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Les tiroirs de la fête

Cette fête du Travail que l’on célèbre aujourd’hui de par le monde, on la doit en somme aux lointains ancêtres des gilets jaunes qu’étaient ces sans-culottes, apparus au début de la Révolution française, et que la toute jeune République honorait d’un jour férié. Non point bien sûr que ces radicaux étaient ainsi désignés parce qu’ils manifestaient (et, à l’occasion, étripaient ou saccageaient) les fesses à l’air : en guise de signe distinctif, ils arboraient fièrement un pantalon à rayures, par opposition à l’ensemble culotte et bas de soie réservé à l’aristocratie.


À plus d’un titre, et le climat n’y est pour rien, c’est un brûlant rappel des droits des travailleurs que notre pays, quant à lui, connaît cette année. On a même là une amère et véhémente démonstration à tiroirs, en amont comme en aval. Car c’est avec 24 heures d’avance sur le muguet du 1er mai que les militaires retraités bouclaient en masse, hier, les accès de la capitale ; assiégeant notamment la Banque centrale ainsi que le port (un des hauts lieux notoires de la prévarication) ils mettaient en garde contre toute réduction de leurs indemnités et pensions pouvant découler de la politique officielle d’austérité. Et la fête continue de plus belle, si l’on peut dire, puisque ce sont trois jours de grève des fonctionnaires que décrètent, pour le reste de la semaine, les organisations syndicales.


On pourrait voir ou non, dans ce remue-ménage, la réconfortante preuve que dans notre pays de grande diversité culturelle, toutes les fêtes ne revêtent pas un caractère spécifiquement religieux. Et que les Libanais sont tout de même capables de faire cause commune quand il y va de leurs moyens de subsistance : surtout quand les aiguillonne la criante, l’inconcevable injustice de la situation, comme c’est le cas aujourd’hui. Voilà bien en effet une république faillie, dévorée vive par la corruption et qui cherche à se refaire une virginité en mettant un peu d’ordre dans ses finances. Ce tardif effort n’a cependant rien de volontaire, il n’est consenti que sous la pression d’une communauté internationale désireuse de venir en aide au Liban mais de plus en plus exaspérée par les mauvaises habitudes et le laxisme de ses gouvernants. De surcroît il n’est pas très sincère ni honnête, cet effort de réforme. Car faute de s’attaquer au fond du problème, à savoir le pillage et/ou gaspillage des ressources publiques, c’est sur le peuple que l’on cherche à se rattraper : à commencer par ces gardiens de la vie et des biens des citoyens que sont soldats, gendarmes et policiers.


Là ne s’arrête pas l’injustice, on la voit même se dédoubler. Comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement, puisque c’est précisément aux corrompus qu’est confiée la mission d’éradiquer la corruption ? Par la voix, par l’écrit et par l’image, sont dénoncées tous les jours, chiffres à l’appui, les rapines commises dans les secteurs les plus divers : rapines pratiquement signées dont les auteurs, en effet, ne se sont même pas donné la peine d’en effacer les traces, sûrs qu’ils sont de leur impunité. Pourquoi donc si sûrs? Rivaux en politique, les parrains demeurent néanmoins solidaires face à toute menace contre leurs intérêts. Et surtout, ils peuvent compter sur l’inertie d’un appareil judiciaire répugnant à entreprendre, de par lui-même, ne serait-ce qu’un brin de complément d’enquête sur les révélations de scandales se bousculant pourtant sur les pages des journaux et les écrans de télévision.


Ne rien voir, ne rien entendre : à ce régime-là, c’est la justice elle-même qui finit par jouer à l’homme invisible.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Cette fête du Travail que l’on célèbre aujourd’hui de par le monde, on la doit en somme aux lointains ancêtres des gilets jaunes qu’étaient ces sans-culottes, apparus au début de la Révolution française, et que la toute jeune République honorait d’un jour férié. Non point bien sûr que ces radicaux étaient ainsi désignés parce qu’ils manifestaient (et, à l’occasion,...