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Économie - Commentaire

Six arguments qui déconstruisent le plaidoyer des banques

Six arguments qui déconstruisent le plaidoyer des banques

Le siège de l'Association des banques du Liban à Beyrouth. Photo João Sousa

Le plaidoyer des ceux qui ont défendu les banques en prétendant défendre les déposants aux réunions qui se sont tenues la semaine dernière avec des responsables du FMI à Washington a été une nouvelle occasion pour ces derniers de répéter des éléments de langage bien connus, avec toujours le même objectif en tête : faire échec à des réformes exigées par le fonds qui placent les banques en première ligne dans la répartition des pertes financières du pays. Avec en particulier une formule simple : la crise libanaise est « systémique ». Autrement dit, c’est le système financier et économique dans son ensemble qui est menacé d'effondrement totale, et non pas le seul secteur bancaire. Le plaidoyer ne manque pas d’arguments. Preuve en est, ce ne sont pas une, deux ou trois banques qui sont touchées, mais bien l’ensemble du secteur, voire l’économie du pays. L'état de faillite ou de défaut a frappé l'ensemble du système, de l'État à la banque centrale (BDL) jusqu'aux banques et aux autres secteurs, comme une chute de dominos. Parmi les exemples avancés pour étayer cette opinion, il y a le fait que des banques qui n'ont pas été exposées comme d'autres à la dette publique, notamment les eurobonds et les certificats de dépôt à la BDL, sont également en situation de quasi paralysie. Les banquiers soutiennent également que si une loi de contrôle des capitaux avait été adoptée dès le début de la crise, la situation ne se serait pas dégradée au point où seuls 15 % des dépôts totaux enregistrés dans le bilan des banques sont encore présents dans le système financier. De plus, certains ajoutent que les banques étaient impuissantes face à la BDL qui dictait les « règles du jeu » à travers son pouvoir réglementaire, différentes formes d’incitation financière voire, selon certains témoignages de banquiers, une forme d’intimidation. Certains professionnels rappellent que, l'ancien gouverneur de la BDL, Riad Salamé, a par exemple, imposé aux banques d'accepter le remboursement des prêts en dollars avec une décote notable - soit au taux de 1500 LL/USD soit par par des chèques bancaires libellés en « lollar », c'est-à-dire les devises faisant l’objet de restrictions illégales et au taux de conversion fixée par la BDL très en dessous de la valeur du marché. La valeur de ces prêts remboursés avec de telles décotes dépasse les 30 milliards de dollars. Les banques ajoutent à cela plus de 11 milliards de dollars dépensés avec l'accord entre la BDL et le gouvernement pour les subventions de l’importation de certains produits en 2020 et 2021.

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Pour autant, les banques ne peuvent pas nier un ensemble de faits qui méritent d'être rappelés. Premièrement, puisque la discussion porte sur la manière de restituer les dépôts à leurs propriétaires, le Code de la monnaie et le crédit, qui stipule que la banque reçoit de l'argent pour le réutiliser à son propre compte dans le prêt (oui, à son propre compte et non à celui du déposant). Par conséquent, le dépôt ordinaire n'est pas soumis à gestion et n'est pas un investissement où le déposant assume les risques. En ce qui concerne le Code de commerce, il existe un article (307) clair et explicite qui oblige la banque à restituer le dépôt à sa valeur équivalente à ses détenteurs à l'échéance ou à la fin du dépôt, ou à toute demande de ceux-ci.

Deuxièmement, les banques ont poussé à l'extrême la logique de prise de risque frôlant parfois la spéculation ou l'aventurisme, sur la dette souveraine (les eurobonds et les bons du Trésor) et les certificats de dépôt à la banque centrale, jusqu'à ce que les montants dépassent 75 % des fonds des déposants. Cela contrevient totalement aux règles de précaution énoncées dans les décisions de réglementation qui mettent en garde contre l'octroi de crédits à une seule personne (ou entité) dépassant un certain seuil de fonds propres de la banque. Le ratio théoriquement applicable est entre 20 et 25 % maximum, alors que ce ratio a atteint pratiquement 400 à 500 % dans de nombreux cas.

