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Liban - Reportage

Du Nord au Sud, les Libanais unis conspuent leurs dirigeants

Encore plus importantes en nombre que les jours précédents, les manifestations dans tout le pays, notamment les zones sous contrôle du tandem chiite, proclamaient l’unité des Libanais.


À Tripoli, au Liban-Nord, les manifestants sont fortement mobilisés. Omar Ibrahim/Reuters

« Kellon Yaani Kellon. » Tous, sans exception. Hier, comme depuis le début de la mobilisation populaire, jeudi, les manifestants rejetaient, en bloc et à travers tout le Liban, la classe politique. À Beyrouth, mais aussi à Tripoli ou Saïda, en passant par Batroun, Jal el-Dib ou Tyr, ils étaient des dizaines de milliers à dénoncer les dirigeants libanais et à réclamer leur départ. Brandissant le seul drapeau frappé du cèdre, les manifestants, dont le nombre grossit chaque jour, ont rivalisé d’ingéniosité pour traiter, avec un humour incroyable ou dans les termes les plus crus, les chefs politiques de tous les noms, et surtout de « voleurs ». Personne n’y a échappé, pas même le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah. Le mouvement est appelé à se poursuivre aujourd’hui, alors qu’expire en soirée l’ultimatum de 72 heures fixé vendredi par le Premier ministre Saad Hariri pour obtenir l’approbation définitive des membres de sa coalition gouvernementale à un plan de réformes.


Ambiance festive à Tripoli
Dans la capitale du Liban-Nord, un rassemblement monstre a eu lieu hier sur la place al-Nour, où des habitants manifestent sans discontinuer depuis jeudi. Scandant des slogans n’épargnant aucun responsable politique, les manifestants qui s’en prennent en particulier au président Michel Aoun et au ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil ont déroulé un immense drapeau libanais.

« Je suis au chômage, dit Taghrid Matar, une habitante de la ville. À Tripoli, il y a les gens les plus riches du Liban, et peut-être même du monde, et personne n’a pris la peine de faire un seul projet pour créer des emplois et relancer l’activité dans la ville. Le peuple libanais est privé de tout, et c’est ce que veulent les politiciens : ils ont besoin que les gens s’humilient devant eux pour leur réclamer de l’aide, afin de consolider leur pouvoir. »

« Tous les gens autour de moi qui ont mon âge sont sans travail, renchérit Jad Harbachian, un prof de sport venu de Zghorta. Tous mes cousins, mes amis d’enfance ont quitté le Liban pour aller travailler à l’étranger. Je suis venu faire entendre ce message. »

Dans une ambiance bon enfant, les manifestants ont répété en chœur les chansons de l’artiste engagé Marcel Khalifé, venu se joindre à eux. Mais la véritable star du rassemblement a été samedi soir un jeune DJ de la ville, Mehdi Karimé, qui a installé son équipement au premier étage d’un immeuble surplombant la place et offert aux manifestants une véritable party.

« J’ai voulu donner une belle image de Tripoli par la musique, pour que les gens s’éloignent de la violence, ne brûlent pas des pneus mais écoutent de la musique, déclare-t-il à L’Orient-Le Jour. Contrairement aux idées reçues, ceux qui aiment le plus faire la fête, ce sont les gens de Tripoli. »

Une position partagée par Majed Masri, un étudiant de 20 ans qui manifeste depuis trois jours : « L’image de Tripoli comme ville conservatrice, où il y a beaucoup d’armes, qui déteste les autres, n’est pas vraie. La vraie image de Tripoli, c’est cette place où tous les gens sont unis. »

Un rassemblement s’est également déroulé à Halba, principale ville du Akkar.



(Lire aussi : La soixante-treizième heure, l'édito d'Elie FAYAD)



À Batroun et Jbeil aussi
À Batroun, ville du chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, quelque 2 000 personnes se sont rassemblées, scandant « Kellon Yaani Kellon » et entonnant des chants patriotiques dans une atmosphère de kermesse. Certains ont installé des tentes, d’autres fumaient le narguilé… « Notre rassemblement est un message adressé aux responsables », affirme Toufic Tannous, un ancien membre du CPL qui accuse toute la classe politique de corruption.

