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Moyen Orient et Monde - Journée internationale de la femme

L’Arabie, ce pays où la femme n’est jamais majeure...

Très peu de changements positifs ont affecté la vie des Saoudiennes, mis à part la révision à la baisse des prérogatives de la police religieuse et la possibilité pour elles de prendre enfin le volant. Toutefois, pour obtenir une liberté personnelle réelle, le système de tuteur légal doit encore être abrogé.

Une femme saoudienne au volant, le 29 avril, à Riyad. Yousef Doubisi/AFP

Malgré les campagnes de communication visant à améliorer l’image de l’Arabie saoudite à l’international, il reste que sur le plan interne, très peu de changements ont affecté la vie quotidienne des Saoudiennes. Elles peuvent bien sûr prendre le volant depuis juin 2018, mais l’élément-clé de leur liberté se trouve autre part : entre les mains de leur tuteur légal. Un tuteur qu’elles traînent, comme un boulet, toute leur vie et jusqu’à leur mort. Alors, bien évidemment, elles ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Pour celle dont le père, le mari ou le frère décide de faire montre de « modernité », la vie quotidienne s’avère supportable. Mais pour les autres, celles qui dépendent d’un gardien qui a décidé d’user de toutes les prérogatives dont il dispose, elles vivent constamment un cauchemar éveillé.

Le 4 mars dernier, le Majlis al-Choura, l’unique assemblée consultative du royaume, rejetait la proposition de l’une de ses membres, Ikbal Drandari. Celle-ci demandait de rendre effectif l’« ordre souverain » numéro 33322 publié par le roi en avril 2018. Et pour cause, cet « ordre » impose aux différentes administrations de ne pas exiger l’autorisation du tuteur légal pour l’exécution de formalités administratives là où la loi ne l’exige pas. Réponse quasi immédiate de la Choura, le jour même de la soumission de la proposition : rejet de la demande. Pour justifier sa décision, l’assemblée soutient dans un communiqué officiel paru également le lundi matin que l’ordre souverain est d’ores et déjà appliqué.


Tiraillements entre conservateurs et MBS ?

Lundi après-midi, un certain flou flottait toutefois : le quotidien al-Riyadh publiait une « mise au point » de la Choura. Son porte-parole, Mohammad al-Mohanna, affirmait ainsi que l’assemblée « n’a pas encore statué sur la question » et que la commission ad hoc est « encore en train de l’examiner ». Ce revirement illustre-t-il l’embarras d’une assemblée otage des tiraillements internes qui ont lieu actuellement entre le « nouveau » pouvoir en place, représenté par le dauphin Mohammad ben Salmane, et la vieille garde conservatrice ? Cette dernière tente-t-elle de gagner du temps en bloquant, ou au moins en retardant, les réformes agressives souhaitées par MBS ?

Dans un entretien accordé également lundi au quotidien Okaz, Mme Drandari est montée au créneau en contestant la décision de la Choura. Pour elle, la réponse de l’assemblée est « imprécise ». Elle cite ainsi « les retards importants enregistrés au ministère de l’Intérieur pour tout ce qui a trait à l’octroi ou au renouvellement de passeports et d’autres documents liés au voyage » des femmes. Une remarque qui n’est pas anodine, à l’aune de la récente affaire de la jeune Saoudienne Rahaf al-Qounoun. En janvier dernier, celle-ci a profité d’un voyage familial au Koweït pour s’enfuir en Thaïlande.


(Lire aussi : Finissons-en avec la journée des femmes, l’édito de Émilie SUEUR)



Mineures à vie

Aujourd’hui réfugiée au Canada, les multiples entretiens qu’elle a accordés à la presse internationale ont permis de faire la lumière sur les conditions de vie de la plupart des jeunes filles de son âge. À tout juste 18 ans, nombreuses sont celles qui n’ont aucun espoir en l’avenir tant celui-ci leur semble balisé, voire prédeterminé. Elles devront épouser par la force un homme de leur famille ou du même clan. Elles ne pourront travailler ou voyager que si l’époux y consent. Souvent, elles seront presque assignées à résidence par leur tuteur légal. Même si, selon le ministère saoudien de l’Éducation, elles étaient 49 % en 2015 à fréquenter l’université, elles ne représentent que 20 % des diplômés de l’enseignement supérieur sur le marché de l’emploi, toujours selon le ministère.

