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Liban - Liban

Retour sur l'implication progressive du Hezbollah dans la vie politique au Liban

Le parti chiite, qui a fait son entrée au Parlement en 1992 avec 8 députés et n'a commencé à siéger au gouvernement qu'en 2005 avec deux ministres, détient aujourd'hui trois ministères dont un de services.


Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, en 1997. Photo archives L'Orient-Le Jour.

Le Premier ministre Saad Hariri a annoncé le 31 janvier 2019, après plus de huit mois de tractations, la composition de son nouveau gouvernement. Une nouveauté : alors qu’au cours de son histoire, il a toujours eu deux ministères, le Hezbollah a désormais trois ministres, dont un détient pour la première fois un portefeuille de services, que le parti a réclamé et obtenu, celui de la Santé, parallèlement à la Jeunesse et les Sports en plus du ministère d’État pour les Affaires du Parlement.

Ce nouveau gouvernement a été composé sur la base des résultats des élections législatives du 6 mai, les premières après neuf ans de prolongations du mandat du Parlement, et à l’issue desquelles le Hezbollah, qui avait 13 députés au sein du Parlement sortant, en a eu 14.
Le parti chiite, qui a fait son entrée au Parlement en 1992 avec 8 députés et n'a commencé à siéger au gouvernement qu'en 2005 avec deux ministres, semble ainsi se renforcer sur la scène libanaise petit à petit. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a dans ce contexte estimé dimanche dans des propos relayés par la presse israélienne que "le Hezbollah contrôle le gouvernement" libanais.

Retour sur l'implication du parti chiite dans le jeu politique interne, cette formation étant en outre la seule à avoir gardé ses armes au Liban.


1985, lettre ouverte aux opprimés




Si c'est la mise en place de la République islamique d’Iran et l'action de l'imam Moussa Sadr et de son "mouvement des déshérités" qui permettent l’émergence du Hezbollah sur la scène libanaise, c’est l’invasion du Liban par Israël en 1982 qui vient catalyser la création du "parti de Dieu". Si à l’époque le Hezbollah se fait discret, le 6 février 1984, en prenant part à l'insurrection contre l'armée libanaise fidèle à Amine Gemayel, aux côtés du mouvement Amal, du Parti socialiste progressiste et des partis de gauche, le Hezbollah "sort de sa clandestinité et apparaît au grand jour, transformant une partie de la banlieue sud en sanctuaire en y installant son quartier général, ses permanences militaires et institutions médiatiques, sociales et éducatives" (Le Hezbollah, Walid Charara et Frédéric Domont).

Mais ce n'est qu'un an plus tard, le 16 février 1985 que sa création est officialisée avec "la lettre ouverte aux opprimés du Liban et du monde". Pour la première fois depuis son apparition le Hezbollah présente sa ligne politique (…) dans un fascicule de 50 pages, écrit à l’époque L’Orient-Le Jour. Le "parti de Dieu" fixe alors ses principaux objectifs : "le départ des Israéliens du Liban ainsi que le départ des Etats-Unis, de la France et de leurs alliés (qui formaient en 1982 la force multinationale au Liban) et la fin de l’influence de tout Etat colonial sur le pays". "Nous ne cachons pas cependant notre préférence pour un régime islamique et appelons tous à le choisir car lui seul garantit la justice et la dignité pour tous et empêche toute tentative d’infiltration néocolonaliste dans nos pays", ajoute le Hezbollah.

En 1989, avec les accords de Taëf, le Hezbollah réussi à conserver ses armes justifiées par son combat contre Israël qui occupe le Liban-Sud. Déjà quelques jours avant la signature de l’accord, le cheikh Mohammad Yazbeck, représentant de la République islamique au Liban, dénonce "le complot de Taëf" qui vise "la résistance anti-israélienne et la présence de la Syrie-sœur". "Nous n’abandonnerons le fusil que lorsque nous aurons atteint nos objectifs de libération", assure également le cheikh Yazbeck. Après la signature de l'accord, cheikh Sobhi Toufaily affirmera que Taëf est "une  duperie", que la "partition a commencé" et qu'il s'agit de l'emprise du "maronitisme politique".


