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Liban - Décryptage

Qabrchmoun : le pire a été évité mais des questions restent, sans réponses

En dépit des tentatives de calmer les tensions pour aboutir à des solutions qui préservent le prestige de l’État tout en sauvant la face de toutes les parties, la blessure ouverte à Qabrchmoun, dimanche, continue de saigner. Les propos du ministre Gebran Bassil mardi soir après la réunion hebdomadaire du bloc du Liban fort en sont la meilleure preuve. Tout en se voulant apaisant et en insistant sur le fait que « les chrétiens du Liban ne savent pas vivre sans les musulmans dans toute leur diversité » et que le CPL refuse la logique des « émirats fermés et des frontières » entre les différentes régions du pays, Bassil a affirmé que ce qui s’est passé dimanche était un piège tendu au Liban. Il ne s’agissait donc pas, selon lui, d’un incident provoqué par des propos mal interprétés ou jugés provocateurs, mais bien d’un plan visant à susciter une discorde interne, comme il y en a déjà eu tant au Liban.


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En réalité, Bassil s’est basé sur des rapports sécuritaires établis par les services compétents. Selon le déroulement des opérations, alors que le ministre des AE se trouvait à Chemlane en train de déjeuner dans le couvent, invité par les responsables de ce lieu, en compagnie du ministre Élias Bou Saab, des députés César Abi Khalil et Antoine Pano et d’autres personnalités, il a commencé à recevoir des coups de fil de responsables militaires et sécuritaires évoquant des fermetures de routes dans la région pour ne pas le laisser se rendre à Kfarmatta. Les présents étaient d’ailleurs partagés entre ceux qui lui conseillaient de renoncer à cette visite et ceux qui le poussaient à la maintenir. Sur ces entrefaites, le ministre d’État Saleh Gharib est arrivé pour accompagner Bassil à Kfarmatta. Le ministre Gharib était particulièrement concerné par cette visite car il est lui-même originaire de cette localité et bon nombre de ses proches ont été tués lors des combats qui s’y sont déroulés pendant la guerre de la montagne. Il tenait donc absolument à ce que le ministre Bassil fasse cette visite, qui est, pour lui, symbolique, et, selon des présents, il aurait insisté pour que le chef du CPL la maintienne. Mais, comme sous le coup d’une intuition, Bassil a finalement déclaré qu’il préférait ne pas se rendre à Kfarmatta. Le ministre d’État pour les Affaires des réfugiés est donc reparti vers Kfarmatta seul et il s’est soudain retrouvé bloqué au niveau de Qabrchmoun par des routes fermées. Or, en général, lorsqu’on tend un piège ou un guet-apens à quelqu’un, on commence par bloquer la route pour pouvoir ensuite tirer sur le convoi en étant sûr de l’atteindre. Les gardes du corps de Saleh Gharib sont descendus pour tenter d’ouvrir la route et c’est là que les choses ont dérapé. Qui a tiré en premier ? C’est l’enquête qui le déterminera.


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Mais on peut déjà se demander pourquoi il y avait des éléments armés sur les toits des immeubles qui ont tiré sur le convoi, tuant deux gardes du corps et atteignant de 19 balles la voiture dans laquelle se trouvait le ministre. Le plan consistait-il à tuer Bassil, Bou Saab et Saleh Gharib qui devaient en principe se retrouver ensemble à Kfarmatta ou bien les balles ont-elles été tirées en riposte à celles des gardes du corps du ministre qui voulaient ouvrir la route ? L’enquête devrait aussi le préciser, mais, ce qui est sûr, c’est que le Liban a échappé ce jour-là à une épreuve qui aurait pu être bien plus grave encore.

À Chemlane, où le ministre Bassil se trouvait encore, les nouvelles tombaient les unes après les autres, inquiétantes. Des interlocuteurs militaires ont conseillé au ministre des AE de ne pas bouger avant qu’une force n’arrive sur place en renfort pour sécuriser la route du retour vers la capitale. Les pêcheurs en eaux troubles ont aussitôt commencé à mettre en doute le zèle de l’armée à maintenir le calme dans la montagne, voulant insinuer qu’une prétendue rivalité entre le commandant en chef et le ministre des AE aurait poussé la troupe à ne pas ouvrir les routes de la montagne, sachant que les provocations avaient commencé dès jeudi, avec le lancement de bombes sonores tout près d’un camp d’été organisé par le CPL à Kfarmatta. Mais lors de la réunion du Haut Conseil de défense, convoquée par le chef de l’État, lundi à Baabda, une franche explication a eu lieu entre le général Joseph Aoun et le ministre Gebran Bassil. Le commandant en chef de l’armée a ainsi expliqué que l’armée a fait de son mieux. Mais, pour maintenir l’ordre dans la montagne ce jour-là, il aurait fallu beaucoup de renforts dont il ne disposait pas. De plus, ce sont essentiellement des femmes et des enfants qui ont été chargés de bloquer les routes menant vers Kfarmatta, alors que les éléments armés étaient en retrait ou sur les toits. Si les soldats devaient ouvrir les routes de force, il y aurait eu un bain de sang. Ce que nul n’aurait supporté.


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L’affaire était donc grave et le plan bien préparé. Il n’y a toutefois pas encore d’accusations précises sur ses auteurs, car personne n’exclut l’existence de ce qu’on appelle « la cinquième colonne » ou une tierce partie. Le plus grave a été surmonté mais on parle d’une vingtaine de suspects recherchés par les forces de l’ordre qui pourraient appartenir à des camps différents. Jusqu’à présent, 5 ont été livrés, mais le directeur de la Sûreté générale Abbas Ibrahim mène des contacts discrets pour obtenir que tous soient remis aux autorités.

De l’avis de toutes les parties concernées, le plus dur est passé, mais il serait préférable de laisser les services concernés mener leur enquête dans la discrétion et le calme, car le dossier est très délicat. En tout cas c’est sur les résultats de la mission de Abbas Ibrahim que repose la tenue d’une réunion du Conseil des ministres cette semaine.


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commentaires (3)

S'il ya bien un pêcheur en eau trouble, il est connu. Reste à mettre la main sur ses acolytes.

FRIK-A-FRAK

17 h 22, le 04 juillet 2019

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Commentaires (3)

  • S'il ya bien un pêcheur en eau trouble, il est connu. Reste à mettre la main sur ses acolytes.

    FRIK-A-FRAK

    17 h 22, le 04 juillet 2019

  • "L’enquête devrait aussi le préciser, mais, ce qui est sûr, c’est que le Liban a échappé ce jour-là à une épreuve qui aurait pu être bien plus grave encore." Ce qui est encore plus sûr, c'est que le Liban n'est pas un état moderne, mais un ramassis moyenâgeux de tribus à caractères confessionels! "ertet 3alam majmou3in...", comme le dit si bien Ziad Rahbani!

    Georges MELKI

    16 h 01, le 04 juillet 2019

  • Laissez la vaillante armée libanaise loin très loin de vos ambitions présidentielles. L'armée de la Nation, toute la Nation, n'est pas le Mur des Lamentations de qui que soit. Elle n'est pas une "cinquième colonne" pour les aventuriers et les provocateurs. Gébran Bassil n'a rien à faire à Kfarmatta pour s'y rendre à des fins présidentielles personnelles.

    Un Libanais

    15 h 58, le 04 juillet 2019

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