
Un Libanais montrant l'heure de son téléphone différente de celle de sa montre, à Beyrouth, le 26 mars 2023. Photo REUTERS/Mohamed Azakir
Des ministres qui n'alignent pas leurs montres sur celle du chef du gouvernement sortant Nagib Mikati, des condamnations politiques en rafale, des blagues à l'infini... La fronde contre la décision du Premier ministre prise à la dernière minute jeudi sur le report de l'heure d'été à la fin avril s'intensifie au Liban, qui s'est réveillé dans la confusion ce matin avec deux horaires différents.
Les ministres sortant de la Justice et de l'Education, Henri Khoury et Abbas Halabi, se sont tous deux désolidarisés du chef du cabinet. Le premier a déclaré samedi soir que la décision de M. Mikati était tout simplement "illégale", alors que le second a annoncé dimanche que toutes les écoles sont passées à l'heure d'été. D'autres chefs de partis politiques de tous bords ont également réagi.
La Terre tourne
"Si le cabinet se réunit et prend une décision modifiant la précédente sur l'heure d'été, nous serons les premiers à l'appliquer. En l'absence d'une telle décision, l'heure d'été reste approuvée et appliquée dans tout le secteur éducatif", a annoncé Abbas Halabi dimanche. Dans un communiqué, il a ajouté que "la Terre tourne, et le jour et la nuit se décalent en conséquence dans tous les pays du monde. Les heures de prière, de jeûne et de fêtes changent en fonction du lever et du coucher du soleil dans n'importe quelle partie de la Terre".
Une position qui rejoint celle exprimée la veille par le ministre sortant de la Justice Henri Khoury, qui a tranché : la décision de M. Mikati "est contraire à celle du Conseil des ministres du 20 août 1998. Elle est donc prise par une autorité invalide et elle est contraire au principe de légalité".
Dans un communiqué publié samedi soir, M. Khoury ajoute que "cette décision a semé la confusion dans la société libanaise, provoqué des troubles et des divisions au niveau des sommités religieuses, des médias privés et des institutions éducatives, qui ont tous déclaré ouvertement qu'ils ne s'y conformeraient pas. Elle viole également l'heure globale en vigueur depuis des décennies, ce qui causera de nombreux problèmes à toutes les entreprises libanaises et d'énormes charges financières", a-t-il détaillé. Il a conclu en appelant le Premier ministre sortant "à annuler cette décision afin d'éviter les risques catastrophiques qui pourraient en résulter".
De nombreux observateurs qualifient la décision de Nagib Mikati de confessionnelle, affirmant qu'elle a été prise en raison de l'impact qu'elle aurait sur la population musulmane du pays pendant le mois de ramadan, au cours duquel de nombreux fidèles jeûnent du lever au coucher du soleil. D'autres estiment que la décision du Premier ministre, à la demande de Nabih Berry, servait de diversion face à la crise dans le pays.
Panneaux désaccordés à l'AIB
Sur les réseaux sociaux, cette image surréaliste mais vraie circule : un panneau d'affichage à l'Aéroport international de Beyrouth (AIB) montre l'heure d'été d'un côté, l'heure d'hiver de l'autre.
الخروج من المطار ع التوقيت الصيفي..
— Marwan Matni ?? (@marwanmatni) March 26, 2023
اما الدخول اليه على التوقيت الشتوي ?#لبنان pic.twitter.com/XiceaaOyy8
Leïla, la quarantaine, attend son frère. Elle est arrivée 45 minutes avant l’arrivée à cause du changement d’heure. "C'est vraiment perturbant, toute cette histoire", lance-t-elle à notre journaliste sur place Lyana Alameddine.
Joumblatt, Geagea et Bassil s'invitent à la fête
Plusieurs responsables politiques ont commenté, certains avec ironie, la décision du Premier ministre sortant. "La crise actuelle du pays est plus importante que d'avancer ou retarder l'heure, et il n'est pas nécessaire de prendre des décisions qui alimentent la haine sectaire", a ainsi lancé dimanche le chef druze Walid Joumblatt. "Que ce gouvernement revienne aux recommandations du FMI", a-t-il poursuivi avant de conclure : "Assez de tergiversations sur le port, l'aéroport et autres questions".
Un député du groupe parlementaire joumblattiste, Hadi Abou el-Hosn, a indiqué dimanche dans un communiqué qu'il était entré en contact avec le président du Parlement Nabih Berry et le Premier ministre sortant Nagib Mikati "pour tenter de trouver une issue à la crise". Les efforts de M. Abou el-Hosn visent à "limiter les divisions dans le pays (...) et s'inscrivent dans le cadre du tweet de M. Joumblatt, qui a adopté une position claire à cet égard", poursuit le texte.
Le chef des Forces Libanaises Samir Geagea a abondé dans le sens des ministres Khoury et Halabi : "La seule décision qui prévaut est celle du Conseil des ministres du 20 août 1998 qui prévoit d'avancer l'heure au dernier week-end de mars de chaque année", a-t-il écrit sur Twitter dimanche. La décision de M. Mikati "est donc inconstitutionnelle et illégale, et doit être considérée comme nulle et non avenue", a tranché le chef des FL avant de conclure : "J'espère que le Premier ministre prendra en considération ces éléments constitutionnels et légaux, et qu'il se comportera tel que l'exige son devoir".
M. Geagea a également estimé que "le problème posé n'a rien à voir, ni de près ni de loin, avec le ramadan ou Pâques, ni avec aucune autre considération religieuse. Il est lié à l'ordre public et à l'application de la Constitution et de la loi. D'autant que les décisions ministérielles doivent être prises en Conseil des ministres, pas lors d'une discussion autour d'un café", une allusion à une autre vidéo ayant beaucoup circulé sur les réseaux sociaux et montrant une discussion entre le Premier ministre sortant et le président du Parlement Nabih Berry, ce dernier demandant à M. Mikati de repousser le passage à l'heure d'été.
Lors d'un long discours politique, le chef du Courant patriotique libre (CPL, aouniste) Gebran Bassil y est également allé de son commentaire ironique, liant le changement d'heure à la présidentielle au Liban : "Ils veulent un président qui recule l'heure du pays, plutôt que d'avancer vers l'heure de la réforme. Je leur dis : l'heure est venue, même si vous nous la ramenez en arrière !", a-t-il lancé.
L'ex-ministre Michel Pharaon a de son côté écrit dimanche sur son compte Twitter que "l'heure [d'été] n'est pas sectaire, mais mondiale. Le Liban ne peut être séparé de son histoire ni de son environnement".
Plusieurs médias, archevêchés et écoles ont affirmé samedi qu'ils ne respecteraient pas la décision de reporter d'un mois le passage à l'heure d'été. Certains médias ont décidé de procéder au changement d'heure "pour protester contre la décision du Premier ministre".
Des ministres qui n'alignent pas leurs montres sur celle du chef du gouvernement sortant Nagib Mikati, des condamnations politiques en rafale, des blagues à l'infini... La fronde contre la décision du Premier ministre prise à la dernière minute jeudi sur le report de l'heure d'été à la fin avril s'intensifie au Liban, qui s'est réveillé dans la confusion ce matin avec deux horaires...
commentaires (11)
Bravo a tous ceux qui se sont engages contre cette decision absurde et qui ont fini par avoir gain de cause !
Khoueiry Marc
19 h 03, le 27 mars 2023