1992, programme politique et législatives




Quelques années plus tard, en février 1992 le Hezbollah se dote d’un nouveau chef : Hassan Nasrallah qui, lors des funérailles du secrétaire général Abbas Moussaoui assassiné par les Israéliens, déclare ouverte la guerre contre Israël" jusqu’à ce qu’il soit anéanti".

En 1992 également, le Hezbollah lance son programme politique avec quatre thèmes principaux : la résistance à Israël, la lutte contre la fitna (la discorde en arabe), la libanisation du mouvement et le règlement de la crise socio-économique que traversait le pays. Cette entrée en politique, et plus particulièrement la participation aux législatives de 1992, a été débattue par un comité de douze responsables du Hezbollah, et c’est l’ayatollah Khamenei qui légitime l'implication du mouvement dans la vie politique libanaise (Didier LEROY, Hezbollah, la résilience islamique au Liban).




Cette même année, le Hezbollah participe aux élections législatives pour la première fois. Par cette décision, le Hezbollah accepte d’être partie prenante au système multiconfessionnel libanais. Il s’agit pour le Hezbollah d’opposer à la formule sioniste la formule libanaise fondée sur le pluralisme communautaire, le respect de la diversité et la sauvegarde des libertés (Michel Touma et Michel Hajji Georgiou dans L’Orient-Le Jour le 01//08/2006). "Le Hezbollah apparaît comme le grand vainqueur des élections" et "l’après-6 septembre, source d’inquiétudes accrues", titre alors L’Orient-Le Jour dans son édition du mardi 5 septembre 1992. Le parti chiite obtient alors 8 députés au Parlement. A partir de là, le Hezbollah participera aux législatives de 1996, 2000, 2005, 2009 et 2018 et aura successivement 9, 12, 14, 13 et 14 députés.

Le 18 septembre 1996, le gouvernement libanais qui n'avait octroyé des licences qu’à cinq chaînes de télévision, se voit obligé d'en accorder une sixième à la chaîne al-Manar suite à une demande personnelle formulée par le président syrien Hafez el-Assad (La télévision mise à nu, May Chidiac). En juillet 1997, "la surprise est de taille". Le Conseil des ministres légalise le principal média du Hezbollah, la télévision "al-Manar", et une radio gérée par le leader Mohammed Hussein Fadlallah, la "Radio de la foi". La chaîne, qui avait débuté en 1989 en diffusant cinq heures par jour seulement, obtient alors sa licence à titre provisoire 'jusqu'à la fin de l'occupation et le retrait des forces israéliennes des territoires libanais occupés".


2005, l'entrée au gouvernement et les blocages




Alors qu'il entre dans les institutions étatiques en 1992, le Hezbollah n'a jamais fait partie d'un gouvernement. En septembre 1998, diverses sources politiques affirment que le Hezbollah fera partie du cabinet mais deux mois plus tard, le cheikh Naïm Kassem indique que le parti chiite ne participera pas au prochain gouvernement car cela "n’aura pas les retombées positives espérées". "Du moment que le parti n’aura pas les moyens de sa politique, il a préféré ne pas solliciter, dans l’état actuel des choses, une quelconque participation au gouvernement", affirme-t-il.

Mais l’ONU vote le 2 septembre 2004 la résolution 1559 qui demande le retrait des troupes étrangères, le désarmement des milices et l'organisation de l'élection présidentielle hors de toute interférence étrangère. Le Hezbollah voit alors l'utilité de faire partie du cabinet libanais.

En 2005, après l'assassinat du Premier ministre Rafic Hariri et le retrait de l'armée syrienne du Liban, le Hezbollah (avec Mohammad Fneich et un proche du parti, Trad Hamadé) rejoint pour la première fois, et à l'issue d'une vingtaine de jours de tractations, le gouvernement (de Fouad Siniora). "Un accouchement au forceps pour un gouvernement de compromis" et "Première participation du Hezbollah au Cabinet, Washington ne cache pas son mécontentement", titre L'Orient-Le Jour le 20 juillet 2005.