Troisièmement, le fait d'investir dans les obligations et les certificats de dépôt relève du cœur de métier des banques d'affaires et d'investissement, conformément à la loi spécifique régissant ces banques, et non de la compétence des banques commerciales.

Quatrièmement, en ce qui concerne le contrôle des capitaux, l'Association des banques a publié une déclaration le 11 novembre 2019, dans laquelle elle déclare ce qui suit : « L'Association salue les assurances du gouverneur de la BDL (Riad Salamé à l'époque, ndlr) concernant le non-recours à un mécanisme de contrôle des capitaux. » Même si les banques ont officiellement changé de position sur ce sujet, cette « approbation » publique à l’époque peut être rétrospectivement considérée comme un aveu implicite de responsabilité en termes de répercussions de cette inaction, notamment en ce qui concerne la fuite des capitaux à l'étranger.

Cinquièmement, l'expansion du prêt à l'État et des dépôts à sa banque centrale a réduit la liquidité disponible dans les banques à la veille de la crise à seulement 7 %, comparativement à plus de 90 % lors de la crise monétaire qui a frappé le Liban à la fin des années 1980. Pendant cette période ( avant 1990), les banques n'ont pas fait faillite malgré l'effondrement du taux de change de la livre libanaise. En revanche, à l'automne 2019, les banques ont rencontré des difficultés majeures dès les premiers jours et, contrairement à ce qu’elles ne cessent de dire, bien avant la décision du gouvernement de Hassane Diab de suspendre le paiement des eurobonds en mars 2020.

Sixièmement, l'engagement des fonds des déposants dans les opérations d'ingénierie financière de la BDL , qui ont atteint leur apogée en 2016, était motivé par la recherche de profits trop élevés. Les intérêts cumulés (en livres libanaises et en dollars) dans certains de ces montages ont atteint 30 %. sachant que ces ingénieries ont été dénoncées par le FMI et la banque mondiale . Tout cela fait partie du paysage bancaire qui a conduit le président français Emmanuel Macron et le secrétaire général des Nations unies António Guterres à déclarer en 2020 que « ce que la Banque du Liban a fait en collaboration avec les banques est un schéma frauduleux (une escroquerie de type Ponzi) ». Les banques ont beau le nier, leur responsabilité dans l’origine de la crise est sans équivoque.

Le plaidoyer des ceux qui ont défendu les banques en prétendant défendre les déposants aux réunions qui se sont tenues la semaine dernière avec des responsables du FMI à Washington a été une nouvelle occasion pour ces derniers de répéter des éléments de langage bien connus, avec toujours le même objectif en tête : faire échec à des réformes exigées par le fonds qui...

commentaires (2)

Particulièrement vrais les deux premiers points: L'obligation légale de remboursement des dépots et la prise de risque inconsidérée des banques et donc leur responsabilité managériale et spécifiquement légale (c'est une faute lourde de gestion) car elles n'ont pas diversifié les placements: Durant 30 ans elles ont placé les dépots pratiquement uniquement en BDT. A moins d'avoir une loi, ou un courrier de l'Etat les obligeant à investir dans les BDT elles sont légalement responsables. ABL en tant qu'association est aussi légalement responsable si elle n'a pas averti de ce risque.

Moi

11 h 59, le 26 avril 2024

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Commentaires (2)

  • Particulièrement vrais les deux premiers points: L'obligation légale de remboursement des dépots et la prise de risque inconsidérée des banques et donc leur responsabilité managériale et spécifiquement légale (c'est une faute lourde de gestion) car elles n'ont pas diversifié les placements: Durant 30 ans elles ont placé les dépots pratiquement uniquement en BDT. A moins d'avoir une loi, ou un courrier de l'Etat les obligeant à investir dans les BDT elles sont légalement responsables. ABL en tant qu'association est aussi légalement responsable si elle n'a pas averti de ce risque.

    Moi

    11 h 59, le 26 avril 2024

  • Ah ! Enfin, un article sur la crise financiere redige par un expert qui n'est pas vendu aux crapules bancaires. C'est bien le premier depuis un moment.

    Michel Trad

    01 h 35, le 26 avril 2024

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