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Économie - Éclairage

FMI, restructuration, procès : les banques libanaises bientôt obligées d’affronter la réalité ?

Les réunions du FMI ont mis en lumière l’ampleur des désaccords qui demeurent au Liban sur les réformes à entreprendre et leurs modalités, en particulier en ce qui concerne la répartition des pertes entre les banques, les déposants et l’État.

FMI, restructuration, procès : les banques libanaises bientôt obligées d’affronter la réalité ?

Les députés de l'opposition participant à une rencontre à Washington en avril 2024. Photo al-Markazia

Depuis quelques jours, les responsables politiques et monétaires libanais présents aux réunions de printemps du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, qui se sont tenues à Washington du 15 au 20 avril, multiplient les interventions dans les médias ou réseaux sociaux pour faire état des « réalisations » accomplies par le Liban, près de cinq ans après le déclenchement de la crise. Mais en réalité, selon les témoignages rapportés à L’OLJ par plusieurs participants, la délégation libanaise a surtout entendu des propos sans équivoque concernant le retard inacceptable dans la mise en œuvre des conditions de l'accord préliminaire avec le FMI en avril 2022 ; ainsi que des manifestations d’étonnement, voire d’agacement, de la part de représentants de l’institution qui ont vu les différentes parties de la délégation libanaise (députés, gouvernement et Banque du Liban), se renvoyer la balle en termes de responsabilités. Un spectacle désormais coutumier depuis le début des négociations avec le fonds – et en partie à l’origine d’une première suspension des négociations en 2020. « Le retard des réformes a causé de graves dommages au Liban et aux Libanais, en particulier aux déposants, car tout retard dans la résolution de leur situation entraînera des pertes supplémentaires qui s'ajouteront aux pertes subies au cours des quatre dernières années de souffrance », a notamment rappelé à cette occasion, selon nos informations, le vice-Premier ministre du gouvernement sortant, Saadé Chami, en se distinguant des autres membres de la délégation. Il a également estimé que « les objectifs de l'accord préliminaire restent valables, mais des modifications substantielles pourraient être nécessaires après plus de deux ans de son adoption ».

De son côté, le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, s'est réuni mardi dernier à Beyrouth avec une délégation de l'Association des banques (ABL) et leur a indiqué « qu'une équipe (gouvernementale) travaille actuellement sur un nouveau projet de loi de restructuration des banques », précisant qu'il s'agissait d'un projet « applicable cette fois-ci », sans en dire plus. Cependant, selon des sources présentes à la réunion, il était « conciliant avec les banques, comprenant leurs préoccupations et désireux de les servir ».

Blocages successifs

Il reste que les réunions du FMI ont à nouveau mis en lumière l’ampleur des désaccords qui demeurent au Liban sur les réformes à entreprendre et leurs modalités, en particulier en ce qui concerne la répartition des pertes entre les banques, les déposants et l’État.

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Pour rappel, l'Association des banques a réussi jusqu’à présent à obtenir l’abandon, en collaboration étroite avec la banque centrale (BDL) et de personnalités politiques influentes, de plusieurs plans de réformes gouvernementaux successifs (en 2020, 2022 et 2024). Dernier épisode en date : les textes relatifs à la résolution du secteur, élaborés en coordination entre la BDL, le Comité de contrôle des banques et une équipe gouvernementale, ont été rejetés par le Conseil des ministres en février dernier, après que le gouverneur par intérim de la BDL, Wassim Manssouri, s'en soit désolidarisé. Une série d’échecs successifs qui a conduit certains observateurs à y voir un « plan occulte » (shadow plan) de l’ancien gouverneur de la BDL, Riad Salamé, ainsi que des banques et de leurs alliés politiques pour préserver leurs intérêts communs, quitte à renoncer à l’aide du FMI, et continuer à laisser le secteur et toute l’économie du pays paralysés ou « zombies ». D’autant que « le soutien financier vient non seulement du FMI, mais aussi des pays donateurs et qu'aucune aide ne viendra en l'absence d'un accord final avec le premier», a d’ailleurs rappelé Saadé Chami lors des réunions de Washington.

