Huit jours après l’incident sanglant de la Montagne qui a fait deux morts et cinq blessés, le Parti socialiste progressiste multiplie les contacts et les visites pour cimenter ses alliances. C’est dans cette optique qu’il faut placer la visite effectuée hier par une délégation du parti de Walid Joumblatt au siège des Kataëb à Saïfi, une rencontre qui survient deux jours après un entretien entre des représentants du PSP et le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, ainsi qu’avec le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, à Bkerké. Bien que placées sous le signe de la consolidation de la réconciliation druzo-chrétienne de la Montagne, ces réunions visent de toute évidence à consolider la position du mouvement joumblattiste – qui voit l’étau se resserrer de plus en plus autour de lui – face notamment au Courant patriotique libre et au Parti démocrate libanais (PDL) de Talal Arslane, avec lequel le PSP est à couteaux tirés depuis l’incident du 30 juin.
Durant le week-end, le député Talal Arslane a de nouveau insisté sur la nécessité d’une saisine de la Cour de justice appelée à trancher les circonstances des incidents de Qabr Chmoun qui ont opposé les partisans du PSP à des membres du convoi du ministre d’État pour les Affaires des réfugiés et membre du PDL, Saleh Gharib, pris pour cible par des tirs attribués par le parti de M. Arslane à des partisans du PSP. Des incidents au cours desquels deux gardes du corps de M. Gharib ont été tués.
Hier, M. Arslane est revenu à la charge, mettant en garde sur Twitter contre « toute tentative d’escamoter le crime de la Montagne ». « Le seul compromis possible est que ce crime soit traduit devant la Cour de justice », a-t-il réitéré. Dans le cas contraire, a-t-il menacé, « la voie sera ouverte à des dissensions aux conséquences incalculables ». Une demande que le chef du PSP, Walid Joumblatt, et ses alliés continuent de refuser catégoriquement.
La délégation du PSP, formée notamment du ministre de l’Éducation, Waël Bou Faour, et du député Fayçal Sayegh, a ainsi rencontré à Saïfi le chef des Kataëb, Samy Gemayel, et les principaux pôles du parti. Fer de lance de l’opposition depuis que sa formation a été écartée de l’exécutif, M. Gemayel a saisi l’opportunité pour lancer un appel en vue de la création d’un front d’opposition élargi, soulignant le caractère « stratégique » et « inébranlable » de la réconciliation druzo-chrétienne de la Montagne parrainée, en août 2001, par feu le patriarche Nasrallah Sfeir et Walid Joumblatt. « Nous avons réitéré notre appel en direction du PSP pour l’inviter à rejoindre l’opposition face à la réalité amère (à laquelle fait face le pays) », a-t-il dit, avant de souligner que la constitution d’un seul et même front est d’autant plus justifiée que les Kataëb et le PSP « sont d’accord sur un certain nombre de dossiers économiques et politiques ».
(Lire aussi : Incidents de Qabr Chmoun : Après l’escalade, place au compromis ?)
Tentative de « torpiller » l’unité nationale
De son côté, M. Bou Faour a estimé, à l’issue de la rencontre, que les tensions actuelles ne sont « ni confessionnelles ni communautaires. Il s’agit d’un antagonisme national entre ceux qui sont en faveur de l’unité nationale et ceux qui œuvrent à la torpiller ».
Dans une déclaration d’une rare virulence, M. Bou Faour a également déclaré que la « logique qui a prévalu lors de (l’attentat contre l’église) de Notre-Dame de la Délivrance (Saydet el-Najat) est toujours en vigueur et continue de marquer les esprits de certains ». Le ministre faisait allusion aux conséquences politiques de cet attentat à la bombe commis à Zouk en février 1994 suite auquel Samir Geagea avait été arrêté. Lors de la procédure, la Cour de justice n’a pu prouver son implication dans l’attentat de Notre-Dame de la Délivrance, mais sa convocation devant la justice a permis d’annuler les effets de l’amnistie générale proclamée à l’issue de la guerre civile. Et c’est lors de cette procédure qu’ont été déterrés des crimes plus anciens imputés au chef des FL. En conséquence de quoi M. Geagea écopera d’une peine de prison de onze années.
Dans les milieux du PSP, on affirme craindre fortement « une réédition de ce scénario » avec une version applicable au chef du PSP ou, du moins, à l’une de ses figures de proue, de sorte à parvenir à la marginalisation définitive de cette formation. Revenant sur la réconciliation historique de la Montagne, M. Bou Faour a accusé sans le nommer le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, de passer outre cette réconciliation, alors que « la base du CPL et ses sympathisants continuent de la soutenir, même si certains ont choisi de se retirer pour des intérêts personnels ». M. Bou Faour en veut pour preuve « le discours haineux » prononcé à Kahalé par le chef du CPL la veille de l’incident de Qabr Chmoun, et qui, selon le PSP, avait mis le feu aux poudres.
« Vous connaissez l’histoire du président Michel Aoun à Kahalé, Souk el-Gharb, Dahr el-Wahch et dans toute cette région qui a été protégée par la légalité », avait lancé Gebran Bassil. À l’époque, le chef de l’État (actuel) était général dans l’armée libanaise et avait combattu contre les factions propalestiniennes, dans la région de la Montagne, qui ont tenté de prendre, sans succès, Souk el-Gharb.
Hier, le ministre de l’Industrie a dénoncé à ce propos une tentative de « ressusciter la mémoire collective » de la guerre civile. Le week-end dernier, Walid Joumblatt avait déjà accusé le chef de la diplomatie de « réveiller les démons du passé ».
S’en prenant à son tour à M. Bassil sans le nommer, Samy Gemayel a tenu à rassurer les Libanais sur la solidité de la réconciliation druzo-chrétienne. « Certains cherchent à provoquer des tensions et insinuer qu’il existe des problèmes au niveau de la convivialité dans la Montagne. Il s’agit d’un scénario créé de toutes pièces », a-t-il dit.
Rappelant le lourd tribut qui a été payé durant la guerre civile dans cette partie du Liban notamment – « un épisode sombre de l’histoire du Liban » –, le chef des Kataëb a indiqué que les parties au conflit ont cependant eu « le courage de reconnaître les erreurs commises de part et d’autre pour enfin tourner la page et réhabiliter la confiance dans les villages de la Montagne ».
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Les déclarations intempestives et inconvenantes de Gebran Bassil à Kahalé, à Tripoli et à Zghorta, à l'encontre de ses rivaux, risquent fort de provoquer une troisième guerre inter-chrétienne. C'est pourquoi j'appelle à neutraliser cet encombrant personnage avant qu'il ne soit trop tard. A Zghorta, il a déclaré notamment : "Ceux qui ont un passé comme celui-ci, n'ont ni présent ni avenir." La friponnerie a des limites, la bêtise n'en a point". Où est le passé de Gebran Bassil ? C'est un produit "made in Hezbollah" en récompense de l'Accord de Chiyah/Canossa. On l'a placé à la tête du ministère juteux de l'Energie afin de gonfler ses poches plates. Il fait le paon, mais le paon ne gonflera pas éternellement, il finira par éclater comme la grenouille de la fable.
15 h 52, le 09 juillet 2019