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Culture - Journée internationale de la femme

La femme dans l’art, inspiratrice ou instigatrice...

Propos recueillis par Rana Andraos, Maya GHANDOUR HERT et Gilles KHOURY


En 2019, le mois de la francophonie (organisé par l’Institut français du Liban avec moult partenaires) se conjugue au féminin. Et aujourd’hui, vendredi 8 mars, le monde entier célèbre la femme. Une double occasion de marier ces deux événements en recueillant le témoignage de cinq filles d’Ève et d’un homme, tous des artistes à l’affiche de l’IFL. La question du jour, la même posée aux six, tourne évidemment autour de la femme dans leur travail et dans le domaine de chacun(e), à savoir le théâtre, le conte, la musique classique, l’illustration et la poésie.



Zeina Abirached. Photo Mathilde Marc

Zeina Abirached : La bande dessinée se féminise

La femme occupe une place primordiale dans mon travail puisque j’en suis une et que mon écriture est autobiographique. Mes personnages principaux ont beau être souvent des hommes (Ernest et Victor Challita, Abdallah Kamanja), ils découlent du regard d’une femme puisque c’est moi qui les ai inventés, construits, dessinés. On me dit souvent que mon dessin est féminin, cela me fait sourire. On me dit aussi parfois qu’il est « oriental ». D’une manière générale, je fuis ce genre d’étiquettes, mais, indéniablement, je suis une artiste femme qui a grandi à Beyrouth et qui écrit et dessine. Quant au milieu de la bande dessinée, il se féminise depuis quelques années. Autrefois, les femmes étaient plus souvent dans l’ombre, elles étaient par exemple les coloristes des auteurs hommes. Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’autrices – mot qui, par ailleurs, a fait sa réapparition il y a quelques années au moment des grands débats autour de la non-représentativité des femmes dans les prix récompensant des auteurs de bande dessinée... Affaire à suivre !

*La bédéiste participe à un concert illustré le 22 mars à l’IFL.



Chririne el-Ansary. Photo DR

Chirine el-Ansary : Transformer le plomb en or!

Dans un monde idéal, on veut penser à l’humain, à l’âme, à la sensibilité des personnages de récit, comme des collègues de travail, non à leur genre. Malheureusement, les inégalités sont telles que c’est une question qui s’impose. Dans mes contes, je cherche des héroïnes capables de se remettre en cause, de surmonter les obstacles, de transformer le plomb en or, de briser les clichés et d’ouvrir le champ des possibles. La beauté intérieure des personnages féminins et la poésie de leur quête m’attirent et guident mes choix. Sans oublier cependant que la beauté et la poésie se trouvent aussi dans le chaos et les contradictions. Je ne fais pas de différence entre ce qui me fait vibrer dans les personnages féminins de mes récits et les qualités et valeurs que j’apprécie chez une collègue conteuse. Lorsqu’une personne s’offre sur scène, elle donne en partage ce qu’elle est. C’est cette générosité-là que j’apprécie par-dessus tout chez une artiste.

*La conteuse sera le vendredi 16 mars à 20h, ainsi que le dimanche 18 mars à 17h, à la Hammana Artist House.



Delphine Bardin. Photo DR

Delphine Bardin : En musique, des inégalités aussi 

Pour répondre de la façon la plus complète possible, je dois, par rapport à mon activité d’interprète, distinguer trois catégories : les femmes compositrices, les femmes interprètes et les femmes qui m’ont guidée dans ma formation. Tout d’abord, la place de la femme compositrice : elle est bien plus réduite que celle de l’homme, du moins jusqu’au XXe siècle. Les jeunes musiciennes douées n’étaient pas encouragées à exercer cette activité professionnellement. Clara Schumann, Fanny Mendelssohn, par exemple, nous ont laissé quelques magnifiques œuvres qui font regretter qu’il n’y en ait davantage. En revanche, à mes yeux, la place des femmes interprètes est aussi importante que celle des hommes. La pianiste Clara Haskil, notamment, m’est une source d’inspiration essentielle depuis l’enfance. Marcelle Meyer, Alicia de Larrocha... Dans ma formation, j’ai eu la chance de connaître des personnalités remarquables, hommes ou femmes… Mais cette question de la place des femmes montre bien que l’égalité (c’est-à-dire la liberté de s’exprimer) est encore un droit fragile…

*La pianiste française a accompagné en concert l’Orchestre philharmonique du Liban le 1er mars.