En fait, elles ne seront jamais réellement libres. Elles seront tout simplement traitées comme des mineures toute leur vie durant. Sans compter que la majorité d’entre elles vivent engoncées dans une abaya noire que la coutume leur impose, et non la religion, comme l’affirmait en novembre 2018 le cheikh Abdallah al-Mutlaq. Ce dernier est un religieux de premier plan, membre de l’aréopage des grands oulémas d’Arabie et conseiller auprès du cabinet royal ainsi que président du Centre du roi Abdelaziz pour le dialogue national. Si ses propos n’ont pas eu l’effet escompté – celles qui ont renoncé au port de ce long et encombrant tissu noir se comptent sur les doigts d’une seule main –, c’est bien parce qu’en Arabie, la pression sociale et surtout familiale est tellement importante qu’elle étouffe toute velléité d’émancipation féminine.

Le pouvoir en place cherche-t-il aujourd’hui à faire sauter l’un des piliers du système théocratique et patriarcal du royaume ? Après l’autorisation donnée aux femmes de prendre le volant, un affaiblissement du système du tuteur légal ne serait qu’une suite logique. D’autant que l’autorisation d’un tuteur est réclamée de manière totalement discrétionnaire par les différents secteurs de l’administration saoudienne. Au quotidien Okaz, Mme Drandari affirme en effet que « rien dans les textes n’exige d’une femme qu’elle fournisse une autorisation de son tuteur pour l’obtention d’un passeport ou son renouvellement ». Pourtant, nombreuses sont celles qui voient leur bourse universitaire à l’étranger s’envoler parce qu’elles n’ont pas obtenu de passeport « à causes de certaines directives qui ont été données par des responsables dans l’administration. Or l’ordre souverain prime sur ses directives ». Elle ajoute que « certaines femmes de 70 ans se voient demander l’autorisation de leur fils pour aller se faire soigner à l’étranger », et qu’« il est temps de mettre un terme à ce drame ».


(Pour mémoire : La princesse Rima bint Bandar, première ambassadrice d'Arabie saoudite)


« Notifiées » de leur propre répudiation

Jusque-là, en Arabie, la plupart des changements ne sont que cosmétiques et principalement axés sur les loisirs. Seule la décision de mars 2016 de réduire les prérogatives de la police religieuse a véritablement été source d’espoir pour les femmes. Les moutawa’ n’ont plus le droit de s’en prendre directement aux femmes, voire de leur administrer des coups de bâton pour un voile mal mis ou des mains dénudées. Mais cela reste bien insuffisant. Car même dans leur vie privée, les Saoudiennes peuvent être répudiées sans le savoir. En effet, la pratique par les hommes du « divorce secret », sans l’assentiment de leur épouse, est tellement répandue que les autorités ont décidé en janvier dernier d’y mettre fin. Les Saoudiennes sont désormais « notifiées » de leur répudiation, à défaut d’avoir leur mot à dire. « Les femmes (…) seront notifiées de tout changement concernant leur statut matrimonial via un message SMS », a indiqué le ministère de la Justice dans un communiqué. « Les femmes dans le royaume pourront consulter des documents liés à la rupture de leur contrat de mariage via le site internet du ministère », précise le document.

