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La soixante-treizième heure

Pour la deuxième fois dans son histoire, ce peuple braillard et indiscipliné, si infréquentable et pourtant si généreux, aura réussi à montrer, et d’abord à lui-même, combien il méritait de vivre et de voir sa dignité respectée. Et les deux fois, il l’aura fait à un moment où le pays semblait près de toucher le fond.

Le 14 mars 2005, ils étaient un million, peut-être plus, à investir le cœur de Beyrouth pour sonner la fin de la récréation au régime syrien et à ses créatures au Liban. Un peu comme si 15 millions de Français ou 80 millions d’Américains – ne parlons pas des Chinois – déferlaient dans les rues l’espace de quelques heures pour manifester.

À l’époque, les partis politiques, ou du moins certains d’entre eux, étaient omniprésents dans la mobilisation. Mais, déjà, ils ne menaient guère plus seuls la danse. Ils devaient d’ailleurs eux-mêmes reconnaître combien ils avaient été surpris par la participation massive à ce moment patriotique unique de pans entiers de la société civile, notamment d’une grande partie de la bourgeoisie qu’ils croyaient détachée et indifférente aux souffrances du peuple, et plus généralement de toute une jeunesse à l’esprit ouvert et à la tête grouillant de belles idées. Mais ce jour-là, une composante essentielle du tissu libanais, la communauté chiite, avait, dans son écrasante majorité, boudé la fête, lui ôtant ce caractère œcuménique auquel elle aspirait tant, surtout dans un contexte marqué par la montée du clivage sunnito-chiite.

Quatorze ans plus tard, cet « oubli » est, en quelque sorte, réparé. Comme la première fois, les sources divergent sur les nombres : la version la plus étriquée parle de dizaines de milliers de manifestants dans le centre-ville de Beyrouth, la plus généreuse avance le chiffre de 1,7 million dans tout le pays. L’écart est grand, mais quelle importance ? Le 20 octobre 2019 est déjà entré dans l’histoire comme une journée fondatrice, et elle l’est d’autant plus que cette fois-ci, les partis politiques ont été tenus à l’écart et certains d’entre eux pas mal secoués par les slogans des manifestants, tant au-dessus qu’au-dessous de la ceinture…

Ce fait est indéniable et constitue un précédent que nul ne peut se permettre d’ignorer. Pour autant, la classe politique est toujours là et ses bases ne sont peut-être que provisoirement égratignées. D’où l’énorme responsabilité qui incombera aux « 20-octobristes » de mener leur mouvement à bon port, et donc d’éviter le sort que s’étaient forgés de leurs propres mains les innombrables collectifs de la société civile née de la crise des déchets de l’été 2015. L’histoire se montre bienveillante. Elle offre aux Libanais une nouvelle occasion : il ne faut pas la manquer.

Pour cela, il faudra commencer à préparer l’après-20 ou 21 octobre, autrement dit ce qui doit être fait après la fin du délai des 72 heures. Demain, Les Libanais qui protestent, à juste titre, contre la situation dans laquelle se trouve leur pays doivent s’arrêter de dire ce qu’ils ne veulent plus. Ils devront désormais dire ce qu’ils veulent : la TVA à 12, 15 ou 20 %, une politique économique plus libérale ou plus sociale, quel positionnement géopolitique de leur pays, les réformes sociétales, le contrat social, etc.

Bien sûr, il ne faut pas se faire d’illusions. Opter pour des choix politiques, c’est accepter de se séparer, de ne plus être 1,7 million, et pas nécessairement selon des critères confessionnels. C’est tenter d’en finir avec les anciens partis politiques en en créant des nouveaux. Et un parti politique, ce n’est pas un club de lecture ou de sport. Il ne doit pas chercher à rassembler à tout prix le plus grand nombre. Il doit avoir le courage d’affronter les enjeux, tous les enjeux.

Pour avoir manqué de ce courage-là, la société civile a jusqu’ici échoué dans ses tentatives de créer une véritable alternative à l’offre politique disponible, pourtant si pauvre. En sera-t-il autrement, demain ?

Pour la deuxième fois dans son histoire, ce peuple braillard et indiscipliné, si infréquentable et pourtant si généreux, aura réussi à montrer, et d’abord à lui-même, combien il méritait de vivre et de voir sa dignité respectée. Et les deux fois, il l’aura fait à un moment où le pays semblait près de toucher le fond. Le 14 mars 2005, ils étaient un million, peut-être plus, à...

commentaires (4)

The hour after ! Très Hitchcockien comme titre .

FRIK-A-FRAK

11 h 46, le 21 octobre 2019

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Commentaires (4)

  • The hour after ! Très Hitchcockien comme titre .

    FRIK-A-FRAK

    11 h 46, le 21 octobre 2019

  • C,EST L,HEURE DE LA VERITE QUI DEVRAIT SONNER. LE PEUPLE NE VEUT PLUS DE CETTE CLIQUE D,HERITIERS DES GRANDS PERES, DES PERES, DES FILS ET DE PETITS FILS, DE GENDRES ET DE VENDUS A L,ETRANGER... DES ALIBABAS ... LE PEUPLE DEMANDE UN CHANGEMENT RADICAL !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 04, le 21 octobre 2019

  • Oui... il va falloir concevoir et accepter un nouvel autre, mais combien nécessaire!

    NAUFAL SORAYA

    07 h 29, le 21 octobre 2019

  • Je ne crois pas que cette manifestation puisse un jour devenir un vrai mouvement . D'abord les revendications sont trop bariolées , les manifestants n'ont pas le même esprit et finalement le dénominateur commun , l'objectif ultime est très géneralisé , indñefini ...donc exigu . Je crois plutôt que ce mouvement fera long feu ! Le système consociatif reste bien solide . Et c'est là le miracle libanais , l'exception libanaise . on peut légitimement la décrier . Mais elle reste solide .

    Chucri Abboud

    01 h 21, le 21 octobre 2019

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