Sfeir, avait affirmé plus tôt dans la journée, lors d’une conférence de presse organisée au Four Seasons à Beyrouth, craindre que l’adoption de cette mesure n’affecte la décision de certains déposants qui ont la possibilité de placer leur argent dans d’autres pays.
Nassib Ghobril rappelle pour sa part que la hausse de cette imposition survient moins de deux ans après un premier relèvement de 2 points (de 5 % à 7 %) entériné par le Parlement pour contribuer à financer une hausse des salaires dans la fonction publique approuvée à l’été 2017. « Si la mesure est votée, le Liban aura multiplié ce taux par deux entre 2017 et 2019 », poursuit-il.
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Lutter contre la corruption
Selon lui, la hausse de cette « taxe » est « néfaste » à plusieurs titres. Elle pénalise d’abord des milliers de déposants qui ont arrêté de travailler et pour qui les intérêts bancaires constituent l’unique source de revenus, dans un pays où l’État ne leur verse pas d’indemnités. Elle risque ensuite de pousser les déposants – qui vont devoir la payer – à demander aux banques de rémunérer davantage leurs dépôts. Ces dernières seront alors forcées d’augmenter les taux sur les crédits, ce qui pénalisera encore plus l’économie réelle et augmentera les coûts de financement du secteur. « Enfin, comme la disposition mettant la hausse en place ne distingue pas entre les résidents et les non-résidents, il est à craindre que des expatriés, qui sont déjà taxés dans les pays où ils travaillent, choisissent de ne plus déposer leur argent dans les banques libanaises », conclut-il.
Le département de recherche de Bank Audi, qui a exposé mercredi dans son dernier rapport trimestriel sur l’économie du pays certaines pistes pour favoriser un « atterrissage en douceur » des finances publiques, juge de son côté indispensable de conditionner toute hausse de la fiscalité au Liban à un renforcement de la lutte contre la corruption dans l’administration. « Le lancement des réformes est la clef pour lutter contre l’évasion fiscale (NDLR : qui coûte 4,8 milliards de dollars à l’État selon le rapport de Bank Audi) ou assainir certaines administrations et établissements publics », martèle de son côté l’expert précité.
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Militaires
Outre la hausse de la « taxe » sur les intérêts bancaires, le gouvernement s’est également entendu sur d’autres mesures, expliquées par M. Jarrah, dont certaines visant les forces armées.
Ainsi la disposition augmentant de 18 à 23 ans le nombre d’années de service nécessaire pour permettre à un militaire de partir à la retraite avant l’âge a été approuvée, tout comme celle prévoyant de plafonner le nombre d’années de service à 25 ans plutôt que 20 pour le départ à la retraite. La durée de service avant la retraite pour les membres des forces spéciales a été repoussée de trois ans. L’article 50 de l’avant-projet de budget prévoyait que ces durées soit fixées dans un décret distinct.
Le ministre de l’Information a en outre souligné que le gouvernement allait « appliquer la loi » au sujet de la « mesure n° 3 », état d’alerte préventive dans lequel se trouve le pays depuis 2006 et qui prévoit des compensations financières pour les membres de tous les appareils sécuritaires. Selon lui, « la mesure n° 3 sera appliquée pour la lutte contre Israël », mais les chefs des services de sécurité doivent définir les cas dans lesquels les mesures n° 3, 2 ou 1 s’appliquent.
Selon la LBCI, le ministre de la Défense, Élias Bou Saab, a notamment demandé à ce que l’application de la mesure n° 3 pour l’armée soit séparée de celle des forces de sécurité. Le Premier ministre Saad Hariri aurait alors demandé à M. Bou Saab et à la ministre de l’Intérieur, Raya el-Hassan, qui est en charge des forces de sécurité, de présenter une formule conjointe au Conseil des ministres pour régler cette question.
M. Jarrah n’a par contre pas indiqué si les ministres avaient approuvé ou non l’article 55 de l’avant-projet de budget qui prévoit une ponction mensuelle de 3 % sur les pensions de retraite des militaires en échange de leur couverture maladie, une mesure qui a mobilisé plusieurs dizaines de retraités de l’armée hier devant le Grand Sérail.
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Bourses scolaires
S’agissant des autres mesures annoncées, M. Jarrah a en outre fait savoir que le gouvernement compte revoir à la baisse les avantages scolaires accordés aux enfants des fonctionnaires, renvoyant la question à un examen « plus approfondi ». Le ministre a en outre confirmé que le gouvernement n’avait pas encore tranché la question de la baisse des rémunérations des hauts responsables et des députés. L’Agence nationale d’information a rapporté que la disposition réduisant de 15 % le montant des bourses scolaires a été approuvée, à l’exception de celles accordées aux enfants des membres de la Coopérative des fonctionnaires. Enfin, le ministre de l’Industrie, Waël Bou Faour, a annoncé qu’il présentera lors de la prochaine séance du gouvernement, avec le ministre de l’Économie et du Commerce, Mansour Bteich, des propositions pour des impositions supplémentaires sur les importations.
Le gouvernement se réunira à nouveau dimanche à 21 heures et lundi à 11 heures afin de poursuivre l’examen du texte. La séance de lundi pourrait être la dernière. Les responsables espèrent que le budget pour 2019, qui doit concrétiser une partie de leurs engagements de réformes pris lors de la conférence de Paris d’avril 2018
(CEDRE), soit adopté avant la fin du mois. Ce texte doit notamment amorcer une baisse du ratio déficit/PIB d’un point de pourcentage par an pendant cinq ans. Mais les pistes privilégiées par le ministère des Finances qui a préparé l’avant-projet ne font pas l’unanimité, même au sein du gouvernement.
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Manque de sérieux pour des ministres irresponsables ou imposer des taxes sur les banques aura des effets négatifs .
20 h 23, le 11 mai 2019