Car à aucun moment il n’a encore été question de revoir le corpus législatif qui régit la vie des femmes. Celles-ci n’ont pas le droit de travailler sans l’autorisation d’un tuteur, même si dans l’administration, un ordre souverain est venu exiger, il y a un an, que les femmes soient embauchées sans autorisation préalable de quiconque. Mais en pratique, certaines administrations choisissent de faire de la résistance, via justement les « directives » citées par Ikbal Drandari, et refusent d’embaucher des Saoudiennes sans autorisation du tuteur. Pour s’instruire, les Saoudiennes doivent également obtenir l’aval de leur gardien. Voyager seule relève également du tour de force, puisque même largement majeures, les femmes doivent être munies de l’autorisation de leur tuteur pour traverser la frontière. Récemment décrié par la communauté internationale, car il permet aux hommes de « surveiller » les déplacements des femmes, le système Absher – un portail électronique mis en place pour faciliter tout un ensemble de démarches administratives – n’est que le reflet de la législation qui existe en Arabie depuis l’accession au pouvoir des ultraconservateurs. S’en prendre à un portail électronique constitue une fausse polémique, car celui-ci ne fait qu’appliquer les lois en vigueur depuis des décennies. Alors, qu’espèrent les Saoudiennes à l’occasion de la Journée internationale de la femme ? Pour Noura, ce qui lui importe par-dessus tout, c’est que « la liberté de choix soit préservée et protégée ». Alors que Fatima, elle, se montre encore plus prudente dans ses propos : « Je souhaite que la sécurité et la sûreté de ce pays soient préservées et que l’économie connaisse à nouveau un âge d’or. » Nouf opte pour l’humour : « J’espère qu’ils vont annuler les demi-tours sur l’autoroute et qu’ils enlèvent les ralentisseurs des rues pour que je puisse enfin conduire comme il faut ! » Pas un mot sur la condition de la femme, et c’est délibéré vu le climat qui règne dans le pays.


(Pour mémoire : La Saoudienne réfugiée au Canada veut se battre pour la libération des femmes)


Climat de terreur

Pour l’heure, les femmes semblent – du moins en apparence – soutenir la politique menée par MBS qu’elles perçoivent comme le porte-étendard de leur cause, malgré le climat de terreur qu’il fait régner depuis les arrestations de mai 2018. Celles-ci ont visé des activistes féminines qui luttent depuis des décennies pour l’émancipation des Saoudiennes.

Résultat de cette politique implacable, très peu de Saoudiens osent encore s’exprimer sur les réseaux sociaux. Souvent, ils utilisent des pseudos et la plupart résident à l’étranger. Sur Twitter, une dénommée « @A ? » réclame « le pouvoir pour la femme saoudienne, et pas uniquement pour Rima bent Bandar » (qui vient d’être nommée ambassadrice d’Arabie aux USA, NDLR). Ikbal Drandari publie de son côté « pour rappel » les termes de l’ordre souverain n° 33322 : « Faciliter les démarches administratives des femmes sans exiger d’autorisation du tuteur légal là où la loi ne l’exige pas. » Sur la twittosphère, certaines voix discordantes osent encore s’élever malgré la peur, pour dénoncer ce désir de changement. À l’instar d’un internaute qui se fait appeler Majed al-Masluki et pour qui « l’éveil de la société conservatrice vous incommode parce qu’il n’est pas atteint de la maladie dont vous autres êtes atteints (…), vous finirez dans les poubelles de l’histoire ». Ce à quoi Hamsa al-Sanoussi, éditorialiste au quotidien al-Watan, et qui assortit son pseudo d’un #MBS, répond sans ambages : « Ce tweet mérite que je me rende à la police et que je dépose plainte. Je vous conseille de retirer vos propos et de vous excuser, sinon je dépose plainte contre vous dans une heure. » Elle tague aussi au passage le site internet de la police des réseaux sociaux, officiellement créée pour lutter contre le harcèlement sur WhatsApp : @Kamapp, comprendre Koullouna Amn (nous sommes tous sécurité). Et voilà, la plainte est déposée, il ne lui reste plus qu’à se rendre au commissariat pour l’officialiser. À l’heure où la terreur plane en Arabie, les services de sécurité et de renseignements sont partout, surtout sur les réseaux sociaux. Tout est sous surveillance constante, alors ce genre de menace n’est pas à prendre à la légère. Un mot de trop peut littéralement conduire en prison.

Loujaïne al-Hathloul, militante pour le droit de conduire, Imane al-Nafjane, blogueuse et défenseure des droits humains, Aziza al-Yousef, figure du combat pour le droit de conduire, Ibrahim al-Modeimigh, avocat et défenseur des droits des femmes, et le jeune militant Mohammad al-Rabea ne le savent que trop bien. Depuis leur incarcération en mai 2018, plus aucune nouvelle concernant leur situation n’a pu filtrer.



