Le président de la Chambre Nabih Berry à Baabda « pour dire bonjour au chef de l’État », selon ses propres termes, suivi de près de l’émir Talal Arslane accompagné du ministre d’État pour les Affaires des réfugiés Saleh Gharib... Sans être devin, on peut aisément en conclure que des tentatives sérieuses sont déployées pour circonscrire les événements de Qabr Chmoun et permettre ainsi au gouvernement de se réunir sans donner lieu à des tensions internes. En même temps, et dans la plus grande discrétion, le directeur de la Sûreté générale poursuit sa mission sécuritaire pour convaincre les deux parties de remettre aux autorités compétentes la trentaine de personnes suspectées d’être impliquées dans les tirs du 30 juin. Il faut préciser à cet égard que les trois premières personnes livrées par le chef du PSP Walid
Joumblatt aux services de sécurité ont été relâchées parce qu’il est apparu, après leur audition, qu’elles n’avaient rien à voir avec le drame. Par contre les deux suivantes ont été réclamées nommément par les services de l’ordre. Il y en a encore beaucoup d’autres et, selon des sources judiciaires, ce point reste primordial pour montrer si les deux parties veulent réellement clore l’incident ou au contraire poursuivre leur bras de fer.
Selon les sources précitées, le compromis qui est en train d’être mis en place reposerait sur l’équation suivante : le chef du PSP livre aux autorités toutes les personnes qu’elles recherchent moyennant la renonciation du Conseil des ministres à déférer le dossier devant la Cour de justice. Les milieux proches de l’émir Talal Arslane estiment que le chef du PSP mise sur le facteur temps pour que cette affaire soit bientôt oubliée, l’expérience ayant montré, au Liban, qu’un drame chasse l’autre et mobilise à son tour les médias, entraînant le précédent dans les oubliettes.
C’est pourquoi, selon les mêmes milieux, l’émir Arslane et son camp veulent maintenir la pression sur Joumblatt et son parti pour qu’au moins les personnes recherchées par les autorités soient entendues.
Toujours selon les mêmes sources, la rencontre entre le ministre d’État pour les Affaires des réfugiés Saleh Gharib et le président de la Chambre Nabih Berry à Aïn el-Tiné s’est plutôt mal déroulée, le ministre ayant senti une volonté chez Berry de ménager Joumblatt pour ne pas approfondir le clivage politique dans le pays. C’est donc Berry qui aurait suggéré de renoncer à réclamer que le dossier soit déféré devant la Cour de justice, en précisant qu’en définitive le fait de déférer le dossier devant la justice ordinaire ne réduit pas son importance, si le processus est accéléré, sachant que la Cour de justice n’est pas une garantie de rapidité, puisque plusieurs dossiers qui lui ont été déférés depuis des années et n’ont pas encore été clôturés. Selon des sources qui suivent ce dossier, le chef de l’État et le CPL ne sont pas hostiles à cette approche, mais ils veulent que l’émir Talal Arslane donne son accord, d’abord parce qu’il est leur allié et ensuite parce que le ministre Saleh Gharib est en fin de compte le principal concerné. De toute façon, la condition principale à toute solution, c’est la remise aux autorités de toutes les personnes recherchées pour leur implication dans cette affaire qui a failli ébranler la paix civile.
Des sources proches de l’émir Arslane estiment à cet égard que le véritable problème est dans le refus du chef du PSP de reconnaître une place grandissante sur la scène druze au Parti démocratique libanais et à l’ancien ministre Wi’am Wahhab. Selon ces mêmes sources, Walid Joumblatt tire à boulets rouges sur le CPL et son chef Gebran Bassil pour camoufler le véritable problème, à savoir un sentiment grandissant chez lui d’une baisse de sa popularité sur la scène druze au Liban et en Syrie. En bon joueur de « billard », il frappe donc une boule pour en atteindre une autre. Mais toujours selon les mêmes sources, les coups qu’il porte ne changent pas la réalité.
De leur côté, les sources du PSP rejettent cette analyse, affirmant qu’il ne s’agit ni d’un problème druzo-druze ni d’un problème druzo-chrétien, mais d’une question nationale qui porte sur la volonté de certains de rouvrir les blessures de la guerre et de remettre en cause les réconciliations qui ont déjà eu lieu et la paix retrouvée dans la Montagne. Le chef de l’État et le président de la Chambre réussiront-ils à rapprocher ces points de vue diamétralement opposés, sur fond de tensions exacerbées ?
Les milieux politiques misent sur un rôle positif du Hezbollah qui a essayé, tout au long de la crise, de maintenir une position de principe appuyant l’émir Talal Arslane, tout en laissant la porte ouverte au PSP sous prétexte de donner la priorité au retour au calme et d’éviter les dérapages. En effet, après la déclaration violente du ministre Mahmoud Qmati, le jour des incidents devant le domicile de l’émir Arslane, lorsqu’il a affirmé que « l’ère des milices est révolue », le Hezbollah a pris soin de contacter le PSP pour l’appeler au calme et à la retenue. Ce qui a été perçu comme une main tendue après la rupture des contacts suite à la déclaration de Walid Joumblatt mettant en doute « la libanité » des fermes de Chebaa...
Sur la base de toutes ces données, il existe donc des efforts réels pour tenter de circonscrire l’affaire de Qabr Chmoun, mais leurs résultats se font encore attendre.
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Lorsqu'ON livrera les assassins de Rafic Hariri, de Kamal Joumblatt, du mufti Hassan Khaled, de Béchir Gemayel, de René Mouawad... ON livrera les personnes présumés coupables ou innocentes des incidents de Qabr-Chmoun. Chacun tient l'autre par la barbichette.
19 h 39, le 09 juillet 2019