Sur la question de la répartition des pertes, par exemple, l’argument phare de la défense de l’ABL porte désormais sur le fait que la crise est « systémique » et « le résultat de politiques publiques dont l'État est d'abord responsable, avec ses autorités et ses divers organes ». Selon cette vision réductrice de la crise et de ses causes, il suffirait que les établissements puissent récupérer leurs dépôts à la BDL pour pouvoir ensuite « restituer les dépôts à leurs détenteurs ». Un message que leurs représentants ( directs et indirects) ont à nouveau répété à Washington, en insistant sur la responsabilité première de l'État, en affirmant que ce dernier a emprunté – l’argent des certificats de dépôt des banques – à la banque centrale. Ces allégations reposent sur des données publiées par la BDL, dont une dette de 16,6 milliards de dollars envers l'État, accumulée depuis 2007. Cependant, ce chiffre n'est pas définitif selon le ministère des Finances, qui ne reconnaît pas cette créance, car il dispose de preuves montrant qu'il a payé le montant à la BDL à l'époque en livres libanaises, et que l'opération était purement une opération de change. D’autres éléments avancés par les banques (et la BDL) sur la base de ces chiffres sont indirectement liés au coût de la stabilisation du taux de change et à ce que l'on appelle les « opérations de marché ouvert ».Ces opérations que la BDL estime avoir effectuées pour le compte de l’État et dans l’objectif d’assurer la stabilité monétaire s'élèvent à plus de 40 milliards de dollars, que la BDL estime devoir enregistrer comme pertes. Or selon l’interprétation de l'article 113 du Code de la monnaie et du crédit par la BDL, l'État est censé les couvrir si elles sont enregistrées comme telles.

Il y a toutefois des doutes sur la plupart des chiffres avancés par la BDL qui sont restés cachés pendant plus de deux décennies au sein des bilans de l'institution, sous le poste « autres actifs ». L'audit juricomptable réalisé par la société Alvarez & Marsal n'a pas tranché ce débat, d'autant plus que la BDL ne lui a pas fourni toutes les informations et les données demandées. De plus, il y a un désaccord sur l'interprétation de l'article 113 précité en ce qui concerne la couverture des pertes de la BDL. L'article parle d' une année perdante, par exemple, et non pas de l'accumulation de chiffres dissimulés par fraude ou camouflage comptable pendant au moins 20 ans.

De plus, la couverture des pertes nécessite l'approbation du gouvernement pour des comptes vérifiés qui sont ensuite soumis au Parlement pour approbation.

Mais ceux qui ont avancé ces arguments à Washington en prétendant défendre les déposants ont surtout eu droit à des réponses succinctes de leurs interlocuteurs, du type : « Allez et prouvez-le par un audit fiable, et revenez discuter des résultats. » Car, pour le Fonds, le fait d'imputer à l'État ces charges n'est pas conforme à l'accord préliminaire, qui stipule implicitement la nécessité de répartir les pertes en commençant par les banques en premier lieu, et d'imputer une partie des pertes aux grands déposants, tels que l'annulation des intérêts accumulés sur leurs dépôts ou la transformation de leurs dépôts en actions dans les banques.

Développements attendus

Quoi qu’il en soit, le scepticisme du FMI vis-à-vis des tergiversations locales n’est pas le seul élément qui pourrait amener les banques et la BDL à sortir de leur stratégie d’attentisme et de blocage permanent. Plusieurs développements attendus dans les prochains mois pourraient en effet les contraindre à changer leur fusil d’épaule.

D’abord, la possibilité que le Liban soit inscrit prochainement sur la liste grise par le Groupe d'action financière (GAFI) pour diverses raisons, notamment l'expansion alarmante de la « cash economy » avec les risques associés de blanchiment d'argent, d'évasion fiscale et d'autres crimes financiers. Cette expansion alarmante est principalement alimentée par le retard dans la restructuration des banques.

Il en va de même pour la possibilité d'une action en justice contre le Liban par les détenteurs d'obligations en devises étrangères (eurobonds) devant les tribunaux de New York.