Najoua Darwiche. Photo Sylvain Granjon

Najoua Darwiche: Les glorieuses femmes des contes

Je crois que lorsqu’on choisit un conte ou quand un conte nous choisit, il n’y a pas de hasard : à travers mes histoires, je raconte un peu de moi et du monde que je souhaite défendre. Il faut que je tombe amoureuse d’un conte pour avoir envie de le raconter.

Je ne choisis pas une histoire parce qu’elle est portée spécifiquement par une femme ou un homme, mais en constituant mon répertoire, je me suis rendu compte que les héroïnes dont je tombais amoureuse étaient très souvent des femmes fortes, courageuses, libres ; des femmes qui prenaient leur destin en main, peu importe l’issue. Je raconte depuis 5 ans maintenant, en France et à l’étranger, et depuis que je suis conteuse, je n’ai pas ressenti de difficulté particulière liée à mon sexe. Néanmoins, comme dans tous les secteurs, la femme conteuse doit trouver sa place dans la société, concilier ambition professionnelle et vie personnelle. En France, depuis plusieurs années, des discussions à ce sujet animent bon nombre d’acteurs professionnels comme l’APAC (Association professionnelle d’artistes conteurs) ou le collectif Sistas, dont je fais partie, qui organisent depuis deux ans un grand rassemblement de conteuses sur l’île d’Oléron.

*La conteuse sera le samedi 17 mars à 20h, ainsi que le dimanche 18 mars à 17h, à la Hammana Artist House.


Hanane Hajj Ali. Photo DR

Hanane Hajj Ali : Bousculer les eaux stagnantes

Le théâtre me séduit car il représente pour moi l’espace où l’on peut déjouer les tabous et les non-dits, décrier ce que les pouvoirs politiques, religieux, et économiques tentent d’étouffer, et bousculer les eaux stagnantes. Le théâtre est cette agora à travers laquelle les femmes transcendent les clivages entre les sphères publique et privée, intime et universelle. Je foule les planches du théâtre libanais depuis plusieurs décennies maintenant et je confirme non sans fierté que depuis les années 60, les femmes au théâtre ont eu un rôle catalyseur en allant notamment à l’assaut des sujets qui dérangent. Si je déplore la perception dégradante des femmes au théâtre, « même au sein des milieux artistiques », je témoigne toutefois de l’assiduité combative des femmes pour ce qui est de l’avancée de la liberté d’expression et de l’épanouissement du paysage associatif artistique.

*La metteuse en scène, dramaturge et actrice joue ce soir, à 20h, sa pièce

« Jogging » (arabe surtitré français) à la salle Montaigne de l’IFL, rue de Damas.


Fady Noun. Photo DR

Fady Noun : Sans la femme, le poète est inachevé

La femme et l’homme sont complémentaires. Sans la femme, le poète est inachevé. La femme est la meilleure lectrice d’un poète. Je parle bien sûr d’une lecture du cœur. Je suis un poète chrétien. Louis Aragon a dit que la femme est l’avenir de l’homme. Je crois que l’homme et la femme sont l’avenir l’un de l’autre. Sans une femme, le cœur d’un homme gémit et va à la dérive. Nerval a parlé du « soleil noir de la mélancolie ». Cette « douleur causée par l’enfantement de l’éternel dans l’homme », comme dit Romano Guardini, m’a enfanté. Elle était femme. Dieu seul, dit le poète Jean-Pierre Lemaire, « nous rend réels et nous remet à la bonne distance », nous « redonne une place en ce monde » et nous permet de trouver, une fois pour toutes, « la voix juste ». Il y a en même temps une très grande mobilité dans l’amour. Mon œuvre en est pleine. Il y a aussi de l’humour. Le sens de l’humour sauve souvent l’amour et rend possible l’aveu, parfois si difficile.

*Le poète et journaliste participe à un café littéraire le jeudi 21 mars à l’IFL.



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