À Jbeil également, environ 2 000 personnes protestaient hier. Comme Rawad Khalifé, qui n’a pas quitté le lieu du rassemblement depuis vendredi. « Ici, nous sommes tous libanais, ni druzes, ni chrétiens, ni musulmans, encore moins des partisans. Nous sommes unis autour d’un même slogan : le Liban », affirme-t-il.

« Personnellement, j’étais partisan des Forces libanaises. Hier, j’ai déchiré ma carte de membre, parce que j’estime que plus personne ne me représente. Certains partisans du Courant patriotique libre l’ont fait aussi. Je respecte le chef de l’État Michel Aoun, mais il n’a rien fait. J’espère que cette fois-ci le peuple initiera le changement. »

Des milliers de personnes étaient également rassemblées hier soir sur l’autoroute de Zouk, fermée à la circulation depuis jeudi soir. Comme à Tripoli et à Beyrouth, les manifestants ont déroulé un énorme drapeau libanais, de même qu’à Jal el-Dib.



(Lire aussi : La faillite du modèle de gouvernement libanais ou le réveil d’une nation, le commentaire d'Anthony SAMRANI)



Dans les zones d’Amal et du Hezbollah
À Saïda, les manifestants ont afflué dès le matin sur la place Élia, brandissant des drapeaux libanais et des drapeaux de l’armée et dansant la dabké. « Ya Saïda, lève-toi, nous allons faire tomber le gouvernement », répètent-ils en chœur. « Ô peuple, piétine le gouvernement et le Parlement », entendait-on également. Sur cette place du centre-ville de Saïda, des pancartes sont accrochées sur les tentes installées depuis le premier jour du sit-in. « Saïda veut faire tomber le système confessionnel » et « Nous réclamons la restitution de l’argent volé », peut-on y lire.

« Je manifeste contre la classe politique et contre tous ceux qui pillent le pays depuis trente ans », affirme à L’OLJ Mona, qui participe au mouvement depuis le premier jour. Fadi, venu de l’est de Saïda avec sa famille, souligne qu’il ne quittera pas la place avant que « ses revendications ne soient réalisées ». « Je suis contre tous les responsables. Ils ont causé du tort au peuple libanais », martèle-t-il.

À Tyr, des pêcheurs ont effectué une parade au large de la ville, leurs bateaux ornés du drapeau libanais. Des manifestants en plus grand nombre que les jours précédents se sont massés, pour la quatrième journée consécutive, sur la place al-Alam, appelant à la chute du gouvernement.

La veille, des manifestants dans la ville avaient été attaqués par des partisans armés du mouvement Amal du président de la Chambre Nabih Berry, après des slogans visant directement ce dernier et son épouse Randa, accusée de corruption.



(Lire aussi : Dans la rue chiite, un tabou a été brisé)



Contrairement au début du mouvement de contestation, où entre jeudi soir et samedi les slogans étaient très agressifs et dirigés notamment contre la famille Berry, hier, les slogans étaient beaucoup plus modérés et aucune insulte n’était proférée. Les contestataires réclament notamment la chute du régime, accusant les responsables d’être des voleurs, selon Nagi Abou Khalil, originaire de Tyr et membre du comité exécutif du Bloc national, qui se trouvait sur place. Le mouvement Amal a finalement décidé de tolérer les manifestations à condition que les slogans ne soient pas dirigés contre les responsables du mouvement, affirme-t-il. La formation du président de la Chambre a tenté d’envoyer sur les lieux du rassemblement une délégation, afin de présenter ses excuses pour les débordements de la veille, mais cela a été vivement refusé par les manifestants.