Le 6 février 2006, Michel Aoun et Hassan Nasrallah, scellent à l'issue d'une réunion de deux heures à Chiyah "un document d'entente" à l'échelle nationale qui va assurer une couverture chrétienne au Hezbollah. On en retiendra notamment la nécessité de dialoguer sur les armes du Hezbollah et d'établir des relations diplomatiques avec la Syrie. L'été de la même année le Hezbollah et Israël sont en guerre.




(Lire aussi : Il y a 13 ans, le CPL et le Hezbollah scellaient leur alliance)



Au sein de tous les cabinets, que ce soit ceux présidés par Fouad Siniora, Saad Hariri, Nagib Mikati ou Tammam Salam, le Hezbollah aura toujours deux ministres. Mais avec ses alliés du mouvement Amal, il parvient toutefois à s'imposer à multiples reprises. En novembre 2006, les ministres du Hezbollah et d'Amal démissionnent du gouvernement pour protester contre la formation du tribunal international chargé de juger les assassins de Rafic Hariri. M. Siniora ne réussira à former un nouveau cabinet qu'en juillet 2008, en vertu de l'accord de Doha signé après les violences déclenchées le 7 mai 2008.


Fin 2009, Hassan Nasrallah annonce la participation du Hezbollah au pouvoir en lisant les 32 pages d'un document adopté par le huitième congrès général du parti. "Aujourd'hui le Hezbollah reconnaît officiellement la formule libanaise et la richesse de la diversité religieuse et sociale qui caractérise notre société". Il affirme ainsi renoncer "clairement et officiellement au projet d'instaurer un République islamique au Liban", peut-on lire dans les colonnes de L'Orient-Le Jour du 1er décembre 2009 qui titre en manchette "Nasrallah offre son cadeau de l'Adha".

En janvier 2011, les 10 ministres du Hezbollah et de ses alliés du 8 Mars claquent la porte du gouvernement monochrome pour protester contre la mise en place du TSL. Suite à cela, Najib Mikati deviendra Premier ministre mais démissionnera lui-même en mars 2013 en raisons de désaccords au sein de son gouvernement. A l'époque, deux journaux prosyriens, al-Akhbar et as-Safir, avaient révélé que M. Mikati avait envoyé un message à Hassan Nasrallah pour l'avertir de sa démission si le Hezbollah n'acceptait pas la reconduction du général Achraf Rifi dans ses fonctions de directeur général des Forces de sécurité intérieure. Nasrallah lui aurait répondu laconiquement : "Fais ce que bon te semble".
Même si le gouvernement monochrome n'aura pas duré, les gouvernements formés ultérieurement (Tammam Salam, Saad Hariri) obéiront tous à un impératif d'entente nationale.


Le ministère de la Santé, une première

Le ministre de la Santé Jamil Jabak.



Aujourd'hui, le Hezbollah a trois portefeuilles alors qu'il en a toujours eu deux. Outre cette nouveauté, le parti chiite prend la tête du ministère de la Santé, un portefeuille de services, ce qui révèle donc davantage d'implication dans la vie politique interne et économique libanaise. 

La question de l'attribution du ministère de la Santé au parti chiite a d'ailleurs fait couler beaucoup d'encre lors du processus de formation du cabinet.  A la mi-janvier, le sous-secrétaire d’État américain pour les Affaires politiques, David Hale avait déclaré, lors d'une visite à Beyrouth : "Le choix du gouvernement est un choix appartenant exclusivement aux Libanais. Mais le type du cabinet choisi nous concerne tous. D’autant que ce qui nous intéresse est un Liban stable et prospère". Une façon pour M. Hale d’exprimer l’opposition américaine à un cabinet taillé à la mesure du Hezbollah. Dans le cadre de cette visite, des sources proches de Walid Joumblatt, grand ami de David Hale, avaient indiqué à L'Orient-Le Jour qu’aux yeux des Américains, l’attribution du ministère de la Santé à une personnalité gravitant dans l’orbite du parti chiite pourrait bien avoir des conséquences néfastes sur le Liban. Après la formation du gouvernement, le département d'État américain a de nouveau exprimé "son inquiétude que le Hezbollah, une organisation désignée comme terroriste par les États-Unis, continue à occuper des postes ministériels et soit autorisé à nommer le ministre de la Santé publique".

