
Le gouverneur p.i. Wassim Manssouri (2e à partir de la gauche) s'est exprimé jeudi en ouverture d’une conférence organisée par l'Union des banques arabes. Photo ANI
Le gouverneur par intérim de la Banque du Liban (BDL), Wassim Manssouri, a déclaré jeudi que l’institution avait lancé un « grand chantier en coopération avec la Commission spéciale d’investigation », compétente en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, afin de faire face aux conséquences du développement de l’économie du cash sur le système financier libanais.
S’exprimant à l’hôtel Phoenicia à Beyrouth. en ouverture d’une conférence organisée par l'Union des banques arabes, qui fête ses 50 ans cette année, M. Manssouri n’a pas donné plus de détails sur les mesures envisagées, se contentant d’ajouter qu’elles feraient l’objet de « circulaires » et de propositions d’amendements de la législation libanaise qui seront soumises au gouvernement.
Plus tard dans la journée, lors d’une réunion à la BDL avec l’Association des journalistes économiques libanais, le gouverneur a assuré que la banque centrale restait « engagée » vis-à-vis du Groupe d’action financière (GAFI), organisme international de surveillance de la criminalité financière.
En juin dernier, le GAFI a menacé d’inscrire le Liban sur sa « liste grise » des nations devant faire l'objet d'une surveillance particulière, avant de se raviser et d’accorder un délai d’un an aux autorités libanaises pour procéder à certains changements.
Multiplication des annonces
Puis, en décembre, le GAFI a livré une évaluation intermédiaire dans laquelle ses experts ont considéré que les mesures prises par le Liban contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme étaient en majorité jugées acceptables. Ils avaient en outre demandé que des efforts soient déployés, notamment en matière de coopération internationale, ou au niveau des procédures d’identification des « vrais » bénéficiaires de transactions ou de sociétés dans un pays où le secret bancaire existe encore malgré les aménagements votés ces dernières années.
Il n’est donc pas surprenant que le gouverneur Manssouri, qui est rentré de Washington où une délégation libanaise s’est entretenue avec les autorités américaines et a participé aux réunions de printemps du groupe Banque mondiale (BM) et Fonds monétaire international (FMI), s’active à deux mois d’une échéance cruciale pour le pays.
La semaine dernière, la BDL a par exemple publié un communiqué indiquant avoir pris des mesures pour tenter de relancer les paiements par carte bancaire.
Lors de la réunion jeudi avec les journalistes, M. Manssouri a répété à plusieurs reprises que donner les moyens à la justice pour pousser les responsables de la crise que le pays traverse depuis 2019 à rendre des comptes était le premier pilier à mettre en place pour replacer le pays sur les rails, avant la restitution des dépôts, la reconstruction de l’économie et celle de l’État.
Le gouverneur a également insisté sur le fait que la renonciation à la protection encore offerte par le secret bancaire devait être un prérequis pour les déposants qui réclament la restitution de leurs dépôts. Il a enfin rappelé que cette mesure avait été imposée aux bénéficiaires des circulaires n° 158 et n° 166, qui ont institué des mécanismes ouvrant la possibilité aux déposants de retirer de petits montants en dollars de leurs dépôts illégalement confisqués par les banques depuis fin 2019, un contrôle forcé des capitaux doublé d’un haircut que l’État rechigne à réglementer.
Il a enfin encore dit que la BDL avait retrouvé un rôle plus conforme à celui que lui assigne le Code de la monnaie et du crédit, depuis son arrivée à la place de l'ancien gouverneur Riad Salamé, le 31 juillet dernier, en refusant de financer l'État (que ce soit en dollars ou en livres libanaises), en stabilisant le taux de change (à 89 500 LL pour un dollar, grâce à un contrôle strict de la masse monétaire en circulation (qui atteint l'équivalent de 600 millions de dollars) et en limitant les injections de dollars (via les rémunérations des fonctionnaires).
Mais est-ce que ce bilan sera suffisant pour le GAFI ? Pour l’heure, les bruits qui ressortent des coulisses du secteur bancaire craignent que l’action de la BDL en un an ne suffise pas à convaincre l'organisation d’éviter au Liban une rétrogradation, que ce soit sur la liste grise des pays soumis à une surveillance renforcée mais coopératifs, comme les Émirats arabes unis ou celle, plus problématique, réunissant les pays non coopératifs. Mais rien n’écarte non plus la possibilité que le GAFI fasse encore preuve de patience, en accordant un délai cette fois plus court, histoire de ne pas torpiller la dynamique que le gouverneur affirme avoir enclenché. En 2023, le Liban avait échappé de justesse à la liste grise.
La seule certitude à ce stade, c’est que la réponse sera connue dans deux mois.
Un Liban sur liste grise serait une catastrophe. Il ne sera plus possible de faire des virements depuis l'étranger vers le Liban. Cela assèchzrait les rentrées d'argent dans le pays.
12 h 53, le 28 avril 2024