À Nabatiyé, une importante manifestation a sillonné les rues de la ville avant de se rassembler devant le sérail gouvernemental, malgré la présence menaçante de membres du mouvement Amal et du Hezbollah, selon des habitants. Les manifestants ont proclamé leur rejet de toute réforme économique partielle et réclamé la chute du gouvernement, contrairement à la position du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah qui s’était déclaré dans un discours la veille opposé à la chute du cabinet.

Des manifestations ont également eu lieu dans la Békaa où un grand nombre de manifestants, dont une bonne proportion de femmes, se sont rassemblés sur la route qui mène de Dahr el-Baïdar au centre de la Békaa, sous une pluie battante. Venant de tous les villages environnants, de localités où se côtoient plusieurs communautés religieuses, ils ont fermé la route aux voitures à l’aide de pneus incendiés. Sans exception, ils ont demandé la chute de toutes les institutions officielles, et pas seulement du gouvernement, et fait assumer au président Michel Aoun et au ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil la responsabilité de la dégradation de la situation économique.

Des rassemblements ont également eu lieu à Zahlé et Taalabaya. « Nous avons faim et tenons le régime pour responsable de la situation économique », a affirmé un protestataire à L’OLJ. « Si le délai des 72 heures se passe sans que rien ne change, nous demanderons la chute du régime, malgré tout ce que Hassan Nasrallah peut dire », a-t-il ajouté.

À Baalbeck également, les manifestations se sont poursuivies pour la quatrième journée consécutive et les participants étaient plus nombreux que lors des jours précédents.

Les manifestations se sont étendues au Chouf, où une marche a été organisée à Deir el-Qamar, au cours de laquelle les manifestants ont scandé des slogans hostiles à tous les leaders politiques sans exception.



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commentaires (5)

LA VOIX DU PEUPLE C,EST LA VOIX DE DIEU !

LA LIBRE EXPRESSION

11 h 52, le 21 octobre 2019

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Commentaires (5)

  • LA VOIX DU PEUPLE C,EST LA VOIX DE DIEU !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 52, le 21 octobre 2019

  • On est tous d'accord de dénoncer et de combattre le vol et la CORRUPTION, on est tous pour une laïcisation définitive du Liban , mais faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain . De notre point de vue les choses devraient être claires et le curseur doit être placer sur les mauvaises graines locales , soit , mais du point de vue des comploteurs et usurpateurs , ils n'ont cure de la CORRUPTION, du cofessionnalisme et de nos problèmes, le leur c'est désarmer la résistance, c'est tout . Pour simple preuve , ces usurpateurs inégalables , pensez vous qu'ils ignorent que la CORRUPTION existe chez leurs alliés wahabites MANIPULÉS par eux ou qu'elle existe en Égypte et ailleurs où on ne les menace pas ?

    FRIK-A-FRAK

    11 h 37, le 21 octobre 2019

  • Complot ou non, non seulement ce défouloir nous fait du bien, mais il fait comprendre à ceux qui nous volent nos droits les plus élémentaires qu'ils ne peuvent plus jouer aux innocents impunément! Cela aussi est une forme d'usurpation!

    Tina Chamoun

    10 h 50, le 21 octobre 2019

  • Ca fera du bien ce gros défouloir national. Mais ce sera d'un souffle court, quand ces manifestants bariolés auront faim à nouveau, quand les distributeurs de billets de banque à domicile auront vidé leurs bourses, ils rentreront avec la gueule de bois.

    FRIK-A-FRAK

    10 h 15, le 21 octobre 2019

  • Ce sera presque impossible d'écarter le Hezbollah du gouvernement par les temps qui courent : La région a basculé presque entièrement dans le camp hostile aux americains , et le Liban est pris entre des tenailles : Je n'imagine vraiment pas que le Hezb puisse accepter un gouvernement non-partisan , ce serait du suicide pour lui. Si on essaye de l'y forcer , il y a risque de guerre civile ...et c'est peut-être ce que les sionistes souhaiteraient .

    Chucri Abboud

    08 h 35, le 21 octobre 2019

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