Dans une tentative de rassurer, le nouveau ministre de la Santé, Jamil Jabak, pourtant nommé par le Hezbollah, a expliqué qu'il n'appartenait pas au parti chiite, ce qui permet ainsi d'éviter, selon lui, les sanctions américaines contre la formation de Hassan Nasrallah, dont il est le médecin personnel.
Lundi, Hassan Nasrallah a lui aussi souligné que sa formation avait sciemment choisi un ministre qui ne faisait pas partie du parti, après les mises en garde américaines. "Même si c'est un frère et un ami, il s'agit d'une personnalité indépendante", a-t-il affirmé, soulignant avoir fait ce choix "dans l'intérêt du pays".



Lire aussi
Quelle politique de distanciation après les propos de Nasrallah ?

Et notre dossier

I- Les prémices libanaises de la naissance du Hezbollah

II – Le projet Hezbollah à l’ombre de la révolution iranienne

III – Le Hezbollah entre culture de l’espace et intégration au système libanais

Le Premier ministre Saad Hariri a annoncé le 31 janvier 2019, après plus de huit mois de tractations, la composition de son nouveau gouvernement. Une nouveauté : alors qu’au cours de son histoire, il a toujours eu deux ministères, le Hezbollah a désormais trois ministres, dont un détient pour la première fois un portefeuille de services, que le parti a réclamé et obtenu, celui de la...

commentaires (4)

Le problème du Hezbollah c’est qu’il a une vision particulière de la nation . Obnubilé par l’instauration d’une république islamique importée d’Iran , il a compris en 2009 la primauté de la formule libanaise et la richesse de la diversité religieuse et sociale. C’est bien . Mieux vaut tard que jamais ....Et quand est ce qu’il comprendra qu’il faut préférer son pays au détriment des autres ? Car ces derniers , quels qu’ils soient , l’ont compris depuis belle lurette. Ce sera sa plus belle victoire car il ne la tiendra que de lui même.

L’azuréen

00 h 23, le 10 février 2019

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Commentaires (4)

  • Le problème du Hezbollah c’est qu’il a une vision particulière de la nation . Obnubilé par l’instauration d’une république islamique importée d’Iran , il a compris en 2009 la primauté de la formule libanaise et la richesse de la diversité religieuse et sociale. C’est bien . Mieux vaut tard que jamais ....Et quand est ce qu’il comprendra qu’il faut préférer son pays au détriment des autres ? Car ces derniers , quels qu’ils soient , l’ont compris depuis belle lurette. Ce sera sa plus belle victoire car il ne la tiendra que de lui même.

    L’azuréen

    00 h 23, le 10 février 2019

  • Parfois, jadis, quand mes enfants, encore jeunes, voulaient avoir raison envers et contre toute évidence, ils disaient n'importe quoi...seulement pour tenir tête... Depuis, devenus adultes, heureusement...ils ont compris et admis pas mal de choses ! Irène Saïd

    Irene Said

    10 h 59, le 09 février 2019

  • C,EST LE CHEVAL DE TROIE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 48, le 09 février 2019

  • Mais qu'est ce qui fait que ce parti de la résistance libanaise du hezb vole de victoire en victoire ? C'est pourtant un parti issu d'une communauté avec la "nationalité libanaise" mais d'origine de la Papouasie Nouvelle Guinée . Très belle récapitulatif d'un parti à qui on souhaite encore plus de succès . P.S : le hezb libanais de la résistance avait dit qu'il allait chasser les envahisseurs sionistes , et il l'a fait, avec la manière en plus .

    FRIK-A-FRAK

    09 h 29, le 09 février 2019

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