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Halte au pyromane !

Atterrant, inquiétant au plus haut point est ce constat que commande le sanglant incident, survenu le week-end dernier, dans la Montagne druzo-chrétienne : trois décennies après la fin de la guerre, c’est encore le fusil qui est prompt à parler, en lieu et place du dialogue politique. Près d’un siècle après la proclamation du Grand Liban, 76 ans après l’indépendance, les tribus libanaises en sont encore à affirmer – ou alors à réclamer – leurs droits, à l’ombre d’une république censée être une et indivisible : une république vierge de territoires réservés et garantissant la libre circulation des biens et des personnes. Mais chimères que tout cela, quand à la classique émulation entre communautés – ou à l’intérieur même des communautés – vient s’ajouter le défi prémédité, la provocation calculée.


À maintes reprises, ces dernières années, ont été menées de telles équipées susceptibles, au moindre dérapage, de mettre le feu aux poudres : interminables convois de motards vociférants, paradant en territoire d’autrui, dans la capitale et sa proche banlieue, et y faisant pétarader copieusement leurs armes. C’est bien la première fois cependant, dans les annales libanaises, que ces incidents sont directement, ou indirectement, imputables à un individu, un seul.


Le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, se trouve être aussi, hélas, celui de la diplomatie libanaise. Rien de diplomatique, cependant, dans l’arrogant, l’agressif, l’insupportable verbiage de cet incendiaire mégalomane tirant à boulets rouges sur tout ce qui l’entoure, y compris ses propres alliés. Il choque ainsi un bon pan de sa propre communauté en se posant, telle la grenouille de la fable, en une version améliorée de Bachir Gemayel, encore plus charismatique et digne d’adulation. Il met en émoi les sunnites en contestant les attributions du Premier ministre. Et il enfièvre les chiites d’Amal et même du Hezbollah, tantôt en insultant le président de l’Assemblée, et tantôt en offrant gratuitement à Israël une reconnaissance de son droit à l’existence.


Parlotte à sensation et bougeotte tous azimuts. Tout se passe en fait comme si le seul objet d’une telle collection d’extravagances était d’en installer en permanence l’auteur au centre de la chronique locale, sans autre souci de l’élémentaire arithmétique des pertes et profits. Pour l’intéressé, l’essentiel, comme dans les pubs à quat’sous, est que l’on en parle (mais réalise-t-il seulement sur quel ton on le fait ?).


Il reste que de tous les exploits de Bassil, le plus chargé de risques est bien cette insolente percée dans le Chouf, conduite comme en terrain conquis, ou alors à conquérir. Car non seulement le tonitruant convoi de dimanche dernier représentait une claire tentative d’encerclement du leader druze Walid Joumblatt, opérée de concert avec les adversaires et coreligionnaires de ce dernier ; non seulement ce sanglant épisode est venu raviver, au sein de cette même communauté, les tensions inspirées et alimentées par la Syrie ; mais surtout, il a menacé de remettre en cause la laborieuse réconciliation de la Montagne qui a refermé les plaies de la guerre civile.


Comment qualifier l’insistance de Bassil à ouvrir le placard à squelettes – et à rouvrir les cicatrices – en glorifiant, comme il le faisait tout récemment, des moments d’un conflit qu’il n’a lui-même vécu qu’à l’âge où l’on porte encore des culottes courtes ? Dangereux est cet homme, et il est devenu urgent de le contenir. Or c’est au chef de l’État qu’incombe en priorité, sinon en exclusivité, cette véritable mission de salut public consistant, s’il le faut, à ligoter l’inconscient, à le bâillonner ou à lui faire enfiler une camisole de force. Oui, c’est le président qui est tenu d’y mettre le holà, non point seulement parce qu’il s’agit là de son propre gendre et héritier à la tête du CPL ; non plus parce que celui-ci est objectivement désormais le fossoyeur d’un régime dont il est pourtant le distingué fleuron, mais parce qu’il y va de l’intérêt supérieur du pays tout entier.


À l’heure des réformes, le Liban est supposé rompre enfin avec nombre d’inconcevables, de déstabilisatrices, de ruineuses déraisons. C’est par la plus turbulente, la plus envahissante de celles-ci (on ne trouve pas d’autres mots) qu’il faut impérativement commencer.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Atterrant, inquiétant au plus haut point est ce constat que commande le sanglant incident, survenu le week-end dernier, dans la Montagne druzo-chrétienne : trois décennies après la fin de la guerre, c’est encore le fusil qui est prompt à parler, en lieu et place du dialogue politique. Près d’un siècle après la proclamation du Grand Liban, 76 ans après l’indépendance, les...