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commentaires (7)

En partant du principe que les révolutions se font de l'intérieur des états, et jamais de l'extérieur dans des chars de prédateurs occidentaux, on pourra dire que en bensaoudie la femme est encore loin de réussir à s'affranchir par un soulèvement du peuple des femmes BENSAOUDS. Ce qui n'est pas le cas des iraniennes qui jouissent de beaucoup plus de droits que les femmes arabes et que un jour se fera que ces femmes iraniennes arriveront à se libérer par elles mêmes. Pour preuve simple , demandez vous où en sont les femmes de pays agressés par l'occident agresseur dans des pays comme l'Afghanistan, l'Irak , la Lybie etc.. pays violentés avec pour prétexte de venir libérer les femmes de ces pays . Par rapport aux promesses de l'occident. ...... où en sont rendus ces femmes ?

FRIK-A-FRAK

16 h 50, le 08 mars 2019

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Commentaires (7)

  • En partant du principe que les révolutions se font de l'intérieur des états, et jamais de l'extérieur dans des chars de prédateurs occidentaux, on pourra dire que en bensaoudie la femme est encore loin de réussir à s'affranchir par un soulèvement du peuple des femmes BENSAOUDS. Ce qui n'est pas le cas des iraniennes qui jouissent de beaucoup plus de droits que les femmes arabes et que un jour se fera que ces femmes iraniennes arriveront à se libérer par elles mêmes. Pour preuve simple , demandez vous où en sont les femmes de pays agressés par l'occident agresseur dans des pays comme l'Afghanistan, l'Irak , la Lybie etc.. pays violentés avec pour prétexte de venir libérer les femmes de ces pays . Par rapport aux promesses de l'occident. ...... où en sont rendus ces femmes ?

    FRIK-A-FRAK

    16 h 50, le 08 mars 2019

  • Dans toute intervention il y a une bonne part de vérité. Cette égalité commence par notre acceptation de la femme comme notre égale. Puis si l'article évoque l'Arabie, bien-sûr nos interventions va au-delà puisque le sujet est universel et concerne particuierement de nombreux pays d'avantage concernés que d'autres.

    Sarkis Serge Tateossian

    13 h 25, le 08 mars 2019

  • Avant de vouloir voir un changement du droit de la femme, il faut d'abord que nous, les hommes, acceptons que nos femmes, nos mères nos sœurs... à qui on doit beaucoup, deviennent l'égal à l'homme (et parfois même supérieur). C'est la mentalité des hommes qu'il faudrait changer pour espérer un changement. Tant qu'on se marie avec des mineures, on "bâche" nos femmes ou qu'on légalise la polygamie, il y a un lonnnnnnng chemin à faire.

    Citoyen

    11 h 38, le 08 mars 2019

  • Que voulez-vous quand une religion qui est celle d’un état, déclare : «Malheur au peuple gouverné par une femme».

    DAMMOUS Hanna

    11 h 37, le 08 mars 2019

  • Dans toutes théocraties ou régime totalitaire religieux nous voyons les mêmes problèmes frapper les femmes, considérées comme des mineures , des objets de droit et non des sujets de droit . Il s’agit de L’Arabie en premier , puis l’Iran bien entendu . Ces 2 pays veulent pourtant dicter notre avenir !?

    L’azuréen

    10 h 06, le 08 mars 2019

  • CE N,EST SEULEMENT PAS L,ARABIE. IL Y A AVANT TOUT LES DEUX FACES DE LA MEME MONNAIE QUE SONT L,ARABIE ET L,IRAN... PUIS UNE MYRIADE D,AUTRES PAYS DE L,OBSCURANTISME OU LES CROYANCES ET LES MOEURS SONT COMPARABLES OU PRESQUE COMPARABLES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 08, le 08 mars 2019

  • L'article : "L’Arabie, ce pays où la femme n’est jamais majeure..." Parlons entre hommes ...pour "mieux se comprendre" ! Nous savons bien que dans les pays où la femme est considérée mineure, cette femme qui est ma mère, ma sœur, ma cousine, ma fille, ma grand mère ....à qui on doit beaucoup ... et qui comptent pour nous, se sont les hommes qui sont restés enfants ... Si si, nous le savons parfaitement ! Baynetna ya3ni ...ya rijal...fhemtou shwaï?

    Sarkis Serge Tateossian

    01 h 00, le 08 mars 2019

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