Par ailleurs, un recours collectif a été déposé par des déposants aux États-Unis (New Jersey) contre la Banque du Liban, son ancien gouverneur Riad Salamé et plusieurs banques. On attend également un recours similaire en France de la part d'autres déposants dans les prochaines semaines, tandis que les procès en France et en Allemagne de l'ancien gouverneur de la BDL, Riad Salamé, et d'autres personnes impliquées avec lui dans des suspicions de détournement de fonds, de fraude, de blanchiment d'argent et d'évasion fiscale, devraient bientôt se tenir aussi. Il est à prévoir aussi que le parquet financier en France étudie la plainte déposée par des déposants libanais contre le Premier ministre par intérim Nagib Mikati selon les plaignants, qui citent dans leur plainte des opérations suspectes impliquant Salamé, et des banques telles que la Banque Audi sont mentionnées.

Le nœud central de tout ce qui a été mentionné précédemment réside dans le refus du gouverneur par intérim de la BDL, Wassim Manssouri, d'ouvrir les registres de la banque centrale avec une transparence totale. Certains osent même l'accuser publiquement de couvrir la période de son prédécesseur, Riad Salamé, pour le protéger ainsi que des parties influentes dans le système gouvernant.

Depuis quelques jours, les responsables politiques et monétaires libanais présents aux réunions de printemps du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, qui se sont tenues à Washington du 15 au 20 avril, multiplient les interventions dans les médias ou réseaux sociaux pour faire état des « réalisations » accomplies par le Liban, près de cinq ans après le...

commentaires (5)

On ne vous croit plus. Assez menacer, passez donc à l’acte et montrez-nous que vous êtes à la hauteur des menaces que vous lancez depuis des années et qui ne font plus peur à personne. La preuve, ils continuent de gouverner, voler, piller et détruire sans en être ni empêcher ni stopper.

Sissi zayyat

22 h 07, le 26 avril 2024

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Commentaires (5)

  • On ne vous croit plus. Assez menacer, passez donc à l’acte et montrez-nous que vous êtes à la hauteur des menaces que vous lancez depuis des années et qui ne font plus peur à personne. La preuve, ils continuent de gouverner, voler, piller et détruire sans en être ni empêcher ni stopper.

    Sissi zayyat

    22 h 07, le 26 avril 2024

  • C’est de la poudre aux yeux leurs soi-disantes disputes ils ne cherchent qu’à gagner du temps pour une prescription du droit où seuls les déposants seront dépouillés

    Bersuder Jean-Louis

    14 h 45, le 26 avril 2024

  • "… la défense de l’ABL porte désormais sur le fait que la crise est « systémique » et « le résultat de politiques publiques dont l'État est d'abord responsable …" - Trop facile. Les banques ont prêté à l’État par pure cupidité, à cause des taux d’intérêts hors normes. Même un Risk Manager junior, que dis-je même un étudiant en première année de Risk Management aurait pu voir qu’elles allaient droit dans le mur. Elles ont pris ce risque en toute connaissance de cause et sont donc coupables au premier plan de la perte de NOS dépôts!!!

    Gros Gnon

    09 h 21, le 26 avril 2024

  • Un trio de bandits : Etat, BdL et ABL qui se chapardent comme des ménagères … c’est drôle, généralement les malfaiteurs s’entendent bien entre eux ou alors s’entretuent jusqu’à ce que l’un d’entre gagne. Mais il y a tellement de personnes impliquées dans la plus grande escroquerie de tous les temps entre politiciens, fonctionnaires et banquiers que l’on ne sait plus qui le plus brigand. Pour moi, ils le sont tous quelque soit le degré de responsabilité y compris le gouverneur pi dont on loue les qualités en oubliants qu’il faisait partie de l’équipe qui a dirigé la BdL.

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 52, le 26 avril 2024

  • Tous le monde sait que M. Mikati a de gros interets en tant qu'actionnaire important de banques. De ce fait, sa solidarite avec les crapules bancaires ne fait pas de doute. Le gouvernement, la BDL et les crapules bancaires ont en commun un seul objectif : faire assumer tout le poids des pertes, - dues a la corruption, rappelons le - aux seuls epargnants. Les banques devant, apres effacement des depots, reprendre le business as usual. Les voleurs etant couverts par une loi d'amnistie sous habillage de capital control. Tfeeeeh. Kellon ya3ne kellon.

    Michel Trad

    01 h 28, le 26 avril 2024

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