En portant plainte en octobre contre son partenaire qu'elle accuse de l'avoir violentée, la popstar Sila a, grâce à sa célébrité et la médiatisation de l'affaire, mis lumière les violences faites aux femmes en Turquie et souvent passées sous silence.
Le procès de son partenaire, le célèbre acteur Ahmet Kural, s'est ouvert à Istanbul jeudi, à la veille de la Journée internationale des femmes. Lors de cette première audience, la chanteuse a accusé son ex-compagnon de l'avoir battue après une dispute sur fond de crise de jalousie, ce que le prévenu, passible de cinq ans de prison s'il est reconnu coupable, a catégoriquement nié, selon une journaliste de l'AFP.
En portant plainte, la chanteuse Sila Gencoglu, connue sous le nom de scène de Sila, a attiré l'attention sur un fléau souvent passé sous silence dans une société patriarcale, a estimé son avocat Rezan Epozdemir. "C'est très significatif qu'une femme qui a été victime de violences ait décidé de son propre gré de porter l'affaire en justice et de mettre son épreuve au cœur du débat", a affirmé Me Epozdemir à l'AFP.
Selon des ONG, le nombre de femmes tuées ou victimes d'abus physiques ou sexuels aux mains de leurs conjoints ou proches ne cesse d'augmenter en Turquie. En 2018, 440 femmes ont été tuées pour des raisons liées à leur genre, contre 210 en 2012, selon l'ONG "Nous allons mettre fin au féminicide".
La plainte déposée par Sila a encouragé un plus grand nombre de femmes victimes de violences masculines à contacter une permanence téléphonique d'urgence mise en place en 2017 par la Fédération d'associations de femmes de Turquie (TKDF), selon la responsable de l'organisation, Canan Güllü. "On continue de recevoir de plus en plus d'appels", a-t-elle indiqué à l'AFP, sans fournir de chiffre.
(Pour mémoire : « Il ne faut plus supporter les cas de violences commises contre les femmes »)
Cette convention a certes permis des avancées en matière des droits des femmes en Turquie, mais il reste un long chemin à parcourir, a affirmé la professeure Feride Acar, de la Middle East Technical University (METU), qui a contribué à l'élaboration du texte. Elle a notamment appelé à la mise en place d'un plus grand nombre de "refuges" destinés aux femmes victimes de violences et à en faciliter l'accès, comme le stipule la Convention d'Istanbul.
L'avocate Gunce Cetin, qui conseille des femmes victimes de violences, a pointé pour sa part certaines carences du système susceptibles de porter préjudice aux plaignantes. "Parfois, la police ne fait pas savoir aux femmes qu'elles ont droit à un avocat. Or, c'est très utile", a-t-elle expliqué.
Selon la professeure Acar, une partie du problème réside dans le fait qu'une tranche conservatrice de la société turque "ne considère pas que cette violence résulte d'une inégalité entre les sexes". "Ils ne voient pas le lien entre l'absence d'égalité et la violence", s'est-elle étonnée.
Le gouvernement turc affirme prendre au sérieux les violences faites aux femmes, et le président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan a qualifié en 2016 ce phénomène de "trahison envers l'humanité".
(Lire aussi : Droits de l’homme et violence domestique : pour une stratégie « des petits pas »)
Ainsi, les avocats de deux hommes accusés d'avoir sexuellement agressé et tué une étudiante à Ankara en mai 2018, ont suscité l'indignation en laissant entendre à l'ouverture du procès le mois dernier que la victime "n'était pas vierge".
L'étudiante, Sule Cet, avait été retrouvée morte au pied d'un immeuble après être tombée du 20ème étage.
L'avocat de Sila déplore pour sa part que certains médias aient tenté de discréditer la version de sa cliente. Mais il reste optimiste. "J'espère que la vérité éclatera au grand jour à l'issue du procès et que justice sera rendue".
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